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  • Histoire couleur terre

     

    “(…) Un masque de rides recouvre le visage de ma mère Pareil à une toile d’araignée Mails il suffit de soulever le masque Pour retrouver sur ses joues le rose de ses seize ans. On devine les histoires entre rires et larmes qui ont jalonné sa vie, Pareilles aux sillons qui creusent les champs. Ce sont les souvenirs de nos mères Du temps où elles avaient seize ans… Voici le récit de leurs histoires aux couleurs de la terre…”
     
    Ihwa vit seule avec sa mère veuve. Toutes deux vivent des revenus que leur apporte la petite auberge de village que tient la mère. Au fil des saisons et des années, les fils de leur histoire se tissent.
    De la découverte de la féminité aux émois amoureux de l’adolescence et de l’âge adulte Kim Dong-hwa raconte avec beaucoup de douceur et de tendresse  la vie de deux femmes coréennes, mère et fille. Il croque ainsi avec humour mais finesse les états d’âmes féminins, utilisant la nature qui entoure le village pour traduire émotions et sentiments.
    Et puis c’est aussi la vie quotidienne d’un petit village rural coréen qui se révèle au fil de pages : les ragots, les petits scandales. Veuve et tenancière d’une auberge, la mère d’Ihwa doit faire face aux rumeurs que suscite son statut et la liberté avec laquelle elle vit son amour avec un écrivain public itinérant.. Et puis il y a les mariages, les petits et es grands drames, bref, la vie. Au fil des trois tomes, Ihwa grandit, découvre l’amour, la souffrance qu’il apporte comme le bonheur avant de trouver enfin, le grand amour. C’est aussi une très belle vision des relations mère-fille : tout en amour, en complicité. La mère d’Ihwa lui transmet tout ce qui fait la vie d’une femme coréenne et la protège, la soutient.
    Le trait de Kim Dong-hwa, très fin, sert à merveille l’atmosphère du village. Il m’a parfois un peu déroutée, presque déplu, mais sans jamais me donner envie de lâcher ma lecture. Parce que l’auteur parle à merveille de l’amour et de la place nécessaire qu’il tient dans toute vie. Qu'il décrit avec lucidité, mais aussi tendresse la société coréenne telle qu'elle a été et vue du côté des femmes, un peu les oubliées de l'histoire.

    C'est une jolie série de trois albums, une lecture douce et agréable et une belle découverte du shujun coréen.

    Kim, Donh-Hwa, Histoire couleur terre, Casterman, à partir de 2006, 3.5/5
     
     
     

  • Sky Hawk - Jiro Taniguchi

    Hikosaburô et Manzô vivent sur le territoire Crow. Exilés aux États-Unis depuis les conflits qui ont marqué la naissance de l'ère Meiji, les deux samouraïs ne se doutent pas qu'ils vont bientôt repartir en guerre. En sauvant Runnong Deer, une indienne, des griffes du marchant qui l'avait acheté, ils s'embarquent dans une aventure qui va les mener à rejoindre le clan de Crazy Horse et à se joindre à la guerre sans espoir menée contre les hommes blancs.

    Pour moi, la sortie d'un nouveau Taniguchi est toujours synonyme de bonheur. J'étais donc toute sautillante de joie à l'idée de tourner les pages de son nouvel opus. Las, la magie n'a pas été, cette fois-ci, au rendez-vous. Pourtant, Sky Hawk fourmille de bonnes idées. La première est d'utiliser un fait très peu connue: l'émigration vers les États-Unis d'un petit nombre de samouraïs à la fin du 19e siècle. Dès lors qu'on le sait, la présence des deux héros dans l'ouest américain se fait crédible et la rencontre de la culture japonaise traditionnelle avec le monde indien laisse présager quelques belles pages. Découverte d'une culture autre, à la fois proche par bien des aspects de la culture japonaise et pourtant très différente, découverte de soi et nécessité de lutter jusqu'à trouver un sens à sa vie, regard sur la conquête du territoire américain par les colons blancs, histoire des peuples indiens et de leur quasi éradiquation... Bien des choses s'annonçaient.

