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Littératures françaises - Page 14

  • Laver les ombres

     

     Léa danse, elle se perd entre sa compagnie dont elle fête les dix ans, les tournées et ses échecs amoureux. Sa mère, elle, au fond de la Bretagne, se tait. Elle tait comme elle l'a toujours fait les blessures d'un passé qui ronge, comme une lèpre, sa vie et celle de sa fille.

    Par ce silence, Romilda, la mère, a emplit d'un vide immense le coeur de sa fille. Si Léa danse, c'est parce qu'elle a peur du silence, peur de l'immobilité qui appelle la mort. Parce que bouger est le seul moyen de ne pas penser, de ne plus penser et d'écarter la souffrance. Léa danse pour fuir, mais aussi pour que son corps lui appartienne même si elle ne sait pas très bien pourquoi il lui faut cette maîtrise totale de son corps pour se sentir bien.

    "Danser c'est altérer le vide.

    Pourquoi inscrire un mouvement dans le rien? Elle voudrait tant pouvoir juste contempler et habiter simplement, sans bouger. Elle envie ceux qui le peuvent. Elle, elle n'y arrive pas.

    Elle est un mot étranger jeté dans une langue. Comme un mot tout seul jeté dans le silence. Elle se sent intruse. Depuis toute petite.

    Alors elle danse. Il faut qu'elle trace, avec son corps, les lignes qui permettent d'intégrer l'espace. Seule la beauté du mouvement peut la sauver.

    C'est sa façon de trouver place dans la vie."

     Mais en rencontrant Bruno, tout en immobilité, en le fuyant malgré l'amour profond qu'elle éprouve pour lui, elle comprend qu'il va falloir qu'elle aille chercher les origines de la peur qui habite les yeux de sa mère, de la violence contenue de cette italienne en exil qui a fait d'elle ce qu'elle est. C'est au coeur d'une tempête d'une rare violence que la parole va éclore.

    Jolie métaphore que celle de la tempête. Cette tempête est celle qui habite Léa et sa mère, qui les dévaste le temps d'une vie avant de les laisser enfin sereines, aptes à faire face au passé et au présent. C'est dans le cocon d'une cuisine qu'elles vont enfin se parler, se découvrir l'une l'autre, au chaud, alors que le vent détruit tout à l'extérieur.

    Comme dans Les demeurées, Jeanne Benameur explore les méandres des relations entre mère et fille, de la transmission. Léa et Romilda, l'une et l'autre brisées par un homme. Romilda a aimé passionnément, aimé jusqu'à se taire quand l'homme qui lui avait promis le mariage a vendu son corps au premier venu. Aimé au point de le suivre en France, de l'épouser et de donner le jour à son enfant. Romilda a aimé, mais n'a fait que survivre, habitée par la peur qu'un jour sa fille apprenne et la rejette. Une peur qu'elle lui a transmise en même temps que les gestes, la nécessité du mouvement, la fuite. Laver les ombres raconte le poison du secret, mais aussi l'amour inaltérable et immense qui peut unir une mère et sa fille.

    "Elle consacre.

    Son unique baptême, il est là.

    Elle se reconnaît fille de.

    Et cette femme-là, allongée, qui ose enfin parler, c'est sa mère."

    L'écriture syncopée,  sèche de l'auteur traduit à merveille l'étouffement, la peur et la douleur rentrée. La difficulté de mettre en mot la souffrance, de parler. C'est violent, moralement, et physiquement aussi, mais très beau. On lit presque sans respirer ce texte. La narration qui alterne le présent de Léa perdue dans ses souvenirs et le passé de Romilda distille petit à petit l'horreur, la compréhension des noeuds noués dans cette famille.

     Laver les ombres, en photographie, c'est amener des visages à la lumière. Là, c'est passer à l'âge adulte en regardant en pleine lumière ceux qui nous entourent. Quand Romilda met enfin des mots sur son passé, Léa quitte l'enfance, apprend, à défaut de comprendre, que son père, comme sa mère ont été des individus avec leurs noirceurs, leurs naïvetés, et la complexité d'un amour.

    C'est beau, poignant, étouffant, très juste aussi.

    "Aimer c'est juste accorder la lumière à la solitude.

    Et c'est immense."

     L'avis de Lily, Adlitteram, Sylire, BellesahiYohan,...

