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Bulles - Page 5

  • Maus

    Art Spiegelman, dessinateur et auteur américain underground décide de réaliser une bande dessinée sur la vie de son père, juif polonais qui a survécu à la déportation. Pendant de longs mois il va récouter le récit de ce vieil homme malade qui lui raconte la vie avant, les ghettos, son mariage heureux, la guerre et les camps de la mort, le miracle de sa survie et de celle de son épouse. L'occasion pour lui de commencer à se réconcilier avec l'histoire de sa famille et avec un père qu'il a tant de mal à comprendre.

    On pourrait se dire qu'il s'agit d'un énième récit sur la Shoah, d'une bande dessinée étrange et hermétique, d'un récit autobiographique pas très alléchant en noir et blanc et très stylisé. C'est loin, très loin d'être le cas. Si Maus est au premier abord une oeuvre dans laquelle il est difficile d'entrer, elle a tôt fait de vous prendre dans ses filets. Art Spilegelman a pris le parti de faire des personnages de son histoire des animaux: les juifs sont des souris, les nazis des chats, les polonais des cochons. Le choix de représenter les différentes nationalités ou "races" par des animaux m'a interrogées. L'image du chat et de la souris qui sous-tend l'oeuvre est évidente, celle du cochon également. Mais est-ce une manière de ramener les hommes aux archétypes raciaux qu'ils étaient devenus à cette époque par la faute des théories nazies? Est-ce une manière de se distancier de l'insoutenable et de venir à bout de cette histoire familiale qui a empoisonné sa vie?

    Maus n'est pas seulement l'histoire de la Shoah à travers la vie d'un individu. C'est aussi une réflexion sur ce que représente être l'enfant de survivants, sur la manière dont on peut appréhender et intégrer ces faits historiques qui ont marqué d'une empreinte indélébile les personnalités de ceux qui sont revenus des camps. Spiegelman raconte pourquoi et comment il en est venu à arracher à son père son histoire, comment il arbitre entre ce récit et l'image de ce vieil homme égoïste et avare qui lui gâche la vie. Comment il essaie d'intégrer cette histoire qui n'est pas la sienne mais qui définit tellement ce qu'il est au point de l'étouffer de la culpabilité d'être vivant quand les autres, comme son frère Richieu qu'il n'a jamais connu, sont morts dans ces conditions atroces.

     

    L'aller-retour entre le présent du fils et le passé du père rend permet d'appréhender l'après. Le plus frappant dans tout ça reste l'absence totale de mélodrame: le père raconte de manière factuelle cette période de sa vie, n'essaie jamais d'embellir son rôle. Il raconte simplement à son fils ce qu'il lui a fallu faire et abdiquer pour survivre aux années de guerre en étant juif polonais. La simplicité du récit rend d'autant plus fort l'impact des images, et des faits. C'est dense, lourd, difficile à lire et c'est bien, parce qu'on prend le temps de la lecture, de la compréhension et de la réflexion. On prend de plein fouet l'horreur. Voir l'histoire à travers des destins d'individus et pas à travers les parcours de héros ou des faits bruts la rend vivante, touchante, révoltante comme elle doit l'être sans rien obérer de la rigueur nécessaire à ce genre de récit. Parce que c'est arrivé à des gens comme vous et moi, avec leurs qualités et leurs défauts et qui ne demandaient qu'à vivre tranquillement.

     Un grand classique de la bande-dessinée, certes, mais aussi une lecture indispensable et salutaire et un grand moment de BD.

    L'article époustouflant de Céline,  la série de Catgirl, l'avis d'Emeraude.

     

    Art Spiegelman, Maus, t. 1 et 2, Flammarion, 1994 5/5

  • Pilule bleue

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    Frederik aime Cati, Cati aime Frederik. Mais Cati est séropositive, tout comme son petit garçon...

     Pilule bleue est un roman graphique extrêment touchant. Pas de morale, pas de pitié ni de sensiblerie larmoyante, juste la vie quotidienne d'un couple presque comme les autres: Cati a un petit garçon qu'il faut apprivoiser, il y a les voisins, les copains, le travail, et presque en plus, la maladie qui s'immisce dans les failles et qui rend cet amour plus profond et plus vrai. Parce qu'il y a la mort qui rode, Frederik et Cati le vivent avec intensité, bonheur et angoisse. Frederik, le narrateur, fait partager ses pensées, ses doutes, l'admiration profonde qu'il ressent pour cette femme qui lutte contre la peur et contre la mort, contre la culpabilité d'avoir transmis à son petit garçon la mort en même temps que la vie. On prend plaisir à le suivre quand il raconte la première rencontre, le coup de foudre qui n'est pas réciproque, la vie qui éloigne, la redécouverte de l'autre, l'amour qui naît de nouveau, l'aveu de la séropositivité et les questions qui suivent. Avec pudeur et dignité, il montre de quelle manière il est parvenu à accompagner Cati et son fils.

