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Albums et autres plaisirs

  • Ne désespére pas Gilbert

     

    Gilbert, la quarantaine venue, vit toujours avec son père. Mais quand ce dernier vient à mourir, comment combler le vide? Adopter un animal? C'est le début des ennuis...

    Et un régal pour le lecteur. Une ritournelle grinçante et ironique qui distille d'illustration en illustration une angoisse sourde et un rire jaune. C'est certain, ce n'est pas avec Gilbert qu'on va rire. Encore que... Avec la mort de son père, Gilbert découvre un grisante liberté! C'est la fin de la petite vie étriquée, morne et réglée comme du papier à musique qu'il menait jusqu'à présent! Il va pouvoir manger ce qu'il veut! Ce coucher à l'heure qu'il veut! Aller aux toilettes en laissant la porte ouverte! A lui la belle vie, le calme et la sérénité! Et la solitude qui petit à petit vient le ronger. La solution? Adopter un animal: un chat d'abord, mais pas de chance, Minou meurt; un chien ensuite, mais pas de chance, Chien aboie trop; puis un cochon, puis un lapin, puis un furet... Décidemment, les animaux ne sont pas très satisfaisants! Et pourquoi pas une épouse alors? Après tout, Gilbert vient bien de découvrir qu'il n'a rien du tout contre imaginer la jolie vendeuse de l'animalerie toute nue... C'est ainsi qu'Epouse entre dans sa vie pour mener avec lui, une nouvelle petite vie morne, étriquée, et réglée comme du papier à musique. Et puis Epouse meurt, en donnant le jour à un garçon qu'il va élever dans un cocon. Jusqu'au jour où il meurt et où tout recommence... Terrifiant non? Cette vie grisâtre, ou rien ne réussit vraiment, où on se protège avant toute chose d'un monde extérieur perçu comme menaçant. L'éducation de son fils par Gilbert donne lieu à une litanie d'interdictions, de mises en gardes, de méfiance et de conseils qui sont autant de petites prisons. Le texte, court et percutant, est accompagné d'illustrations magistrales: en noir et blanc, fourmillantes de détails, elles révèlent, accentuent l'impression d'étouffement qui saisit à la lecture, et ajoutent une nouvelle dimension au texte. On ne les quitte que pour aller faire un tour au cimetière. Et quand une éclaircie survient, que la mer, la ville, le jardin font leur apparition, c'est pour que le drame survienne, et que l'on retourne au cimetière et dans cette maison dont seuls les tableaux changent.

    Ne désespère pas Gilbert est une fable politiquement incorrecte sur la reproduction des schémas familiaux, l'isolement et l'inadaptation au monde, la construction de l'identité. Gro Dahle raconte l'histoire d'une vie sinistre, ratée, subie par un homme comme les autres, sans réelle lueur d'espoir au bout du chemin... Si ce n'est qu'on ne sait pas ce que fera de sa propre vie le fils de Gilbert. Après tout, on est aussi ce qu'on choisit d'être!

    Un petit chef-d'oeuvre à lire et relire!

    Dahle, Gro, Ne desespère pas Gilbert, Ed. Etre, 2008, 5/5

     

  • Souffle la bise et le vent de la révolte




    L’hiver frappe à la porte, et cette chère Marie doit vite, vite, préparer la maisonnée aux longs mois de froid et de vent. Pendant qu’elle s’active, son mari lui serine des ordres. Jusqu’au moment où…

     

    J’aime ces albums sur le mode de la ritournelle ! Je marche comme un petit, entraînée par le rythme des mots et des images et surprises par une chute que je salue en général d’un éclat de rire ! Vite, vite chère Marie n’a pas fait exception à la règle !

    Sur chaque page de l’album, le lecteur va suivre Marie dans toutes ses activités : cueillir les pommes, faire les cornichons, couper les bûchettes, arracher les navets, écosser les petits pois, touiller la mélasse, faire cailler le fromage, battre le beurre, fumer les jambons… Avec cette énumération, vous vous doutez bien que Marie n’est pas une cinquantenaire urbaine ! Non, Marie vit dans une ferme, à une époque que l’on situe à la fin des années cinquante sans doute ! Et comme toute fermière, elle travaille dure. On la suit à l’extérieur de sa maison et dans toutes les pièces de sa maison ! On découvre d’illustrations en illustrations une multitude de jolis détails ! Et on sent le vent, le froid qui arrive, le silence ouaté, troublé par le cri des oies qui migrent et les activités de Marie !

    Surtout, on entend cette voix masculine qui ordonne à une Marie de plus en plus échevelée de faire-ci et faire ça ! Et on trouve qu’elle a une patience d’ange cette Marie ! On se demande à quel moment elle va se révolter contre cette petite voix qu’on imagine aisément aigrelette !

    Une chose est certaine, la chute est très drôle !