     

    Jeanne Benameur, Laver les ombres, Actes Sud, 2008 4/5

     

  • La chute

     

    Il y a des textes qui laissent sans voix. Des textes qui laissent une empreinte durable et qui donnent à penser, à réflechir sur le monde et sur les hommes. La Chute est un de ces textes. Voilà plusieurs mois déjà que j'essaie de trouver le courage et les mots pour parler de cette lecture, sans parvenir à aucun moment à un résultat qui me satisfasse. Parce que je n'ai rien oublié de cette lecture et de l'effet qu'elle a eu sur moi.

    Déjà, à l'incipit, la magie opère: "Puis-je, monsieur, vous proposer mes services, sans risquer d'être importun? Je crains que vous ne sachiez vous faire entendre de l'estimable gorille qui préside aux destinées de cet établissement. Il ne parle, en effet, que le hollandais."

    Clamence commence son long monologue, sa longue confession qui va se poursuivre dans les brumes d'Amsterdam, le long des canaux, dans ce bar interlope où s'est réfugié cet interlocuteur dont on saura si peu. Clamence va exercer son métier, celui de juge-pénitent, et s'accuser pour pouvoir, enfin, être juge de ses semblables. Son monologue est en quelque sorte un réquisitoire désespérement lucide contre l'avocat heureux et satisfait de lui-même qu'il était avant la mystérieuse chute qui a désillé ses yeux et l'a amené à tout quitter. Pour moi, il n'y a pas vraiment de chute dans La chute. Enfin si: il y a la chute physique d'une jeune femme, il y a la chute sociale de Clamence déchu de son statut d'avocat brillant. Mais la véritable chute est intellectuelle, morale. Elle me fait penser à la chute originelle, celle d'Adam et Eve. Clamence a "connu", il a mangé le fruit de la connaissance et a été chassé de l'Eden des hommes inconscients de leur bétise, de leur fatuité et de l'inanité de leur existence. Cette connaissance n'est pas celle de la nature humaine. Clamence ne connaissait que trop bien les hommes pour avoir défendu des criminels. Il les méprisait même. Cette connaissance est celle de sa propre nature d'être humain, la prise de conscience soudaine et atroce qu'il ne vaut pas mieux que ceux qu'il méprise.

     De sa position de juge-pénitent, il jette un regard sans concession sur les relations humaines. Rien n'échappe à sa lucidité amère: amour, amitié, politique, compassion,... Clamence est un désespéré rattrapé par un cynisme qui glace d'autant plus qu'il vise et touche juste, un homme qui se punit d'avoir atteint une conscience des choses que la plupart des hommes et des femmes, aveuglés par eux-même, ne pourront jamais atteindre. A travers Clamence, Camus met au jour les ressorts de l'humain, la place centrale de l'ego dans les ressorts sociaux. Et le mensonge qui prend place au coeur des relations humaines. Ses phrases sur l'amitié sont glaçantes: "  "Surtout, ne croyez pas vos amis, quand ils vous demanderont d'être sincère avec eux. Ils espèrent seulement que vous les entretiendrez dans la bonne idée qu'ils ont d'eux-mêmes, en les fournissant d'une certitude supplémentaire qu'ils puiseront dans votre promesse de sincérité. [...] Nous ne désirons donc pas nous corriger, ni être améliorés: il faudrait d'abord que nous fussions jugés défaillants. Nous souhaitons seulement être plaints et encouragés dans notre voie. En somme, nous voudrions, en même temps, ne plus être coupables et ne pas faire l'effort de nous purifier. Pas assez de cynisme et pas assez de vertu. Nous n'avons ni l'énergie du mal, ni celle du bien."

    Tout comme le sont celles qu'il prononce sur la soif de domination, de pouvoir soigneusement dissimulée sous les oripeaux du discours

    Il n'y a rien de pur dans les relations humaines: "Je sais bien qu'on ne peut se passer de dominer ou d'être servi. Chaque homme a besoin d'esclaves comme d'air pur. Commander, c'est respirer, vous êtes bien de cet avis? Et même les plus déshérités arrivent à respirer."

    "Tout à fait entre nous, la servitude, souriante de préférence, est donc inévitable. Mais nous devons pas le reconnaître. Celui qui ne peut s'empêcher d'avoir des esclaves, ne vaut-il pas mieux pour lui qu'il les appelle hommes libres? Pour le principe d'abord, et puis pour ne pas les désspérer. On leur doit bien cette compensation, n'est-ce pas? De cette manière, ils continueront de sourire et nous garderons notre bonne conscience. Sans quoi, nous serions forcés de revenir sur nous-mêmes, nous deviendrions fous de douleur, ou même modestes, tout est à craindre."

