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Bulles - Page 3

  • Je mourrai pas gibier - Guillaume Guéraud

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    Mortagne n’est pas bien grand, mais ce n’est pas pour autant que l’harmonie y règne. Entre ceux du bois et ceux de la vigne, les coups et les coups bas pleuvent tous les jours sauf celui où tout le monde fête la chasse. Car à Mortagne, on naît chasseur, et en tant que tel, on ne mourra pas gibier. Martial, lui, s’est échappé. Au bois qui était son destin, il a préféré la mécanique dans un internat et fuit ainsi son père qui meurt des poussières de bois respirées toutes sa vie, la violence de sonfrère et une vie toute tracée. Sauf que quand on sort des cadres, c’est un coup à se lier d’amitié avec Terence, celui qui a la tronche de travers, l’idiot du village. La victime désignée de tous les dérapages. Jusqu’à l’irréparable.

    S’il y a un auteur pour la jeunesse qui a provoqué le débat, voire le scandale, c’est bien Guillaume Guéraud. Il faut dire que ce n’est par lui que passeront les jolis petits lapins roses des happy end. Guéraud, c’est du lourd, du poisseux, du violent. C’est la vie et ses atrocités, L’angoisse sans aucune tentative de l’atténuer. Le désespoir parfois. Se lancer dans Je mourrai pas gibier, c’est accepter de se prendre une claque, d’avancer avec l’estomac noué et d’en sortir le souffle coupé et vaguement nauséeux. Guillaume Guéraud pratique une écriture sèche qui va à l’essentiel et excelle à entrer dans la psyché de ses personnages. Martial, on le connaît de « l’intérieur », on découvre Mortagne par ses yeux. Sa lassitude, son désespoir, puis sa colère, le lecteur les vit avec lui. On s’approprie presque les mots de cet adolescent qui a laissé éclater sa haine et sa colère.

    Personne n’est condamné au nom de quelque morale que ce soit dans ce roman. Il y a juste l’enchaînement dramatique qui mène à l’irréparable, les traditions d’un village où la violence est quotidienne, où l’ignorance fait des ravages, où ce qui est différent est rejeté aux marges et utilisé en bouc émissaire. Un village où un jeune adolescent sans problème devient un de ces tueurs fous. Sans jamais rien excuser, l’auteur décrypte les événements, les non-dits qui conduisent à vouloir se faire justice soi-même et au meurtre. Il décrit superbement la souffrance de se sentir différent, de décider de s’éloigner et de changer de vie. Il sait montrer par petite touche l’importance du milieu social, de l’éducation dans une vie.

    Alors, oui, Je mourrai pas gibier est un roman violent. Mais c’est surtout un de ces romans qui font grandir parce qu’ils ouvrent les yeux.

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    Le roman a été adapté au format roman graphique par Alfred qui offre là un magnifique album. Extrêmement fidèle au récit de Guéraud, il joue sur  le champ, le contre-champ, les décalages de temps et d’espace, rendant d’autant plus violentes, les quelques scènes qu’il a choisi de représenter. On y retrouve magnifiquement mis en image l’atmosphère lourde et noire du roman, les paysages autour du village. Le trait, brutal, est totalement en accord avec le récit et la colère de Martial. Mention spéciale à la couverture et à la quatrième de couverture qui résument en deux dessins et l’ambiance du récit, et l’histoire de Martial. C’est magistral, parfois même plus violent que le roman puisque mis en image. Plus violent, mais pas plus terrible tant imaginer peut parfois être pire que voir. Mais Alfred n’a pas hésité à dessiner les aspects les plus crus et durs de cette histoire, en des cases qui donnent envie de fermer les yeux.

    L’un comme l’autre magistral et essentiel.