     Ses réflexions sur la vie, la mort, la maladie et le sens de l'amour sont d'autant plus percutantes qu'elles font partie d'un choix de vie qui est loin dêtre facile.

    C'est une belle histoire qui démythifie la séropositivité en douceur dans une veine autobiographique parfaitement maîtrisée. Peeters sait parler de ses interrogations, de ses doutes, de ses peurs et de la maladie qui guette avec humour et une certaine légéreté qui rappelle que les séropositifs sont des gens  qui ont droit au bonheur comme les autres. 

     Bravo monsieur Peeters pour cette oeuvre superbe, touchante et utile.

    L'avis de Laurent, de Cathe.

    Frederik Peeters, Pilule bleue, Atrabile, 2001, 200 p.

  • Période glaciaire

     

    Dans un futur lointain, la Terre est couverte de glace. Mais une chose n'a pas changé, les hommes sont toujours en quête de leur passé. Ainsi, une équipe de scientifiques parcourt les grands espaces pour trouver des témoignages de l'histoire des hommes. Au détour d'une tempête, ils tombent sur un étrange monument qui s'avère être le musée du Louvre.

    Voilà fort longtemps que je voulais parler de ce petit bijou qu'est Période glaciaire où le talent de Nicolas de Crécy trouve pleinement à s'exprimer. Le scénario est intelligent, palpitant, plein d'humour, érudit, bref, il est passionnant. Et une fois qu'on s'est habitué à son dessin qui a des apparences d'aquarelle, on l'avale avec appétit!

    D'ailleurs, à titre d'exemple, voilà une fort jolie planche extraite de l'album

    De quoi est-il question? Avant tout de la manière dont l'homme écrit l'histoire. Les archéologues et autres scientifiques du futur cherchent à décrypter la civilisation du 21e siècle à l'aune des vestiges qu'ils retrouvent pris dans les glaces. Les voir discuter de la signification des tags qu'ils assimilent à des inscriptions religieuses, refaire l'histoire de notre civilisation à partir des tableaux du Louvre est tout bonnement passionnant en plus d'être hilarant. C'est de fait une réflexion ludique sur les sciences humaines et l'interprétation que l'on donne à ce que nos ancêtres ont laissé derrière eux. Ludique parce que lorsque nos personnages découvrent le Louvre, ils sont comme devant des enfants devant un arbre de Noël, et comme des scientifiques soudain submergés par des informations qu'il leur faut décrypter, classer, interpréter dans des conditions difficiles. La réflexion sur les sciences humaines s'accompagne d'une rélfexion sur l'oeuvre d'art et le décalage entre ce que l'artiste a voulu représenter, signifier, et ce que celui qui regarde peut percevoir.

    Mais surtout, c'est là que le fantastique fait irruption dans le récit. Avant, c'est de la science-fiction, de l'anticipation pour être plus exacte. Mais une fois que les oeuvres d'art se mettent à parler... Alors là, l'absurde commente à règner en maître. Les représentations du Christ se battent pour savoir qui est la bonne, le boeuf écorché de Rembrandt est de très mauvaise humeur, les divinités se chamaillent... Et entre deux, les oeuvres daignent raconter à Hulk, le cochon-chien doué de parole ce qu'était le Louvre, ses visiteurs, ses us et coutumes, Paris autour. Le regard sur la civilisation du tourisme et de la culture n'est pas piqué des hannetons.

     

    La manière dont Nicolas de Crécy reproduit les oeuvres, les mêle, les utilise démontre, s'il en était  besoin son talent et son imagination débordante. Il offre une oeuvre foisonnante et profonde qui est passionnante de bout en bout et prend la forme d'un superbe album au beau papier. Bref, un coup de coeur, vous l'aurez compris!

     

    Un article sur BDNet, l'avis de Sylvie, de DDa.

     

    Nicolas de Crécy, Période glaciaire, Futuropolis, Louvre, 2005

  • Top Ten

    Robyn Slingen, dite Toybox, vient de prendre son service au commissariat de la ville des super-héros, Neopolis. De trafics de super-drogues en délits divers et variés, de serial-killers extraterrestres en courtiers en assurance gonflables, elle va découvrir les aléas de la vie d'un commissariat dans un univers où les super-héros sont des gens comme les autres.