    Et que dire de cela: "Nous sommes devenus lucides. Nous avons remplacé le dialogue par le communiqué. "Telle est la vérité", disons nous. Vous pouvez toujours la discuter, ça ne nous intéresse pas. Mais dans quelques années, il y aura la police, qui vous montrera que j'ai raison.""

    On ressort de ce texte à bout de souffle et d'espoir. C'est un coup de poing d'une rare intensité, porté par un style merveilleux qui chante encore longtemps une fois la dernière page tournée. Il y aurait énormément à en dire, à en tirer, mais je préfère me taire et laisser La chute parler pour lui-même.

    Albert Camus, La chute, Gallimard, Folio, 5/5

  • La traversée du désert

    Dans le cadre de ses activités de photographe, Ariane rencontre Gabriel Barthomieux, célèbre botaniste, explorateur du Sahara. Entre la jeune femme et le vieil homme, c'est le début d'une profonde amitié et de plusieurs voyages au coeur du désert. C'est au cours d'un de ces voyages que Gabriel Barthomieux évoque le destin d'Alexander Laing, découvreur malheureux de Tombouctou et convainct  Ariane de faire de cette aventure un roman. Mais malgré la documentation réunie, elle n'arrive pas à écrire cette histoire. Elle ne parviendra que bien des années plus tard à comprendre ce que cachait la fascination de son vieil ami dans cette histoire.

     

    Sans Papillon, je serai passée à côté de ce très beau roman, profond et dépouillé comme le désert qui y est souvent décrit. La voix d'Ariane déroule le fil d'une quête. C'est une jeune femme qui se cherche, oscillant entre la carrière scientifique à laquelle la brillante étudiante qu'elle était semblait promise, son amour de la photographie, et cette vocation d'écrivain qui va éclore sous l'influence de ce vieil homme célèbre dont elle a croisé la route. De souvenirs en souvenirs, d'époques en époque, elle évoque sa compréhension progressive de ce que cache l'histoire d'Alexander Laing. Elle y voit l'explorateur malheureux, le jeune officier trop arrogant pour survivre au désert et à ses habitant, l'homme amoureux... Jusqu'au jour où elle comprend le rôle du désert: celui qui révèle les hommes à eux-mêmes en les renvoyant à leurs faiblesses, à leur âme, à l'amour ou à l'absence d'amour qui les emplit et qu'ils pourront ou pas supporter. Le désert, paysage aride, ascétique, est au centre du récit, mais pas comme un lieu de mort et de vide. C'est le lieu où le désir affleure, monte, et où l'amour s'épanouit dans toute sa plénitude. Le lieu où l'on peut se rencontrer. C'est d'ailleurs un beau titre: la traversée du désert est le voyage physique des explorateurs, d'Ariane elle-même, mais aussi un moment de suspension qui permet de comprendre, une métaphore du vide affectif qui détruit...

    La construction complexe du roman fait suivre les méandres du chemin qu'Ariane parcourt vers une certaine connaissance, des êtres et des choses, et surtout, d'elle-même. Avec la conviction, que finalement, c'est l'amour, et le désir qui sont au centre de toute chose. C'est l'amour qui a tué Alexander Laing, incapable de faire face à l'amour qui le consumait, c'est l'amour qui a fait de Gabriel Barthomieux le scientifique de renom, c'est l'amour qui a fiat emprunter à Ariane le chemin du désert. Ce qui est sans doute le plus fascinant, c'est le lent cheminement de la jeune femme vers son ami au travers d'un autre qui est son contraire. Ce n'est qu'en comprenant Laing qu'elle va comprendre la part cachée de Barthomieux, lier le scientifique arrogant et tyrannique au vieil homme qui regardait vivre son entourage d'un oeil tendre.

    A travers ce vieil homme, on découvre en filigrane Théodore Monod, dont Isabelle Jarry a été la biographe. C'était un homme merveilleux, dont les écrits laissent apparaître la formidable intelligence et la sensibilité. On a ainsi l'impression de découvrir l'homme  derrière le scientifique, et l'écrivain. Cet écrivain sur lequel Ariane l'écrivain écrit, elle même créature d'un autre écrivain. C'est, mine de rien, une réflexion sur l'acte d'écriture, la création et son moteur.

