"Lorsqu’il avait été enfin seul, et libre, en descendant de l’autocar qui l’avait emmené du sud de l’Espagne au nord de la France, Samba avait regardé autour de lui et c’était la France, c’était Paris, alors il avait marché, marché le long des bâtiments du passé. Ses chaussures étaient minables et trouées, mais le ciel était jaune, les murs brillaient dans la lumière du soleil qui tombait, et il était au centre du monde. Il savait que cela ne durerait peut-être pas, mais il était heureux d’être là, et cela rendait ces minutes encore plus précieuses.
Dix ans plus tard, il était toujours ébloui par la lumière des quais.
Même derrière les barreaux, même les menottes aux poignets, il aimait la France.
C’était un patriote."
Samba pour la France est un vrai beau roman, un de ceux qui n'oublient pas derrière le message, et la rage, d'être littéraires et de raconter une histoire, un de ceux qui débordent d'humanité sans jamais sombrer dans les bons sentiments, un de ceux dont on aimerait avoir des nouvelles des personnages.
Il est vrai, je dois l'avouer, que j'ai particulièrement apprécié de voir aborder ainsi le thème rebattu dans l'actualité des sans-papiers. Ceux qui sont taxés de tous les maux, ceux qui font peur ou pitié. Mais qui sont, et on l'oublie parfois, des êtres humains et pas juste des silhouettes Or, ce que Delphine Coulin raconte, c'est l'histoire d'un être humain, Samba. Et de ceux qui l'entourent, entre petits bonheurs et grands drames, amours, petits boulots et grandes amitiés.
Surtout, on prend de plein fouet à travers la voix de Samba et de celle qu'il va rencontrer à la Cimade, les drames humains, les voyage homériques qui sont le préalable à ce qui s'avérera pour la plupart plus dur encore. On entend l'indécence de la course au malheur où parfois sont enviés ceux qui ont obtenu l'asile pour avoir vécu le pire, massacres, viols, persécution. On entend ceux qui ont subit les guerres, les violences, et par-dessus tout cela un exil et l'arrivée dans un pays qui malgré ce qui est inscrit dans ses textes fondateurs, s'est fermé. La France rassie comme dit Lamouna, l'oncle de Samba. Celle qui se sert de ses lois pour broyer, pour nier l'humanité de celles et ceux qui rêvent à la liberté, à l'égalité et à la fraternité. Celles où le respect est conditionné à la possession d'un bout de papier et où la dignité doit trop souvent être sacrifiée à la nécessité de gagner son pain. Pas forcément pire que ces autres endroits traversés au cours du voyage, mais pas toujours mieux malgré tout.
Et puis il y a l'absurdité de ces lois, la violence physique et morale, la misère, l'horreur des centres de retention qui ne sont pas des prisons puisqu'il y a des balançoires, mais où on se retrouve malgré dix ans d'une vie, dix ans de travail, d'impôts. Une logique ubuesque qui fait passer de l'autre côté, celui des sans-papiers, condamnés à être des ombre perdant parfois jusqu'à leur nom et ceux de leurs pères. Le mal ordinaire qui pousse à oublier l'humanité la plus simple.
A tout ce monde là, Delphine Coulin donne une consistance, de la vie, de la dignité. Avec humour, avec colère. Parce que ce monde-là, elle le connaît, elle en porte témoignage de la plus belle des manières. Et de cela, on peut lui être reconnaissant même si, seul petit regret de ma part, on ne voit presque que le pire des agents publics. Sans doute parce que c'est ce qu'on voit le plus quand on est dans la situation de Samba et des autres.
Un vrai grand beau roman donc. Et un coup de coeur.
"Tout les jours on met en doute la parole de ceux qui disent qu'ils sont là depuis plusieurs années, parfois dix ans, parfois douze, parfois quinze, comme si les mots n'avaient plus aucune importance, ou qu'il fallait s'en méfier. Pourquoi ne nous croit-on pas? Pourquoi nous condamne-t-on à la misère et au mensonge?
Lamouna dit encore:
La France a changé. Ce n'est plus le même pays que quand je suis arrivé. Il y a deux France, et aujourd'hui je crois que c'est la France rassise qui a gagné. J'espère que l'autre France va réussir à reprendre le dessus... Mais je n'ai plus la force d'attendre."
Coulin, Delphine, Samba pour la France, Seuil, 2011, 5/5