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  • Démon

     

    Pierre Rothko, grand reporter pour un journal parisien est grièvement blessé en Tchétchénie. Sur son lit d’hôpital, il commence à raconter ce qui l’a mené dans ce pays en guerre : l’histoire de sa famille paternelle, dévoilée par son père quelque jour avant son suicide.
     
    Démon est un roman épais. Tolstoïen selon des articles chinés au gré du web, porteur d’un souffle épique selon d’autre, important quoi qu’il en soit.
    Certes. En ce qui me concerne, je ne sais pas si c’est que je frôle l’overdose de récits concernant la Seconde guerre mondiale et son héritage, mais je me suis ennuyée. Pas au point d’interrompre ma lecture, mais j’ai refermé ce roman avec une pointe de soulagement, le sentiment du devoir accompli et la certitude qu’il n’intégrera pas ma bibliothèque personnelle ni mes souvenirs de lecture marquants.
    On retrouve dans une certaine mesure les thèmes et réflexions abordés par Fabrice Humbert dans L’origine de la violence, roman que je vais bien finir par chroniquer : secret de famille, Seconde guerre mondiale, Shoah, héritage familial, quête de soi, réflexion sur le mal et l’humain. Mais alors que Fabrice Humbert avait réussi à me passionner, Thierry Hesse m’a noyée dans les 464 pages de son roman. J’ai eu le sentiment de lire une leçon d’histoire du 20e siècle à travers des destins individuels, leçon rendue lourde par de nombreuses longueurs et un certain didactisme. A aucun moment les personnages « principaux » n’ont réussi à me toucher. Non pas que ce soit le but recherché par l ‘auteur je pense, mais je ne me suis tout simplement pas sentie concernée par leurs tourments.
    Ceci dit, il y a eu des moments de grâce : certaines pages sur les régimes autoritaires ou sur le mal sont passionnantes. Tout comme le regard porté sur la Tchétchénie et la guerre qui s’y déroule. Ou encore le rôle des femmes dans cette guerre. A travers ce conflit un certain nombre de constantes de l’histoire de l’humanité sont mises à jours. J’ai d’ailleurs particulièrement apprécié le personnage de Zeinap, la femme renard, au destin tragique. C’est la réflexion portée par le récit plus que le récit lui-même qui m’a intéressée en fait.
    Je pense que je suis passée à côté de ce roman, chose qui arrive.
     
     
    «Le «Juif», au-delà d'un destin historique, est aussi une idée, un nom universel pour désigner celui dont l'existence est nue, soumise à tout, soumise à pire.»

    Hesse, Thierry, Démon, Ed. de l'Olivier, 2009, 3/5

  • Seul en solo

    Le célibat, c'est sympa. Enfin parfois. Parce qu'il y a les soirs où on se couche seule, le traiteur chinois, les copains qui demande toujours si on s'est enfin casée, les parents aussi, les cinés et les vernissages sans intérêt, les histoires d'amour sans lendemain...

    Oxolaterre et Sophie Zuber racontent dans cette petite BD pleine de couleur et de peps le parcours d'une célibattante trentenaire. Un thème certes loin d'être original et qui revient périodiquement dans les Cosmo et autres revues féminies mais qui est traité là de manière fort sympathique: des personnages tout ronds, des couleurs vives, des pages qui croquent avec a-propos et humour le petit monde de cette demoiselle et son quotidien. On la suit dans les dîners de famille où elle est le nombre impaire, sur son canapé, dans ses crises de larme ou de nerfs, dans ses fous rires, chez les amis, avec les copains célibataires de toujours, bref, partout où peut mener la vie. On rit, on grince un peu des dents en se reconnaissant, célibataire ou non, dans certains gags, en tout cas, Sophie Zuber n'a pas hésité à introduire dans le monologue de sa petite héroïne une bonne dose d'humour et d'ironie.

