Les femmes d’Arlington Park ont en apparence tout pour être heureuses. Maris, enfants, maisons… Et pourtant… Pourtant la frustration, l’envie, le désespoir, la jalousie et la dépression règnent en maîtres derrières les sourires. Juliet Randall, Maisie Carrington, Amanda Clapp, Solly Keir-Leigh ont toutes le sentiment d’être passées à côté de leur vie. Rachel Cusk raconte 24 heures de leur vie quotidienne, de leur enfer quotidien, 24 heures au cours desquelles l’inanité et le non-sens de leurs existences leur saute au visage.
J’ai abordé ce roman de la rentrée littéraire avec les a priori dictés par ce que j’en avais entendu dire et les critiques que j’avais lues. Un Desperate Housewives dans la banlieue londonienne. Je comprends mieux après lecture l’énervement de l’auteur lorsqu’on qualifie son roman ainsi. Rien de la série télévisée ici. Pas d’humour, pas de situations rocambolesques, pas de gaffes. Rien que le glauque, le sordide du quotidien.
J’ai trouvé la construction de la journée assez intéressante. On commence à suivre à la fin d’une soirée, on les quitte à la fin d’une autre. Entre temps, nous aurons découvert Arlington Park. D’entrée de jeu, l’auteur donne le ton. Il n’y aura pas grand-chose de rose : une banlieue endormie sous la pluie, des détritus dans un caniveau, la pluie qui tombe sur des humains qui s’agitent. Quelques pages qui dressent le portrait d’une prison sans barreaux, impression renforcée par le chapitre qui coupe le roman en deux. Décrivant le parc d’Arlington Park en fin d’après-midi, il confirme tout ce que l’on pouvait avoir appris sur ce lieu et sur les personnages qui le peuplent. Le malaise s’installe progressivement, lentement, mais sûrement.
C’est avant tout le portrait de femmes qui se sentent enfermées dans la vie qu’elles mènent entre mari et enfants. Des femmes qui avaient un avenir prometteur avant de se marier. Des femmes qui ont le sentiment de se mouvoir dans un monde irréel, dans la ouate d’un confort qui les aliène. Le regard qu’elles portent sur ce monde qui est le leur est empreint de dégoût, de noirceur. Le regard qu’elles portent les unes sur les autres est empreint d’une dureté folle, de jalousie, d’incompréhension, de fiel. L’amertume et l’aigreur dont elles font preuve soulèvent le cœur par moment. Petites vengeances contre les amies et les maris, remarques blessantes, elles n’épargnent rien ni personnes, surtout elles-mêmes dans leurs moments de lucidités.
Mais le pire est sans doute que tout en étant conscientes de leur prison, elles sont incapables d’en sortir, incapable de se révolter autrement qu’en passant, finissant par se convaincre elles-mêmes que la vie qu’elles mènent n’est pas si mal que ça.
Leur vie les empêche de voir la beauté du monde qui les entoure, malgré quelques moments de grâce. Tout y passe.
C’est aussi le portrait au vitriol d’une classe moyenne et d’une classe supérieure contente d’elle, imbue de sa situation et de ses privilèges.
C’est très bon, bien écrit, bien construit. On reste un peu trop en surface parfois. C'est en tout cas définitivement très mauvais pour le moral. J’en avais l’estomac retourné par moment, et j’en suis ressortie avec la ferme intention de ne jamais prendre mari ni avoir d’enfants ! J’ai eu un peu de mal à le terminer du coup. Mais c’est sans aucun doute un coup de poing.
A posteriori (une bonne semaine de réflexion tout de même), je me rends compte que le tout était un tantinet agaçant ! Trop de noirceur, un regard trop pessimiste sur la nature humaine. Il semble un peu à la « mode » de dénoncer maternité, et vie de famille comme une pure aliénation… Je n'ai pas l'expérience nécessaire pour donner un avis circonstancié sur la vie d'une mère, et a fortiori d'une mère au foyer, mais si c'était si terrible que ça, il n'y aurait vraiment aucune femme heureuse... Ce qui me paraît un tantinet outrancier! Mais c'est vrai que Rachel Cusk décrit aussi une autre manière de vivre la féminité et la maternité à travers un personnage particulier... Je n'en dirait pas plus!