    Seulement voilà, il y a trop, ou trop peu. Un peu d'histoire d'amour, un peu d'histoire d'amitié, un peu d'histoire tout court, la grande comme la petite, un peu d'aventure, un peu de guerre... On en retire l'impression d'un survol et des personnages et de l'histoire. Il y a des passages qu'on aimerait voir développés, des aspects de l'histoire qui gagneraient à être un brin plus fouillés. Et puis certains dialogues m'ont semblé sonner faux. A aucun moment je ne me suis sentie embarquée dans l'épopée de ces deux hommes et du peuple qu'ils se sont choisis et je me suis même franchement ennuyée par moment malgré l'originalité de la trame. Après tout, un western sous forme de manga et mettant en scènes deux samouraïs indiens , on ne voit pas ça si souvent! Manquait juste le souffle, l'aprêté du western.

    Tant pis! J'attendrai le prochain en croisant les doigts!

    Taniguchi, Jiro, Sky Hawk, Sakka, Casterman, 2009, 2/5

  • Felicidad - Jean Molla

    "Pour tous les Citoyens de Grande Europe, le bonheur est un droit et un devoir. Il est garant d'une société harmonieuse et policée. A la demande du ministre de la Sûreté intérieure, le lieutenant Alexis Dekcked enquête sur une affaire de la plus haute importance. Des parumains, conçus pour servir les humains se sont révoltés et se sont enfuis dans les enclaves de Felicidad. Leur disparition est-elle liée au meurtre de leur créateur, Choelcher, le généticien génial ? Pourquoi le ministre du Bonheur obligatoire est-il sauvagement assassiné ? Dekcked peut-il avoir confiance en Majhina, la belle parumaine dont il est amoureux ? Son enquête va le conduire à des vérités qu'il n'aurait jamais dû mettre au jour.

    Hommage à Blade Runner le nouveau roman de Jean Molla allie suspense et action. Entre polar et science-fiction, une histoire menée à un rythme haletant. Lecteur, ne vous laissez pas manipuler !
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    J'avoue avoir d'abord lorgné la quatrième de couverture d'un air méfiant. L'hommage à Blade Runner me semblait un brin appuyé. Et puis d'abord, Blade Runner n'a pas besoin d'hommage, non mais! Ce chef d'oeuvre de Philip K. Dick se suffit à lui -même! Et puis de toute mani_re, le polar ça n'est pas mon truc. Enfin ça, c'est ce que je pensais avant d'ouvrir un peu à mon corps défendant le roman de Jean Molla. Que dire... J'ai été embarquée! Parce que c'est effectivement un hommage réussi au merveilleux Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? rebaptisé Blade Runner. Et que c'est par-dessus le marché un excellent roman.