    Alors bien sûr tout est bien qui fini bien dans la béatitude de la vie à deux, mais cette nouvelle aventure n'est pas sans dangers, comme le rappelle une dernière page plutôt hilarante qui montre qu'on oublie bien vite les déboires de la vie de célibataire!

    Une jolie découverte.

    Quelques bulles pour vous donner une idée!

     

  • Jan Karski

    Fichier:Jan Karski.jpg

     

    "A plusieurs reprises, la caméra s'approche du visage de Jan Karski. Sa bouche parle, on entend sa voix, mais ce sont ses yeux qui savent. Le témoin, est-ce celui qui parle?. C'est d'abord celui qui a vu. Les yeux exorbités de Jan Karski, en gros plan, dans Shoah, vous regardent à travers le temps. Ils ont vu, et maintenant, c'est vous qu'ils regardent."

     Jan Karski, ésistant polonais de la première heure pendant la Seconde guerre mondiale, courrier de l'Armée de l'Intérieure, témoin de l'extermination du peuple juif en Pologne. Yannick Haenel a choisit dans son nouveau roman de revenir sur la vie et le témoignage de cet homme exceptionnel. Encore qu'il est presque difficile de parler de roman: Haenel mélange les genres pour donner au final une oeuvre à la construction brillante, et au fonds passionnant.

    Parlons un peu de la construction: il ne d'agit à aucun moment de raconter la vie de Karski de manière romancée. On ne part pas du point A pour arriver à un point B. D'entrée de jeu, c'est le témoignage, la période spécifique de la guerre qui est au centre du propos. Le premier chapitre est basé sur le témoignage de Karski dans le film de Claude Lanzmann, Shoah. Haenel décrit ce témoignage, cite Karski, commente et réfléchit sur le sens de ce témoignage. On passe de l'image à l'écrit. Le deuxième chapitre, lui, se base sur le livre de Karski publié en 1944 (Story of a secret state), livre dans lequel il raconte son expérience de la résistante et tente une nouvelle fois de faire passer ce témoignage dont il a été chargé. C'est une sorte de résumé, mais un résumé commenté, qui recoupe par bien des points le contenu du premier chapitre et qui ressemblerait presque à un récit d'aventure palpitant et passionnant si ce n'était la froideur de la plume. Ce n'est que dans le troisième chapitre que Karski prend la parole. Ou plutôt, que l'écrivain s'empare du personnage historique pour lui donner une vois qui n'est plus celle de Shoah, et plus celle de Story of a secret state. C'est l'homme qui parle et qui raconte la difficulté d'être le témoin de l'inconcevable, la souffrance de ne pouvoir être entendu, la rage et le désespoir qui l'habitent pendant des années, et la vie qui revient petit à petit sans que l'oubli soit possible. Cette voix est intense, presque tragique, en tout cas, elle touche  profondément et laisse l'estomac noué.

    Trois chapitre dont le fonds est le même mais qui ne sont jamais redondants et qui interrogent tous, à leur manière, sur le statut du témoin, sur le moment où le messager devient témoin. Car c'est ce qui arrive à Karski: d'abord il est le messager de l'horreur. L'homme qui a visité deux fois le ghetto de Varsovie, qui a visité un camps. Celui que les dirigeants juifs polonais ont chargé d'un message pour les alliés. Puis, face à la surdité et l'incrédulité des alliés, il s'est petit à petit transformé en témoin, pour le devenir pleinement après la libération des camps. Or, ce statut de témoin, Karski va l'assumer, puis le rejeter, pour y revenir parce que l'oubli est impossible et qu'il était finalement le gardien de la mémoire, de la parole de ces hommes menés à la mort. Dans ce troisième chapitre, Haenel fait parler Karski de ce qu'il a vu, mais surtout de ce que ce message porté si longtemps a fait de lui, des réflexions que ce message et l'impossibilité de le faire entendre ont fait naître.