Extraits:
Extraits:
« Elle se demanda si les livres qu’elle aimait la consolaient précisément parce qu’ils étaient les manifestations de son propre isolement. Ils étaient pareils à de petites lumières sur une étendue déserte, une lande : de loin ils semblaient serrés les uns contre les autres, innombrable, mais de près on voyait que des kilomètres et des kilomètres d’obscurité et de vide les séparait. »
« Etait-ce cela que Juliet serait un jour ? Vide, entièrement déversée en Katherine, en Benedict et Barnaby ? Morte et pourtant vivante ? »
« On se rend compte qu’on attend quelque chose, dit Juliet, qui n’arrivera jamais. La moitié du temps on ne sait même pas ce que c’est. On attend la prochaine étape. Puis, à la fin, on comprend qu’il n’y a pas de prochaine étape. Il n’y a rien de plus que ça. »
« Elle vivait maintenant dans une sorte de boucle ou de circuit qui la faisait passer par les mêmes endroits et la ramenait sans cesse aux mêmes choses. »
Clarabel en parle, Cathulu aussi.
Rachel Cusk, Arlington Park, Editions de l'Olivier, 2007,
Commentaires
j'avais lu quelques critiques ça et là sur des blogs qui rejoignent la tienne. Mon avis reste le même, d'autant plus si ça déprime et qu'on en arrive à ne plus vouloir avoir d'enfants ! S'il me passe sous les yeux, pourquoi pas ? Mais sinon, je passe mon tour, tu me tentes bien assez comme ça avec tes lectures chiffonnette! ;-)
Ouf! Je commençais à me sentir coupable! Mais en fait, je n'étais pas franchement tentée à la base! C'est jsute l'occasion qui a fait le larron!Au final, je ne regrette pas, mais c'est vrai que cette tendance à noircir le trait de la maternité et de la condition féminine en occident me fatigue un peu. D'ailleurs j'ai laché Abécassis pour ça!
Il est dans ma PAL depuis sa sortie : c'est effrayant cette description des femmes au foyer.... ceci dit, et pour l'avoir été quelque temps, il y a un peu de vrai la-dedans... donc j'ai envie de le lire vite!
Ben à part la fatigue chronique et un peu de soucis, c'est plutôt pas mal la maternité! :))) (Quant à la vie de femme au foyer, pas testé...:))
Ca m'intéresse pas mal, loi, la critique de la vie de femme au foyer, même si ça n'a rien de neuf. Lire "La femme gelée" d'Annie Ernaux, par exemple ! Je pense que ça devient vraiment invivable quand on est assignée d'office à un rôle et qu'on ne peut plus en sortir...
Non, non n'en dit pas plus, car je l'ai dans ma PAL !! ;-)))
Il se trouve que j'avais très envie de lire ce livre.... et je l'ai abandonné. Le début était déprimant au possible ! Je ne suis ni pour idéliser la maternité et la vie de famille, ni pour y voir la pire des choses ! Donc j'ai laissé tomber. J'en parlerai bientôt chez moi .
Ben dis moi, Chiffonnette, ton futur mari, il doit être bien triste, à lire dans ton billet que tu ne veux plus de lui ! ;-))
Sans doute, mais à ce point.... J'ai failli faire voeu de stérilité!
Ouf! Ca rassure un peu! C'est vrai que tu n'as pas l'air malheureuse!! ;-)
Sans doute, mais le pire dans ce livre, c'est que ces femmes se sont enfermées toutes seules dans ce rôle, et qu'il y en a une qui continue à travailler! C'est pour ça qu'il met autant mal à l'aise je pense. Elles se sont construit leur prison toutes seules, et elles s'y maintiennet seules. C'est vrai aussi que la critique de la femme au foyer n'est pas neuve, mais Rachel Cusk parvient à faire originial! C'est déjà méritant! Mais comme en plus, c'est un bon roman...
Promis je me tais!
J'ai hâte de lire ton avis! Je t'accorde qu'elle donne le ton dès le départ! Mon malaise a été immédiat, mais la curiosité a été plus forte que la tentation de l'abandon! Curieux comme on est accroché parfois!