     Première incursion pour moi dans l'univers d'Alan Moore, grand maître du comics s'il faut en croire ce que j'ai lu ici ou là sur la question. Je le dis tout de suite, ce sera fait, l'essai est transformé et de main de maître (ça tombe bien). C'est drôle, bourré de détails hilarants, prenant et superbement bien ficelé. L'idée en elle-même est déjà réjouissante: que deviennent les super-pouvoirs quand tout le monde en a? Est-ce que tout le monde est un super-héros ou est-ce que tout le monde devient super-ordinaire? Evidemment, tout le monde devient super-ordinaire. Alors bien sûr Gograh alias Godzilla vient protester complétement bourré contre l'arrestation de son rejeton, un cinglé pique des rennes pour faire voler son traîneau, les dieux se trucident à répétition, les meurtres et autres délits sont rendus pittoresques par l'usage de capacités parfois un peu étranges, mais finalement, on retrouve le quotidien haut en couleur d'un commissariat. Il y a des monstres partout, des dieux et des robots, tout ce petit monde formant une société qui ressemble fort à la notre. L'occasion de parler aussi de racisme, de progrès et de différence.

    De tomes en tomes, Alan Moore présente ses différents personnages et élabore des enquêtes réjouissantes tout en tissant la trame d'un complot plus vaste qui va tenir le lecteur en haleine sur trois tomes pas moins. Son imaginaire est magistralement servi par le dessin de Gene Ha, fourmillant de clins d'oeil et de détails qui font de chaque case ou presque un monde en soi. Pour les amateurs du genre, son dessin est peut-être classique, mais pour les débutants comme moi, il rend la lecture plus facile et plus agréable.

    J'ai également lu un hors-série, The forty-niners qui raconte la création de Néopolis et la jeunesse de quelques uns des personnages de Top Ten. Fortement conseillé aussi!

    Alan Moore, Gene Ha, Top ten et Forty-niners, 4/5

  • Rising Stars

     

    En 1969, une météorite frappe une petite ville américaine. Le patrimoine génétique des 113 enfants à naître au moment de l'explosion est modifié. En grandissant, ils vont développer des pouvoirs surhumains. Traités comme des menaces, des héros, des parias, par une société qui leur donne le nom de specials, et par un gouvernement inquiet, tous grandissent et entament leur vie d'adulte avec plus ou moins de bonheur. Jusqu'au jour où une série de meurtre les frappe... Qui veut leur mort. Le gouvernement? Un tueur en série? Et si la menace venait de l'intérieur? Parce que quand l'un d'entre eux meurt, le pouvoir des autres augmente...

     Je continue ma découverte de l'univers comics avec les 4 premiers tomes de cette série qui raconte les aventures de super-héros bien loin de Superman. Parmi les 113 enfants, certains sont devenus des femmes et des hommes comme les autres, pères et mères, ou célibataires, ratés ou ayant réussi leur vie. D'autres ont consacrés leurs dons à la défense des faibles, gagnant dans l'affaire la célébrité, et des costumes qui les distingnent, comme Matthew Bright, le policier, Patriot le super-héros sponsorisé par une grande société. D'autres encore comme Pyre, l'homme torche, font peur. Et il y a les mystérieux, Poet, Ravenshadow qui vont peu à peu dévoiler leurs dons. L'intérêt de cette série ne réside pas tant dans le fait que ses héros sont des super héros, que dans la manière dont les pouvoirs qu'ils développent permettent au scénariste de parler de politique, de relations humaines, et de la manière dont les sociétés acceptent l'altérité. Car c'est bien le fond du problème. Même si la plupart d'entre eux veulent vivre normalement, ils en sont empêchés par un gouvernement inquiet, qui joue sur la peur pour se débarasser de ce qu'il perçoit comme une menace et qui place ce qu'il pense être la sécurité au-dessus de la liberté, provoquant par là même les événements qu'il voulait empêcher. Que l'on adhère ou pas au propos, les aventures de Poet et des specials sont passionnants. Le scénario est palpitant, les différentes étapes de l'enuqête menée par Poet permettent de découvrir différents specials sans sensation de temps mort. La psychologie de chacun des personnages principaux est d'ailleurs suffisamment poussée pour que les ressorts de leurs actions en deviennent encore plus fascinant.

    Mieux encore, on bascule progressivement d'une intrigue policière à une politique-fiction qui se révèle dense et intéressante malgré une tendance à un certain messianisme dans le quatrième tome qui m'a un peu gênée. Je n'ai pas réussi à comprendre si le propos était sérieux, ou se révélait être finalement, une critique (de quoi, c'est la question). Les specials décident de changer le monde, s'attaquant à la prolifération nucléaire, au conflit israélo-palestinient, au crime organisé par des biais spectaculaires. Est-ce un moyen de dire que l'on ne parviendra jamais à changer quoi que ce soit sans super-pouvoirs? Qu'il va bien falloir trouver une solution sans attendre de super-héros? JQue seul un don mystérieux (donné par qui?) peut permettre de sauver le monde? Je suis un peu perplexe devant ce déferlement un brin naïf de solutions apportées aux drames humains. Mais à cette petite réticence prêt sur un petit bout de dernier tome, je suis fort heureuse d'avoir pu faire un bout de chemin avec Poet, Ravenshadow et les autres!

     

    A noter, Straczynski est le scénariste de la série Babylon 5.