Pirates. Qu'est-ce qui vous vient à l'esprit quand on vous dit pirates? Johnny Depp dans le costume fabuleux de Jack Sparrow? Barbe-rouge et son fils Éric dans la maritimes et piratesques aventures de Barbe-Rouge (longue vie à Triple-Pattes)? Un fameux trois mats? Quelques corsaires glamours et honorables? Les boucaniers sur l'île de la Tortue? Anne Bonny et ses aventures? Drake, le corsaire devenu lord? Rackham le rouge? Le capitaine Crochet et sa sainte panique des tics-tacs? Long John Silver et sa patte en bois?
Si je vous dit pirate de l'espace? Albator, oui, tout juste!
Bien, tout le monde connaît ses classiques et que celui qui n'a pas adoré Long John Silver et Jack Sparrow se dénonce immédiatement!
Il va pourtant falloir que je vous déçoive à ce stade des opérations. Ce n'est pas de la piraterie historique dont il va être question, de l'époque "romantique"' des corsaires et des navires ornés du sinistre drapeau à la tête de mort. C'est de piraterie moderne, il est bien entendu que je ne parle pas de la piraterie autour de la Corne d'Afrique. Je parle de la piraterie harlequinesque.
C'est en effet pleine d'allant et d'espoir que j'ai ouvert le prometteur Passion sans escale que j'avais acheté sur la foi de sa superbe quatrième de couverture: "Entrainée par son amie Marsha dans une croisière de rêve (tout frais payés mais en compagnie d'un groupe du troisième âge), Elissa se retrouve bientôt plongée au coeur d'une incroyable aventure. Incroyable mais dangereusement vraie, comprend-elle un peu tard (Elissa n'a pas conscience du danger) lorsqu'elle se voit brutalement confrontée à une effrayante affaire de contrebande. Pourtant, le plus angoissant pour elle n'est pas la mort (elle a bien de la chance): c'est le sentiment irrésistible qui la pousse vers Rod Vance, le séduisant commissaire de bord (pouvait-il seulement être un laideron?), un homme ambigu aux facettes multiples (ça reste à prouver), dont elle découvre bientôt avec stupeur qu'il a une autre identité (fichtre). Que cache-t-il? Est-il complice des trafiquants? Veut-il au contraire, démasquer les coupables et enquêter discrétement à bord (à votre avis?)? Elissa n'en sait rien. La seule chose qu'elle sait, c'est que derrière le personnage courtois et flegmatique du beau commissaire, se cache un homme aussi dangereux que passionné (sinon il n'y aurait pas d'histoire, imaginez qu'il soit pacifiste et lymphatique, hein?), un amant merveilleux dont les caresses et les déclarations enflammées lui inspirent un amour grandissant en même temps, hélas, qu'une horrible méfiance."
Vous m'en direz tant...
Premièrement, que les choses soient claires, les méchants sont effectivement des contrebandiers. Mais étant donné qu'ils arraisonnent et s'approprient un luxueux bateau de croisière, j'estime qu'il s'agit de pirates. Et comme j'ai toujours raison, j'ai raison. Là, c'est dit.
La piraterie moderne vue par Harlequin donc. Est-elle seulement soluble dans la passion amoureuse? Le suspense est intense.
Mais qui sont donc nos pirates, ou supposés comme tels. Dès le prime abord, nous savons qu'il s'agira d'hommes. Il semble que la flibuste soit soumise à la possession d'un minimum d'un chromosome Y. Mais attention, pas n'importe quels hommes. Nous avons le choix entre deux candidats flibustiers:
- le beau, grand, fort, viril et taciturne commissaire de bord: vous aurez donc compris que c'est un homme dangereux, passionné, aux multiples facettes, mais étrangement maladroit. En deux coups de cuillère à pot, il fait naître le soupçon dans l'esprit de la ravissante Elissa. Pas moins. Ah oui, et Victor dont il n'est étrangement pas question dans la quatrième de couverture (Victor est le rival, parce que sans rival il n'y aurait pas d'histoire) s'en méfie comme de la peste. Pour un homme mystérieux et irrésistible, c'est tout de même dommage. Rod ne fera donc pas carrière dans les services secrets. Enfin, pour ce que nous en savons, il pourrait aussi bien être le méchant pirate de l'histoire. Ou alors le gentil pirate passionné. Et quand il est amoureux, il n'est vraiment, mais alors vraiment pas du tout discret. Même Amélia l'adorable vieille dame indigne lui donne des leçons de savoir-séduire. Une honte. Il faut dire que cet homme beau, grand... Bref, cet homme là pour des raisons évidentes de camouflage porte de lunettes et les cheveux coupés à ras. On insiste beaucoup sur les lunettes et les cheveux coupés à ras. Qui ne lui vont pas. Bref, c'est louche tout ça non? S'il le voulait, il pourrait être tellement séduisant. D'ailleurs ses lèvres sont sensuelles. Il pourrait donc bien êtr ele méchant. A moins que le méchant n'ait pas les lèvres sensuelles? Une chose est certaine, il est fou amoureux d'Elissa, et près à tous les coups pour la conquérir. Dans le respect de la bienséance tout de même.