    Felicidad, la cité parfaite, celle où les citoyens sont heureux, parce que le bonheur est obligatoire et que l'on obtient tout ce que l'on veut... Enfin presque. Parce que comme toute cité idéale, Felicidad se contente de masquer ses failles, de reléguer aux marges ceux que le bonheur a abandonné en route. Cadre du roman, la ville est presque un personnage à elle toute seule. On l'explore sur les traces de Dekcked, naviguant dans ses ruelles, ses bars, ses terrains vagues, dans les zones réservées et au dehors. Dans ce décor glaçant se dessine petit à petit une société non moins glaçante. Le bonheur obligatoire... Éradiquer les conflits et les actes de violence ou de rébellion par une surveillance totale, répondre aux moindres besoins des privilégiés, remplacer les hommes et les femmes par des organismes génétiquements modifiés dans les tâches difficiles en en mésestimant les conséquences? Une société peut-elle atteindre au bonheur en suivant ce chemin? Sans doute non. En tout cas c'est ce que Jean Molla dit à son lecteur en racontant l'enquête de Dekcked sur ces Parumains en révolte. C'est un beau personnage, presque aussi beau que le Deckard de Dick avec son côté un brin bad boy et son amour interdit pour Majhina. Même s'il est au service du pouvoir, il est aux marges et navigue entre deux mondes qu'il connaît aussi bien l'un que l'autre, ne trouvant pas vraiment sa place. Son parcours permet une réflexion assez approfondie sur le concept d'humanité et les conséquences sociales, économiques, politiques et humaines des manipulations génétiques en même temps que sur la quête d'une société idéale, la propagande, et la responsabilité de chaque individu. A la fois manipulé et manipulateur, traqué et traqueur, il est contraint d'abandonner une vie somme toute confortable pour une lutte à laquelle il n'a pas cherché à participer. J'ai apprécié de ne pas avoir affaire à un héros sans peur et sans reproche! D'ailleurs, on ne peut pas dire que les personnages soient follement sympathique entre ministres véreux, parrains de la mafia et chercheur en génétique pour qui la fin justifie les moyens. Ils vont parfaitement avec Felicidad!

    Avec tout ça, l'intrigue est rondement menée, l'hommage ne frôle à aucun moment la réécriture, le suspense est au rendez-vous et Molla excelle dans les intrigues politico-économiques qui forment le noeud de son récit. Tous les ingrédients sont réunis pour faire passer aux adultes comme aux adolescents un très, très bon moment de lecture. Qui devrait pousser à découvrir l'oeuvre de Dick! Heureux mortels qui allez tourner en bourrique grâce au maître!

    Isil a aimé, SBM aussi, on en parle sur Noosfère.

    Molla, Jean, Felcidad, Scripto, Gallimard, 2005, 5/5 


        

     

  • Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé

    Montepuccio, petit village des Pouilles, écrasé de soleil, de chaleur et de lumière. C'est là-bas qu'en 1870, un homme un jour, accomplit sa vengeance, donnant naissance à une lignée poursuivie par la malédiction de ses origines. Avec le sang des Scorta, c'est la folie, la haine, l'amour fou et la volonté sans faille de vivre qui se transmet.

    En fait, je m'aperçois que je n'ai pas envie de réduire ce roman à un résumé de quelques lignes. Trop de choses, trop de personnages marquants, trop de lumière. Laurent Gaudé et moi, c'est ou tout, ou rien. Je l'adore ou je le déteste. Dans ce cas précis, je l'adore. Sous sa plume, c'est une histoire familiale aux accents de tragédie qui se déroule avec ses brefs moments de bonheur, les épreuves, la lutte sans fin contre les aléas du sort. 

    L'écriture de Laurent Gaudé transporte littéralement dans ces paysages écrasés de soleil, face à la mer qui étincelle. On sent les odeurs de poisson, on entend les bruits du village et on en perçoit les ruelles et l'atmosphère faite de superstitions, de traditions, du travail rude qui épuise, des ragots et de la solidarité. On habite ces lieux et on vit avec les Scorta tous les moments de leur existence. Grâce sans doute à la voix de Carmela la vieille femme qui se confie au curé du village, grâce, sans aucun doute à la manière dont Laurent Gaudé sait rendre ses personnages et les paysages qui les entourent proches et familiers. Carmela en est un exemple: la manière dont elle s'adresse au curé, l'histoire qu'elle raconte avec cette volonté de faire comprendre à sa petite-fille ce qu'être un Scorta signifie la rend à la fois solaire et attendrissante. Elle est forte Carmela, elle a survécu à tout: à la honte, à la maladie, aux épreuves qui ont jalonné sa longue existence, à la mort de ses frères, à ce qui a fait qu'elle est restée la soeur des Scorta malgré son mariage.

