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forster

  • Maurice (non pas le poisson rouge)

     

    Depuis son adolescence, Maurice, jeune homme bien comme il faut de la bourgeoisie anglaise fait des rêves étranges. Sa nature mélancolique, confuse lui fait traverser le monde dans une espèce de brouillard. Pétris des convictions et des conventions de sa classe, il vit sans vraiment vivre. Jusqu’à ce qu’il rencontre Cliveà Cambridge. Maurice va alors entamer un long chemin vers la découverte de soi, l’acceptation de son homosexualité et la révolte contre une société qui écrase la différence.
     
    Maurice est un roman qui m’a littéralement happée. Dans cette chronique sociale des années 20, E.M. Forster traite de l’homosexualité avec une grande intelligence et une grande finesse. On frôle parfois un brin la caricature (ce qui est du sans doute à sa volonté d'entrecroiser les trajectoires des personnages), mais son regard sur la naissance d’un amour certes interdit, mais d’un amour reste plein d’humanité. 
    Ceci dit, le couple formé par Clive et Maurice, leur amour naissant puis mourant est surtout le prétexte à une étude sociale comme Forster sait les faire. Le sujet central du roman, outre l’homosexualité, est le poids des conventions sociales sur les êtres. J’ai trouvé intéressant le cheminement des personnages.
    Clive le libre-penseur, le premier à avoir admis sa différence, l’initiateur qui finalement se laisse rattraper par la société. Pris dans un carcan dont il a conscience, il y cède pourtant. D’ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure il s’était libéré de ces carcans, tant son acceptation de son homosexualité restait intellectuelle et platonique. Il s’intègre, mais au prix de la perte de soi. Et son attitude n’est pas exempte de paradoxe. Le rejet qu’il risque par l’amour interdit qu’il porte à Maurice, il le reporte sur les femmes avec une misogynie hallucinante, représentative de l’époque mais exacerbée. Le politicien qu'il devient n'est que préjugés.
    Maurice, le bourgeois anglais type qui découvre la possibilité d’un amour entre homme, qui l’accepte et qui prend le risque de le vivre. Son cheminement n’est pas facile. On le suit dans ses atermoiements. Cela en fait un personnage vivant. Il n’est pas exempt de défaut. Il y a des pages où j’ai eu envie de le secouer ! Mais c’est ce qui le rend attachant. Dans sa confrontation aux normes, dans sa prise de conscience que le désir qu’il ressent peut être le seul moyen d’épanouissement pour lui quoiqu’en dise la société, il prend une dimension quasi héroïque tout en gardant ses défauts, ses faiblesses, et son humanité.
     Forster a de plus l’intelligence d’éviter le happy end ! Pas de drame, mais une fin qui laisse l’avenir des personnages en suspens. La lumière est faite sur la conquête de la liberté. Ce qui sera fait de cette liberté ne regarde plus que les personnages.
     
     
    L’autre chose que j’aime énormément chez Forster est son regard acéré sur la société dans laquelle il vit. Le tableau qu’il fait d’aristocrates et de bourgeois sclérosés dans leurs privilèges de classe, dans leur mépris pour les classes « inférieures » est d’une cruauté réjouissante. De petites phrases assassines en petites phrases assassines, Forster met en lumière leurs défauts, leurs renoncements, leurs lâchetés communes, leur médiocrité ! Et surtout, il n’épargne personne. Pas même lesdites classes « inférieures » dont il pointe tout autant les défauts !


    Bref un magnifique roman dont Forster a refusé la publication de son vivant par peur des conséquences.



    E.M. Forster, Maurice, 10/18, 2006, 279 p.
  • Chambre avec vue

    Ekwerkwe a été tellement convaincante que j'ai filé chercher à la médiathèque la plus proche l'exemplaire disponible de Chambre avec vue, l'adaptation par James Ivory du roman de E.M. Forster, Avec vue sur l'Arno. Ce fut un moment charmant que j'ai savouré avec la conscience de ma chance. Car si on ne retrouve pas dans l'adaptation toute l'irrévérence de Forster, les paysages florentins sont sublimes, le scénario en tout point fidèle à l'oeuvre, et les acteurs... Julian Sands et Rupert Graves courant tous nus en pleine nature, avec Daniel Day-Lewis trainant dans le secteur. Miss Bonham-Carter est intelligemment boudeuse et Maggie Smith une adorable vieille fille. Tout ce beau monde est brillant, et je pense que je vais enchainer tous les films d'Ivory. Après tout, pourquoi bouder son plaisir...