     

     

    Guéraud, Guillaume, Je mourrai pas gibier, DoAdo Noir, Rouergue, 2006, 5/5

    Alfred, Je mourrai pas gibier, Delcourt, 2009

  • La vague - Todd Strasser et Stefani Kampmann

                                                                                                                       

    Fin des années 60 dans un lycée américain. Ron Jones, enseignant d'histoire est incapable de répondre aux questions de ses élèves sur ce qui a pu mener la population allemande à ne pas se révolter contre le pouvoir nazi. Il met donc en place une expérience de discipline stricte qui va le mener bien plus loin que ce qu'il pouvait imaginer. La Vague, mouvement créé presque comme un jeu de rôle acquière une vie propre et va ébranler le lycée.

    J'avoue ne pas avoir vu le film adapté du roman de Todd Strasser, mais lorsque j'ai vu passer le roman graphique adapté du roman que je n'avais pas plus lu, je me suis dit que ce serait un très bon moyen de découvrir cette histoire vraie et pour le moins édifiante. Ce fut une bonne pioche. Le récit de cette expérience hors du commun laisse sans voix. Qui ne s'est pas demandé en étudiant la Seconde guerre mondiale ce qui pouvait expliquer l'aveuglement des alliés comme des populations européennes à l'extermination des juifs et aux camps de concentrations, qui ne s'est pas demandé ce qui avait bien pu transformer des gens ordinaires en bourreaux? Bien sûr, pour ceux qui ont approfondi la question, il y a quelques pistes de réflexion, quelques débuts de réponse: crise sociale et économique, peur de la répression, antisémitisme latent, réaction face à des transformations perçues comme vecteurs de décadence, fascination du pouvoir... Mais ce qu'a fait Ron Jones a été plus loin. Sans réelle préméditation, il a mis en place les conditions d'une expérience grandeur nature d'installation d'un régime fasciste. C'est fascinant de voir de quelle manière les adolescents dont il a la charge sont fascinés par la discipline qu'il propose alors même qu'ils étaient plutôt évaporés auparavant. C'est fascinant de voir de quelle manière le mouvement se propage jusqu'à induire des modes de comportement et de pensée fascistes. C'est fascinant et profondément effrayant. Soudainement, des adolescents viscéralement individualistes entrent dans un mouvement totalitaire. Tout y est: la perte d'indépendance de l'individu, la fin de toute pensée indépendante face à la pression du groupe, les attitudes agressives face à tout ce qui est extérieur et face à tous ceux qui mettent en danger le groupe, perte de tout esprit critique... Les ressorts de cette rupture sont exposés sans fioriture et sans tentative d'explication. Il n'y en a sans doute pas. Le plus intéressant reste sans doute que ce n'est pas seulement la manière dont les adolescents basculent qui est présentée, mais aussi la fascination que le pouvoir qu'il vient d'acquiérir exerce sur un professeur que rien ne portait à devenir un dictateur.

    Dépassé par les événements, par ses propres réactions face à cette expérience, l'enseignant y met un terme de telle manière que la leçon a du s'imprimer de manière durable dans les souvenirs de ses élèves.

     Le roman graphique est servi à la fois par ce scénario passionnant et par un trait qui très rond et dynamique qui donne corps au récit et en rend les personnages attachants et presque réels. J'ai apprécié cette lecture. Le roman par contre, pêche par un style très, très faible, entre le style journalistique et un roman jeunesse un peu simplet. Dommage.

    Reste que l'un et l'autre sont à découvrir, même s'ils ne brillent pas par la finesse de leur analyse. C'est un peu rapide, le tout reste en surface, mais c'est une manière de découvrir originale et percutante d'aborder le thème du fascisme et celui du nazisme et de décortiquer les ressorts de ces systèmes politiques. La réponse par l'exemple à la traditionnelle question de savoir si l'histoire est appelée à se répéter.

    Sylvie l'a lu!