    C'est un chapitre qui peut prêter à la polémique sans doute. Il y a ce qui est avéré, ce que Karski a dit, et ce qu'on lui fait dire de la responsabilité des Alliés, de la responsabilité du monde, du Mal et de la rupture que représente la Shoah pour l'humanité. Jusuq'à quel point Karski a-t-il pu penser cela?

    Mais est-ce vraiment important de savoir dans quelle mesure le romancier a rendu avec fidélité la pensée de Karski? Ce n'est finalement pas son travail. Il ne fait pas oeuvre d'historien et ne prétend pas le faire sauf erreur de ma part. Il a fait de Karski un être de fiction porteur d'un message et d'une pensée. Haenel fait de la littérature et donne à entendre la rage et la détresse d'un homme qui affirme ce qui est son intime conviction. Cela dit, le fonds du roman interroge le rôle du roman quand il s'empare de faits historiques aussi sensibles et sujets à débat. La responsabilité des Alliés dans la Shoah, la question de savoir qui savait quoi et à quel degré fait encore l'objet de débats et de recherches. Or, le pas est vite franchi qui fait d'un texte de fiction une vérité. Mais il faut reconnaître la force du texte et sa construction impeccable. C'est un roman difficile, exigeant, qui interroge sur l'humain et sur la fiction avec force.

     Jan Karski a reçu le 8e prix du roman Fnac.

    Un débat intéressant dans Lire,  un interviewde Haenel dans Le nouvel observateur, Le billet de Pierre Assouline, on en parle aussi sur le blog de la librairie Mollat.

    Pour terminer, une interview de Yannick Haenel

     

    Yannick Hanel, Jan Karski, Gallimard, 2009, 4/5

  • Djeeb le chanceur

    Djeeb est un esthète à sa manière: il aime les beaux gestes, les belles paroles, les belles choses. Il est près à tout pour faire de sa vie une oeuvre sublime. Même à tenter d'atteindre l'inaccessible et merveilleuse cité d'Ambeliane. Un coup de chance aux dés, un bateau gagné, un voyage presque sans histoires et le voilà arrivé à son but. Mais Ambeliane la belle n'aime guère les étrangers et cache bien des dangers dont Djeeb va faire les frais. Voilà le début des aventures.

    Un Quichotte rajeuni, un monde de parfums, de l'élégance, un voyage plaisir, gourmand et chatoyant... Que voulez-vous, j'ai un petit coeur sensible, surtout à la tentation. La quatrième de couverture a visé juste, j'ai attrapé le roman et l'ai ouvert, fermement décidée à passer un sacrément bon moment de lecture en compagnie de ce Djeeb délicieusement amoral.

    Fi! Quelle déception! Je m'attendais à un tourbillon d'aventures, à un de ces héros qu'on adore détester, à des rebondissements incessants! J'ai été servie, c'est le moins qu'on puisse dire: il y en a tant qu'on fini par se noyer! Attention, je ne dit pas que Djeeb le chanceur est un mauvais roman. Au contraire, j'y ai trouvé de réelles qualités d'écriture et des trouvailles qui m'ont fait sourire. Mais sans jamais être convaincue par les aventures de ce Quichotte. Le personnage voulu picaresque devient lassant à force de pirouettes, les aventures se succèdent sans temps mort mais d'une manière un peu articifielle. On reste à la surface alors que la richesse narrative offerte par Ambeliane est incontestable. Les personnages hauts en couleur finissent par sembler errer sans but dans un beau décor et j'avoue avoir traîné la patte pour terminer, faute d'avoir réussi à m'intéresser vraiment au destin de Djeeb. Reste une plume qui vaut la découverte et que je retrouverai avec curiosité dans un autre roman!

    L'avis de Nebal, d'Elbakin, du Nain, Angua qui n'était pas convaincue mais qui m'avait quand même donné envie!    

     Laurent Gidon, Djeeb le chanceur, Mnémos, 2009, 2.5/5