    Une très belle lecture, dense, complexe, qui fait résonner longtemps sa petite musique. Il y a bien des choses que je n'arrive pas, là, à formuler. Je relirai sans doute ce roman, pour tenter de mettre en mots ce qui me turlupine!

    L'avis de Thom, de Caro[line],...

    Isabelle Jarry, La traversée du désert, Stock, 2008, 4/5

  • A l'abordage!!

     

    "1780... Il est beau, romantique, courageux et de haute noblesse: Joachim Valencey d'Adana. Sur sa mythique frégate qui terrorise les Anglais, il combat aux côtés des américains en lutte pour leur indépendance. Depuis l'enfance, il partage un amour hélas platonique avec Victoire, émouvante jeune femme qui habite le château voisin. Bref, il a tout... mais tous sont contre lui!"

    Voilà une quatrième de couverture qu'elle fait envie, non? Comment ça elle fait peur? M'enfin! Hé! Attendez!! Partez pas!! Il y a un deuxième tome!!

     

    "Héros de la guerre d'Amérique mais banni par Louis XVI, Joachim Valencey d'Adana et ses amis sont rappelés de leur exil par la Révolution aux abois attaquée sur toutes les frontières. Il sait qu'en France se trouve Victoire, celle dont il partageait l'amour."

    Bon, en espérant qu'il me reste encore des lecteurs à ce stade, je me dois de les rassurer. Non, je ne lis pas les romans historiques publiés chez Harlequin. Non je ne suis pas atteinte d'une crise de bluette aiguë. Parce que si les quatrièmes de couverture iraient très bien sur un Juliette Benzoni ou équivalent, ces deux romans sont écrits par Frédéric Fajardie. Et Frédéric Fajardie, je l'aime d'un amour qui ne date pas d'hier. Je l'ai découvert par ses merveilleux polars: Sous le regard des élégantes, Après la pluie, La nuit des chats bottés, Querelleur, Clause de style, avant que de mettre la main, presque par hasard sur Les foulards rouges, son premier roman historique. Après avoir été dévorée, mon édition poche d'occasion a gardé une place de choix sur mes étagères et dans ma petite tête de linotte. Mais c'est finalement Caro[line] qui m'a donné l'envie de retourner vers l'auteur. C'est donc chose faite, et avec bonheur.

    Allons-y pour un résumé de l'intrigue digne de ce nom: Joachim Valencey d'Adana est l'héritier d'une des plus vieilles familles nobles de France, mais aussi un érudit acquis aux idées républicaines et un capitaine audacieux et talentueux. Un homme dont les succès lui valent la jalousie des puissants, et les idéaux la haine. Rares sont ceux qui connaissent l'homme qui se cache sous l'apparence du noble marin. Et parmi ceux qui le connaissent, un a juré sa mort et cherche à l'atteindre par tous les moyens.

    En deux tomes, Frédéric Fajardie retrace l'histoire de la Révolution française à travers les aventures d'un personnage qui n'est certes pas atypique dans son oeuvre, mais dont le point de vue a le mérite d'être plutôt original (me semble-t-il en tout cas, si j'ai tort, n'hésitez pas à me le dire avec références à l'appui, ça me fera d'autres romans à lire!) quand on parle de cette période. Un noble, militaire de surcroît, mais honnête homme et acquis aux idées des philosophes, puis à la Révolution et à la République. Un ci-devant qui met sa vie en jeu pour voir la fin d'un régime qu'il honnit et venger la mort de ses proches. Des aventures il va en vivre. Combats navals, duels, emprisonnements arbitraires, chevauchées endiablées, il n'y a pas, ou peu de temps morts. C'est peu de dire que j'ai suivi toutes ces péripéties avec une attention soutenue quand bien même je savais pertinemment où tout cela nous menait. Car, autant être honnête, il y a de grosses ficelles. Le méchant est très méchant et se dévoile finalement assez vite, les gentils sont gentils sans être monolithiquement gentils, on sait que les choses vont relativement bien se terminer. Ce qui n'enlève rien au fait que c'est passionnant! Fajardie a l'art d'emmener son lecteur dans un voyage où il va frémir, sursauter. J'ai avalé le tout presque sans respirer! Frédéric Fajardie dit lui-même ce qu'il a cherché à faire avec La tour des demoiselles et La lanterne des morts dans un entretien (vous en retrouverez l'intégralité sur le site Fajardie.net): "Je voulais de l'évasion pure avec toujours des petits plus : arrière-plans historique et politique, thriller, histoire d'amour contrariée, duels, trahisons...[...]  Pour moi, c'est important, ces livres, je sais que là aussi j'apporte du bonheur aux lecteurs. C'est même la raison pour laquelle ce qui devait être une simple incursion, une reconnaissance, se transforme en occupation du terrain. Je soigne l'écriture, je donne au style quelques tournures d'époque, différentes pour chaque période : je veux que le plaisir ne soit pas altéré par ce sentiment de littérature vite écrite qui est souvent la faiblesse du genre, je veux que les lecteurs profitent pleinement de l'évasion que je leur propose." C'est réussi!