  • De fleuves en paturages

     
     
     
     
     
     
     
     
    La jeune Lucy Honeychurch part à la découverte de l’Italie. Mais comme toute jeune fille de bonne famille à l’aube du 20e siècle, elle le fait accompagnée de sa vieille fille de cousine Charlotte. A Florence, le hasard et les déboires touristiques veulent que leurs chambres qui devaient avoir vue sur l’Arno donnent sur la cour. En violation de toutes les convenances et bonnes manières, les Emerson pères et fils proposent de les échanger avec les leurs qui bénéficient de la vue attendue. De fil en aiguille et malgré les efforts de la zélée Charlotte, Georges Emerson et Lucy se rapprochent. Et ce n’est pas leur départ qui va changer quoi que ce soit… C’est une Lucy fiancée à un redoutable jeune homme de bonne famille qui va retrouver les Emerson installés dans le même village que sa famille. Et comme l’amour ne va pas sans obstacles, nos deux jeunes héros auront bien des obstacles à surmonter, des chausse-trappes tendues par leur entourage à leurs propres incohérences et peurs.
     
     
    Moi qui me disais que ce roman serait facile à résumer, et bien j’avais tout faux ! Il est bien difficile de donner un aperçu fidèle de ces romans où il ne se passe rien et tant de choses à la fois ! Quoi qu’il en soit, Avec vue sur l’Arno est un nouvel exemple de cet art anglais du thé et de la littérature. Au départ rien de nouveau, voire même un brin d’ennui. C’est que ces aventures d’anglaises perdues à ce qu’elles considèrent comme les dernières terres civilisées ne paraissent pas fascinantes. Tout juste drôles. Et pourtant, dès l’apparition de l’irrévérencieux révérend Beebe, dès les premières velléités d’indépendances de Lucy, dès les premières remarques acides et si polies, on est séduit. La narration poursuit son petit bonhomme de chemin sans se presser et recèle bien des richesses. Sous les aspects faciles se cachent une foule de petites remarques qui en apprennent beaucoup sur la nature humaine. Lucy et sa crise d’adolescence, sa soif de liberté étouffée par les bonnes manières ; Georges et son mal du siècle ; M. Beebe, son faux dédain des convenances et son attitude ambiguë vis-à-vis de ses paroissiens comme du mariage ; Charlotte et ses souffrances cachées, ses atermoiements de vieille fille… Tout cela est très moderne. J’ai fini par m’attacher à chacun de ces personnages qu’on laisse au seuil d’une nouvelle évolution à la dernière page du roman. C’est une jolie histoire sur la nécessité de se connaître et de s’accepter, d’accepter ses besoins. C’est aussi une jolie histoire sur la liberté. Et une critique sympathiquement virulente des convenances sociales. Très anglais et fort agréable, parfois lyrique et même romantique, et surtout, délicieusement caustique malgré quelques longueurs un peu pénibles.
     
     
    « Le lecteur n’aura pas la moindre difficulté à conclure : elle aime le jeune Emerson. Mais à la place de Lucy le lecteur aurait eu des difficultés. La vie se raconte aisément – vivre déconcerte davantage. Les « nerfs » ou tout autre expression banale, masquant et désignant à la fois nos désirs personnels sont alors les bienvenus. Lucy aimait Cecil ; Georges la rendait nerveuse ; le lecteur sera-t-il assez bon pour l’inviter à intervertir les termes ? »
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    L'avis de Lilly, celui de Papillon.
     
     
     
     
     
    E. M. Forster, Avec vue sur l’Arno, 10/18, 2006, 284 p.