    Ce que Carmala raconte, et ce qui est raconté à travers l'histoire de cette famille, c'est la transmission familiale des valeurs, le poids des drames et des secrets, la force du lieu où on s'enracine. Car les Scorta reviennent toujours à Montepuccio, ne pouvant jamais longtemps quitter la terre où leur lignée est née malgré les changements, malgré la transformation du village de pêcheurs en station balnéaire. Ils sont forgés à l'image de cette terre les Scorta: durs à la tâche, rugueux, taciturnes, intelligents. Avides de vivre et de gagner quelques moments de bonheur. Il y a des passages qui chantent et qui laissent rêveur de tant de beauté et de vérité: celui du banquet en est un. IL m' profondément touché, à la fois pour ce qu'il évoquait et par la puissance de ce moment partagé.

    Comme antipasti, Raffaele et Giuseppina apportèrent sur la table une dizaine de mets. Il y avait des moules grosses comme le pouce, farcies avec un mélange à base d’oeufs, de mie de pain et de fromage. Des anchois marinés dont la chair était ferme et fondait sous la langue. Des pointes de poulpes. Une salade de tomates et de chicorée. Quelques fines tranches d’aubergines grillées. Des anchois frits. On se passait les plats d’un bout à l’autre de la table. Chacun piochait avec le bonheur de n’avoir pas à choisir et de pouvoir manger de tout.

    On mange dans le Sud avec une sorte de frénésie et d’avidité goinfre. Tant qu’on peut. Comme si le pire était à venir. Comme si c’était la dernière fois qu’on mangeait. Il faut manger tant que la nourriture est là. C’est une sorte d’instinct panique. Et tant pis si on s’en rend malade. Il faut manger avec joie et exagération.”

    Il y a encore bien des passages que j'aimerais citer, qui ont fait vibrer en moi la corde du sud. Seul regret, l'impression que par moment Laurent Gaudé est rester à la surface quand j'aurais aimé qu'il plonge et qu'il gratte un peu plus l'histoire de ce village et de cette famille. Mais malgré cela, les Scorta vont rester longtemps dans ma mémoire.

     

    C'était une lecture commune avec Karine:) qui a beaucoup aimé et Reka.

    On en parle sur la blogosphère: chez Marie, Melmelie, Allie, ... 

  • Markus presque mort - Valérie Sigward

     

    Markus et Franck étaient unis par une amitié scellée par les longues virées en mobylette, le loisir principal des jeunes de cette petite ville perdue. Mais l’amitié s’est brisée un soir, comme la mobylette et les corps broyés par l’accident. Devenu adulte, Franck ressent le besoin de parler, de raconter et d’expliquer.
     
    Long monologue intense oscillant entre passé et présent, Markus presque mort donne à entendre à travers Franck la voix d'une amitié adolescente et de vies brisées avant d’avoir commencé. Franck raconte l'accident les blessures, les séquelles avec des mots simples qui nouent le ventre et beaucoup de pudeur. Il raconte aussi la vie quotidienne d’une classe populaire, l’ennui poisseux et étouffant, la routine et le bonheur malgré tout. Petit à petit affleurent les non-dits, les failles et les fragilités des adolescents qu'ils étaient et des adultes qu'ils sont devenus. On est pris au piège d'une plume faussement simple qui parvient avec une grande économie de moyen à faire entrer le lecteur dans un drame psychologique étouffant.
    Par petites touches, à l'aide de petits détails, Valérie Sigward instille un doute, qui fait augurer d'autre chose. Un flottement dans la narration, cette haine que Franck porte à son frère, son refus d'aller voir Markus à l'hôpital... La construction habile du roman : trois longs chapitres découpés en courts paragraphes instille une tension croissante jusqu'au dénouement brutal qui fait presque entrer dans une dimension fantastique. Dans les dernières pages, c'est toute la cruauté et l'absurdité de l'humanité qui est révélée. C'est sans conteste un texte fort et émouvant. Pas un coup de cœur cependant, tant le style, particulier, demande un effort pour entrer dans le récit.

    Sigward, Valérie, Markus presque mort, Julliard, 2009, 3.5/5