    J'ai bovarysé à fond les manettes tout au long de ma lecture: il faut dire que pour un héros, c'est un héros! Beau, charismatique, loyal, courageux, sensible, romantique, intelligent, des yeux gris-vert...hum... pardon, je m'égare. Un homme en apparence parfait qui cache ses failles et qui n'en est que plus attachant. Comme ses compagnons: Mahé, Victoire, Greville et les autres. A travers eux, Fajardie trace en filigrane le portrait de la France de la fin du 18e siècle, déchirée entre les idées des Lumières, la République et une monarchie et une religion qui ont si longtemps empreint la société qu'elles ne meurent pas sans dégâts. Même superficiel, ce tableau montre que l'auteur s'est documenté sur cette période et utilise le fruit de ses recherches pour donner de la vie et de la profondeur à ses décors. Le plus notable dans tout cela reste son approche plutôt intéressante de la Révolution. Valencey d'Adana est un pur, un Montagnard, ami de Robespierre et de Greville, chef de la police secrète. Ce n'est pas pour autant qu'il soutient la Terreur, mais le regard qui est porté sur Robespierre par exemple lui donne une autre dimension que celle des livres d'histoire. C'est un pur, brûlé par ses idéaux, et prêt à tout, même au pire pour que cette république qu'il a appelé de ses voeux soit pérenne. Que l'on adhère ou pas à cette vision, le personnage qu'il fait vivre dans ses pages éveille l'intérêt. C'est peu de dire, je pense, que Frédéric Fajardie laisse transparaître dans ces pages ses propres convictions, celles dont il parle dans les entretiens qu'on peut lire sur le site officiel qui lui est consacré. Et sans oublier l'humour: même au pied des échafeaux, on rit.

     

    Bref, c'est un de ces bonheurs de lecture dont on se souvient longtemps! Fortement conseillé en ces temps de froidure pour réchauffer un brin le quotidien!

    L'avis de Lilly.

     

    Frédéric Fajardie, La tour des demoiselles, Jean-Claude Lattès, 2005, 350 p.

                              La lanterne des morts, Jean-Claude Lattès, 2006, 426 p.

  • Un livre + un livre=un homme

     

    Des îles écossaises, un manoir qui tombe en ruines, le trésor perdu d'un ancêtre, écrivain mort de rire en 1660, un prêtre qui a jeté sa soutane aux orties à cause des genoux d'une jeune étudiante en littérature... Voilà les ingrédients d'un roman qui emmène son lecteur dans un labyrinthe littéraire ma foi fort tortueux.

     Il est de fait quasi impossible de se livrer à l'exercice du résumé quand il s'agit d'une intrigue aussi tortueuse et retorse que celle que se plaît à offrir Jean-Pierre Ohl. Tortueuse et retorse, mais en même temps absolument fascinante, et totalement réjouissante.

    Reprenons depuis le début. Nous avons d'un côté, sur son île, Mary Guthrie, passionnée de littérature, amoureuse du prêtre de sa paroisse et accessoirement, fascinée par un obscur écrivain du 17e siècle, Sir Thomas Lockhart; de l'autre, Ebenezer Krook, prêtre à la personnalité un tantinet compliquée, mort de peur face aux livres et aux femmes. Ce qui ne l'empêche donc pas de tomber amoureux des genoux de Mary et, pris d'une crise de foi au sens propre comme au figuré après avoir fauté avec sa belle (et ses genoux, donc), de quitter avec perte et fracas son sacerdoce. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que leur destin va aussi se rejoindre dans la traque de Sir Thomas et de son trésor perdu.  Trésor retrouvé et caché par un ancêtre au sens de l'humour aussi complexe que le secrétaire aux 32 tiroirs qui cache les indices y menant.