    Un bel album qui montre que l’on n’est pas obligé d’obéir toujours et qui permet de réfléchir sur ce qu’est le couple et sur le statut de la femme !

     

    N. M. Bodecker, E. Blegvad, Vite, vite, chère Marie!, Autrement jeunesse, 2000.

  • Quand au détour de la page, trois brigands guettent...

     

    Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les albums !! Ou presque !

     

    Chercheur, formatrice et conférencière spécialisée en littérature jeunesse, Sophie Van Der Linden offre avec Lire l’album un petit moment de bonheur et d’érudition ! Je connaissais le genre professionnellement et assez superficiellement il faut le dire ! Je suis ressortie de cette lecture avec des clés de compréhension et l’envie d’aller voir au détour du chemin ce qui peut se cacher dans ces jolis livres colorés.

    Tout commence avec trois brigands qui vous guettent, cachés sur la couverture. Tous se continue avec mille et un morceaux d’histoire de l’album jeunesse. Et tout se poursuit avec mille et unes pistes, illustrations, interviews, analyses qui permettent d’appréhender l’infinie richesse de ces petits livres que nous lisons parfois sans guère réfléchir aux petiots. Et foin des regards méprisants sur ce qui est art et littérature, n’en déplaise aux esprits chagrins ! De pages en pages, on découvre les auteurs novateurs, les maisons d’éditions, des définitions de l’album, des typologies, des études des rapports entre le texte et l’image. Le tout richement illustré par des extraits d’album !! Un moyen pratique et ludique d’apprendre à lire l’album et de découvrir ou redécouvrir des albums classiques et moins classiques, choisis avec un bon goût sans guère de failles.

     

    Vous ferais-je un petit cours sur l’album ? Peut-être après tout, puisque ce post inaugure une nouvelle rubrique consacrée aux albums pour les petits (et les grands qui savent ne pas bouder leur plaisir) !!

     

    Qu’est-ce donc qu’un album… Ce n’est pas un texte illustré, ce n’est pas une première lecture, ce n’est pas une bande dessinée non. Pas plus un livre animé ou un livre objet. Ce n’est pas non plus un livre d’activité ! Encore moins un imagier. Non, non ! L’album est bel et bien un OLI (objet livresque identifié) : il doit être lu à ceux qui ne savent pas lire, et aussi à ceux qui parfois savent lire mais qui aiment qu’on leur raconte des histoires (valable à tout âge, j’aime beaucoup qu’on me raconte des histoires !) Et pour rendre les choses plus agréables pour tout le monde, et bien, l’image s’accompagne de texte (ou pas), chacun apportant son petit grain de sable au château de l’histoire !

    Et tout cela nécessite un sacré boulot, vous vous en doutez bien !! Car tout se réfléchit dans un album !! Les illustrations, certes, mais le texte aussi, leur rapport. Met-on un cadre ? L’illustration va-t-elle s’étaler sur une ou deux pages ? Le texte va-t-il trouver sa place au-dessus, au-dessous de l’image ? Dedans quitte à s’y perdre puis à s’y retrouver ? Et quelle technique d’illustration ? Dessin au crayon gris ? Au crayon de couleur ? A la gouache ? A l’aquarelle ? Quel format ? Quelle typographie ? Et chaque auteur et illustrateur y va de son style de son école !

    Sophie Van Der Linden explique, montre, démontre, illustre tout cela, et offre un que je n’hésite pas à affirmer comme essentiel et enthousiasmant !

     

    Un indispensable quoi!

     

    Et je pense que le blog de l’auteur va le devenir aussi !! Allez donc jeter un œil par


    Sophie Van Der Linden, Lire l’album, L’atelier du poisson soluble, 2006.

     

     

  • Entre loups et poissons

    Il y a des bruits étranges dans les murs de la vieille grande maison de Lucie… Des loups ? Mais si les loups sortent, alors tout est fini ! Qui dit ça ? Tout le monde voyons !
    Une petite merveille entre bande dessinée et album. L’histoire est assez caractéristique des albums avec cet effet de répétition et de fin en suspens auquel le texte de Neil Gaiman, tout en fantaisie donne une sacrée dimension. La chute est vraiment marrante.  Il est servi par des illustrations extraordinaires, mêlant dessin, photographie, collages. Le bonheur.
    Neil Gaiman, Dave McKean (illustration), Des loups dans les murs, Delcourt, 2003
     
    Même équipe, même verdict ! L’histoire absurde d’un papa qui va être échangé contre deux poissons rouges, puis contre une guitare, contre un masque de gorille, contre un lapin… Et l’histoire de son petit garçon qui semble être une réincarnation de l’ogre des contes de fée ! Savoureux ! Et les illustrations ! Coup de cœur !
    Neil Gaiman, Dave McKean (illustration), Le jour où j’ai échangé mon père contre deux poissons rouges, Delcourt, 2000