- le beau, grand, fort, viril mais pas taciturne Victor: riche passager, il n'est pas blanc bleu mais s'emploie à apparaître comme tel. Rival en amour de Rod (seigneur, mais qui m'a fichu un prénom pareil et encore ce n'est pas fini), Elissa est sa proie. Ni plus ni moins. Il est donc Le Fourbe. Et peut-être Le Pirate. Mais peut-être pas. En tout cas, il est malin, séducteur, calculateur, il aime l'argent et il est sensuel. En tout cas, il ne respecte pas les règles puisqu'il ne compte certainement pas épouser Elissa.
Comparons maintenant les caractéristiques de nos deux candidats à celles du pirate et du corsaire:
- le pirate: fourbe, courageux, violent, aimant le massacre et le rhum. Et les coffres au trésor. Et les cartes au trésor. Et les femmes. Ah oui, il obéit aux lois de la flibuste.
- le corsaire: au service du roi, il pille et poursuit pour la bonne cause. Selon les écoles, il est fourbe, courageux et violent, ou loyal, courageux et violent. En tout cas, il obéit aux lois de la guerre.
Vous conviendrez que nous avons des caractéristiques proches avec une légère orientation corsaire pour le commissaire de bord et une légère orientation flibuste pour Victor.
J'en oublierais de vous parler d'un autre personnage masculin!! Le capitaine: beau, grand, fort, viril et taciturne, il va venir faire quelques apparitions pour faire face aux méchants pirates, supporter avec vaillance une blessure par balle et régler ses comptes avec son passé amoureux, torturé bien évidemment. Attendrions-nous autre chose d'un capitaine de bateau de croisière beau, grand, fort, viril et taciturne? On pourrait le rapprocher de Jack Aubrey, sauf que Jack Aubrey commande un navire de guerre et qu'il n'est pas amoureux d'une passagère (bon, je préfère le second du capitaine Aubrey, Thomas Pulling joué par James d'Arcy et ses grands yeux verts, mais tous les goûts sont dans la nature. On peu préfèrer James Aubrey. Ou même Adam Bartholomew.).
Mais avec tout ça, la piraterie est-elle soluble dans la passion? Attention, il va y avoir des spoilers!!
Comme vous ne vous en doutiez pas du tout, mais alors pas du tout, le commissaire de bord est le gentil, Victor est le méchant. Le capitaine, lui, est le capitaine. Point.
Or donc, commissaire et méchant s'opposent en un duel sans merci pour les beaux yeux (et pas que) d'Elissa. Que leurs intentions soient honorables ou pas, la passion règne dans leur coeur. Seulement voilà, autant notre commissaire/corsaire (cf. supra) va s'assagir pour sa belle, autant Victor/Le Fourbe/Le Pirate (cf. supra) va s'enfoncer dans le stupre, le lucre et la violence. On pourrait donc en conclure que la piraterie n'est pas soluble dans la passion au contraire de la course (le corsaire était équipé d'une lettre de course). Point de salut pour le pirate! Cela ne va pas les empêcher de se battre comme des chiffonniers dans quelques scèhnes d'anthologie. Seule consolation, le reste de la troupe de pirate est bête, méchant et veule. Ce qui permet au commissaire de leur tataner la figure avec un seul doigt. Ca c'est un homme, un vrai.
Remarquez, on peut se demander ce qu'il serait advenu si Elissa avait décidé de suivre Victor sur la voie de la contrebande, de la piraterie et des trafics en tout genre? C'eut été intéressant. Elissa en robe rouge fendue à la tête d'un gang de pirates armés de fusils automatiques... Mais non. Elissa reste désespérement harlequinesque: jolie, peu confiante en elle, amoureuse folle et obnubilée par les mouvements de son petit coeur palpitant, mais courageuse et capable de faire joujou avec un fusil. Bon d'accord, au bout de quatre seconde elle ne parvient plus à le tenir puisqu'elle est frêle et fragile, mais ça ne l'empêche pas de cavaler derrière l'élu de son coeur, histoire de vérifier qu'il va rester entier! Au fait, je vous ai dit que l'élu est milliardaire et presque mauvais garçon? Et qu'elle, évidemment n'est qu'assistante dans une agence de voyage... On aurait comme un sentiment de déjà vu...
Bref, comme le propos touchait à la piraterie, je ne reviendrait pas sur les intrigues amoureuses secondaires, ni sur le rôle de la vieille dame indigne comme compteur Geiger de l'amour, ni sur les beautés de Bali et l'utilité des mauvaises routes pour les nuits passionnées, ni sur l'omelette norvégienne et ses dangers, ni sur les bienfaits des croisières sur la paix sociale, ni sur la propension étrange des héroïnes harlequin à quitter l'amour de leur vie sans lui rêveler qu'elle sont enceintes, ni sur la présence de passages secrets et de pièces cachées sur un bâteau de croisière . Si vous voulez en savoir plus, Passion sans escale est disponible au prêt. A condition de revenir. On ne laisse pas un collector comme ça. Surtout quand la croisière s'amuse.
Leslie, Lynn, Passion sans escale, Harlequin, 1999, un roman avec de faux bouts de pirates dedans.