L'homme invisible? Meuh non! J'ai changé d'avis depuis!! Après tout ça tient chaud l'hiver ces petites bêtes là! Même s'il faut des boles quiès!
Bah moi j'ai trois môme déjà donc je risque pas grand chose et puis j'ai une certaine nostalgie du temps ou j'avais du temps... et aujourd'hui j'aimerai bien tiens plus de temps pour lire, pour bloguer, pour trainer, pour bader, pour faire des trucs et des machins (ma calligraphie chinoise en rade depuis... sans parler de ma broderie...) d'un autre côté je connais des femmes qui le vivent plutôt mal.. à voir peut être ! ;-)
et bien oui, moi aussi je passais allègrement à côté de ce livre sans trop avoir envie de le voir. Mais ce que tu en dis m'interesse beaucoup finalement. Bon, je n'ai jamais été femme au foyer, mais j'ai trois enfant, je travaille à plein temps , j'ai une maison, pas de femme de ménage... et si la vie avait été autrement ? J'y pense des fois, et ça ne donne pas toujours des idées roses... Mais bon, tous les choix qu'on fait impliquent des renoncements. Ne pas avoir d'enfant est un renoncement aussi. Ce que je trouve éventuellement interessant dans le livre dont tu parles, c'est que l'auteur a l'air d'y aller franco dans son propos, avec une grande liberté de ton et sans ménagements pour ses personnages. Je pense que ça devrait me plaire.
En même temps, il doit bien y avoir un moyen de vivre bien ce statut! En fait je n'en sais trop rien! Je me demande bien quelle serait ma réaction!! Probablement pas cette absence de réaction des "héroines" de Cusk en tout cas! Mais comme tu le dis, à voir!
C'est ce qui m'a accroché, cette liberté de ton, et ce refus des concessions! Mais c'est aussi ce qui m'a agacée!! C'est un peu trop poussé! Et sans doute un peu trop réaliste par moment! Le pire étant effectivement que ces femmes refusent le choix qui leur reste: changer de vie, quitter famille et mari, reprendre le travail... Elles sont leur propre aliénation parce qu'elles ont renoncé sans comprendre qu'elles renoncaient! Je trouve que ça fait peur parce qu'on n'est pas à l'abri de ça et de cette aceptation. En fait, plus je réflechis à ce livre, plus je suis perpexe sur mes sentiments à son égard!! °°
Bizarre que ça t'ait autant retournée .
C'est vrai, mais j'avais déjà le moral en berne, et ça ne m'a pas arrangée! Ceci dit, je m'en suis remise!!
Je n'ai pas lu ce livre, mais tu donnes bien l'impression qu'il doit être très fort. Je suis tentée du coup. C'est vrai qu'il y a des livres qui peuvent faire déprimer et qui, de ce fait donnent à réfléchir. C'est sûr qu'il ne faut pas se lancer sans réfléchir dans la vie de femme au foyer. Sans parler de la monotonie, dépendre d'un autre pour avoir de l'argent ("le nerf de la guerre", de la liberté en fait) c'est abdiquer une grande part de son autonomie. Je ne dis pas qu'on ne peut pas le faire, je dis qu'il faut bien y réfléchir. Et bien qu'il n'y ait pas de rapport, je dois dire aussi que j'appréciais le feuilleton télé ;-) qui pour le coup, ne filait pas le cafard.
Je n'ai pas regardé tout le feuilleton! Mais il y avait des moments absolument hilarants! Quand au roman, il est effectivement intéressant parce qu'il fait réflechir! Mais il faut alterner avec des lectures un peu plus légères!!
Bonjour, j'ai dit tout le bien que je pensais le 17/10/08 de ce roman lu en poche. Je le répète, j'attends son prochain roman s'il est de la même veine. C'est noir, pessismiste mais vraiment très bien. Bonne après-midi.
@ Dasola: mon souvenir s'est un peu estompé depuis, mais je persiste! Le sentiment de malaise est ce qui prédomine aujourd'hui quand j'y repense! Ceci dit, je serais assez curieuse de découvrir le reste de son oeuvre!