    Voilà la base. Nous sommes donc devant deux récits picaresques croisés qui vont se croiser. L'une va se découvrir en cherchant à comprendre un écrivain, l'autre va apprendre à se connaître en apprivoisant petit à petit la littérature. Cette littérature si importante pour l'auteur qu'il se livre à un véritable festival de référence totalement maîtrisées et utilisées magistralement. C'est toute la littérature gothique a qui il est rendue un hommage sous forme de pastiche, Mary errant dans des décors dignes des plus belles pages du genre: souterrains humides, cryptes lugubres, manoir hanté par les courants d'air et les fantômes, qu'elle décrit avec une distance et un humour assez dévastateur. La littérature gothique, mais aussi Dickens et Thackeray par la bande, de Jack London et Stevenson. Sans compter que ce bon vieux Eric Blair, autrement connu comme George Orwell n'est rien moins qu'un personnage de notre histoire. Bref, vous l'aurez compris, Jean-Pierre Ohl aime la littérature classique et sait faire partager sa passion sans écraser le lecteur sous sa science ni paraître donner un cours d'histoire de la littérature. Rien que pour cela, il mériterait une décoration.

    Mais ce que j'ai le plus apprécié dans ces pages est sans conteste l'amour des livres qui s'en dégage. Le parcours d'Ebenezer Krook est pour moi fabuleux. Celui d'un homme qui n'aime pas les livres, qui en a peur même.

    "ILs étaient là, autour de moi. Des milliers. Pareils à des fauves de cirque jaugeant le nouveau dompteur. Feignant de vaquer à leurs occupations, mais attentifs aux moindres de mes faits et gestes. A mon approche, Scott et Stevenson interrompirent leur conciliabule, qui recommença dès que j'eus le dos tourné. La Guerre des Gaules se rétracta vers le fond de l'étagère, dans une attitude plus menaçante que respectueuse. "

    Mais qui croise la route d'un libraire, un vrai. En fait, Walpole est même un archétype de libraire à l'ancienne dans sa petite boutique obscure, avec son plaid sur les genoux et son bonnet. Une de ces icônes qui rappellent ce que l'on attend d'un passeur de livre: transmettre, discuter, argumenter, aider les livres à vivre leur vie. Et aider les lecteurs à trouver les livres qui vont leur permettre de mieux vivre, voire, de vivre tout court.

    "Francis Krook était un homme parmi les autres, un lecteur parmi les autres, cherchant dans tous les livres, les pièces manquantes de son propre puzzle. [...] Cependant, une autre voix, plus lointaine mais plus entêtante, se mêlait à la première: " Et si justement un petit morceau de Francis Krook était là aussi, dans ce livre qu'il n'a pas lu? Précisement dans ce livre qu'il n'a pas lu?"

    Sont-ce nos lectures qui font de nous ce que nous sommes, ou ce que nous ne lisons pas qui révèle au contraire ce que nous sommes? Jean-Piere Ohl pose, qu'il l'ait voulu ou non beaucoup de questions sur la lecture et le pouvoir de la lecture. Et c'est à travers ces questions et les réponses qu'il y apporte qu'Ebenezer Krook finit par commencer à se trouver.

    Cet amour de la littérature nourrit une intrigue haute en couleur, complexe. L'auteur parvient à tisser les fils d'une histoire compliquée, opaque, qui en s'entrecroisant, finissent par dessiner une trame que l'on ne voyait pas venir. On est dans un roman picaresque, mais on est aussi dans un roman d'aventure, un roman policier, un roman de guerre. Une somme de genres qui loin de donner un sentiment de fourre-tout, forme un ensemble cohérent, servi par des personnages attachants. Les héros de l'histoire, Mary et Ebenezer bien sûr, pas toujours sympathique, parfois franchement têtes à claque. Mais aussi les autres: Walpole le libraire, Scot Fleming, le père Morton et ses flatulences, la tante Catriona, grande voyeuse devant l'éternel, la gardienne de musée cricketeuse à ses heures, Robin Denisson et Lewis Rosewall... Tous, même quand ils n'ont que quelques lignes qui leur sont consacrées ont de l'épaisseur et de l'humanité. Ajoutez à cela un style alerte et agréable, et vous comprendrez que j'ai si fort apprécié cette lecture.

     L'avis enthousiaste et enthousiasmant de Lou, de Celsmoon, de Brize moins convaincue.

    Jean-Pierre Ohl, Les maîtres de Glen markie, Gallimard, 2008, 354 p. 4,5/5