  • Le ciel au-dessus du Louvres - Yslaire, Carrière

     

    Le Louvres a la très bonne habitude de donner carte blanche de temps à autre à un talentueux dessinateur de BD. J’avais adoré l’histoire un peu folle racontée par Nicolas de Crécy, j’ai donc sauté sur l’occasion de découvrir le travail d’Yslaire et de Jean-Claude Carrière sur un de mes musées préférés.
     
    1793. La Révolution Française bat son plein, la Terreur s’annonce, le musée du Louvres ouvre ses portes. Dans deux des salles de l’immense château, David peint la Révolution. C’est à lui que Robespierre demande de représenter le concept d’Être Suprême qu’il vient d’inventer et qui sera célébré. Alors que le peintre chercher désespérément un modèle pour cet être suprême, Jules Stern, un jeune homme venant de Khazarie le trouble au point finir par l’obséder.
     
    Bernard Yslaire et Jean-Claude Carrière ont choisi de s’intéresser à une période passionnante de l’histoire du musée du Louvres : le moment de sa naissance, au cœur des troubles et des violences de la Révolutions française. En quelques pages, ils croquent l’atmosphère ensanglantée des rues de Paris, la fièvre populaire, l’espoir immense qui porte la population et les dissensions qui commencent à déchirer les rangs des révolutionnaires et vont amener à la Terreur. Vingt chapitres successifs brossent par petite touche le portrait de la Révolution dans ses interrogations et ses excès. C’est passionnant de voir cela mis en image.

     


    La période est vue avec beaucoup de pertinence, sans aucune pesanteur : on voit se dérouler la tragédie par le petit bout de la lorgnette, en partageant l’intimité de David et de ses proches dont Robespierre. Elle s’entremêle avec l’obsession grandissant de David pour un modèle, un très jeune homme mystérieux, Jules Stern, obsession qui va le mener au pire. Cet aspect de l’histoire est romantique, très romantique, tout en exaltation, en grandes envolées, en sentiments exacerbés. Et c’est ce qui, finalement,  m’a déplu. Ce n’est aucunement un reproche quand à la qualité du scénario et du dessin, juste mes goûts qui ne m’ont jamais portés vers le romantisme et, je crois, ne m’y porteront jamais. J’ai trouvé David l’exalté crispant, l’attitude des personnages parfois un peu outrée, les grandes envolées un brin pénibles.
    Reste la qualité du dessin, magnifique, plein de détails, oscillant entre croquis et dessin achevé, avec pour seul regret un sentiment de « plat » en ce qui concerne les couleurs. Il y a des planches fascinantes, comme celle qui présente l’ouverture du musée du Louvres, qui montre l’accrochage des toiles, le fourmillement du public…On peut même jouer à reconnaître les toiles !


    Et puis la réflexion sous-jacente, fondamentale, sur les rapports de l’art et du pouvoir. Après avoir été le peintre d’une élite, David devient le peintre de la Révolution : pour lui, la peinture doit être porteuse des valeurs de la République. Jusqu’à ce que Révolution et Terreur révèlent leurs failles et qu’il lui faille trouver un nouvel idéal pour assouvir son besoin d’absolu, un nouvel idéal qui se révélera aussi friable que l’ancien. Le suivre faisant face aux aléas de l'histoire est passionnant.
     

    Au final ? Une belle balade dans les couloirs du Louvres et les méandres de la Révolution Française. A ne pas manquer !

     

    Merci à Véronique pour cette belle découverte!
     

    Yslaire, Bernard, Carrière, Jean-Claude, Le ciel au-dessus du Louvres, Futuropolis, Musée du Louvres, 2009, 3.5/5
     
     

  • Histoire couleur terre

     

    “(…) Un masque de rides recouvre le visage de ma mère Pareil à une toile d’araignée Mails il suffit de soulever le masque Pour retrouver sur ses joues le rose de ses seize ans. On devine les histoires entre rires et larmes qui ont jalonné sa vie, Pareilles aux sillons qui creusent les champs. Ce sont les souvenirs de nos mères Du temps où elles avaient seize ans… Voici le récit de leurs histoires aux couleurs de la terre…”
     
    Ihwa vit seule avec sa mère veuve. Toutes deux vivent des revenus que leur apporte la petite auberge de village que tient la mère. Au fil des saisons et des années, les fils de leur histoire se tissent.
    De la découverte de la féminité aux émois amoureux de l’adolescence et de l’âge adulte Kim Dong-hwa raconte avec beaucoup de douceur et de tendresse  la vie de deux femmes coréennes, mère et fille. Il croque ainsi avec humour mais finesse les états d’âmes féminins, utilisant la nature qui entoure le village pour traduire émotions et sentiments.
    Et puis c’est aussi la vie quotidienne d’un petit village rural coréen qui se révèle au fil de pages : les ragots, les petits scandales. Veuve et tenancière d’une auberge, la mère d’Ihwa doit faire face aux rumeurs que suscite son statut et la liberté avec laquelle elle vit son amour avec un écrivain public itinérant.. Et puis il y a les mariages, les petits et es grands drames, bref, la vie. Au fil des trois tomes, Ihwa grandit, découvre l’amour, la souffrance qu’il apporte comme le bonheur avant de trouver enfin, le grand amour. C’est aussi une très belle vision des relations mère-fille : tout en amour, en complicité. La mère d’Ihwa lui transmet tout ce qui fait la vie d’une femme coréenne et la protège, la soutient.
    Le trait de Kim Dong-hwa, très fin, sert à merveille l’atmosphère du village. Il m’a parfois un peu déroutée, presque déplu, mais sans jamais me donner envie de lâcher ma lecture. Parce que l’auteur parle à merveille de l’amour et de la place nécessaire qu’il tient dans toute vie. Qu'il décrit avec lucidité, mais aussi tendresse la société coréenne telle qu'elle a été et vue du côté des femmes, un peu les oubliées de l'histoire.

    C'est une jolie série de trois albums, une lecture douce et agréable et une belle découverte du shujun coréen.

    Kim, Donh-Hwa, Histoire couleur terre, Casterman, à partir de 2006, 3.5/5
     
     
     

  • Fleep - Jason Shiga

    « Un personnage se réveille d’un évanouissement, bloqué dans une cabine téléphonique inexplicablement entourée de béton. Armé de sa seule intelligence – il est visiblement très doué en mathématiques – ainsi que des quelques objets plus ou moins mystérieux présents dans la cabine, il tente d’élaborer un plan pour se sortir de là. Mais tout d’abord, où se trouve-t-il donc ? »
     
    Fleep est une drôle de bande dessinée et un huis clos à la fois angoissant, absurde et réjouissant. Le personnage principal, Jimmy, pénètre de manière tout à fait anodine dans une cabine téléphonique, décroche, passe un appel, et se retrouve coincé dans une autre cabine, laquelle est entourée de béton… Ce n’est pas la seule bizarrerie : au bout du fil on parle une langue bizarre, l’annuaire et la monnaie ne sont plus les mêmes… Et pourquoi diable a-t-il un roman en russe dans sa poche alors qu’il ne parle pas un mot de russe ? Rien qui empêche notre héros de trouver petit à petit des solutions en utilisant trois pièces de monnaie, deux stylos bille du fil dentaire, une montre, des origamis en papier et quelques calculs.

    C’est totalement improbable et pourtant, ça marche grâce à la logique sans faille dont fait preuve Jimmy et qui le fait aboutir à une chute inattendue. Une jolie preuve que la logique peut mener à tout !
    J’avoue apprécier le style épuré et tout en rondeur de l’auteur qui excelle dans le dessin comme dans la construction de ses pages et rend parfaitement le sentiment d’enfermement et d’angoisse que peut éprouver ce pauvre Jimmy. C’est tout simple, court, en noir et blanc, c’est un bel objet et c’est excellent ! 

    Shiga, Jason, Fleep, Cambourakis, 2008, 4/5