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  • Un grain de café dans l'océan de la vie

     






    Irina est vieille, très vieille. Elle rêve, elle pense, elle se souvient de la jeune femme qui a épousé un homme plus vieux qu’elle, qui a quitté Paris pour l’Amérique du Sud à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Elle rêve, elle pense et elle se souvient pendant que la vie continue à couler autour d’elle.
     
    L’enchanteur et illustrissime gâteau café-café d’Irina Sasson offre beaucoup de choses. D’abord un magnifique portrait de femme, empreint de sensibilité et de sensualité. Sur 145 pages, Irina nous offre ses souvenirs, rythmés par la recette de ce gâteau café-café qui a fait sa renommée dans la petite société de Batenda, la ville où vit la famille d’Adriano son époux. Un gâteau qu’elle n’a jamais goûté.
    Pendant qu’Irina se souvient, sa petite-fille Susan est auprès d’elle, avec l’enfant qu’elle porte. Symbole de la vie qui se transmet de mère en fille, de femme en femme.
    Susan mène une vie qui n’a rien de commun avec celle de sa grand-mère. C’est ce que Joëlle Tiano va prouver avec brio.
    On suit d’abord Irina dans sa vie de jeune fille parisienne plus instruite que la moyenne des filles de son milieu.
    On la suit ensuite découvrant ce qu’être femme et épouse signifie. Son éclat de rire au soir de ses noces à la vue de son mari est extraordinaire. « Il continue de s’avancer. La chose oblongue sous son pyjama semble un porte-drapeau. Vous éclatez de rire. J’ai éclaté de rire. » C’est toute une condition de la femme que l’on découvre à travers son histoire, celle de femmes pour lesquelles le mariage est la seule voie envisageable, et de femmes qui n’ont pas choisis leur époux. Pourtant, peu d’entre elles paraissent malheureuse. Irina elle-même vit son sort avec une sorte de philosophie, d’acceptation. C’est ainsi. Son mari a le caractère vif, mais elle en tombe amoureuse, plus ou moins.
    Amoureuse par la force de l’habitude et du quotidien. Amoureuse jusqu’au jour où elle rencontre Ambroise pour qui, avec qui elle va vivre une véritable passion.
    On suit également Irina découvrant ce qu’être mère veut dire. Une mère à l’amour plein et entier pour sa fille. Ce qu’elle ressent pour cette enfant va la sauver. Car Irina est une femme qui doute, qui aime, qui souffre. Elle cherche un amour qu’elle lui croit être refusé, interdit, déchirée entre deux hommes. Son histoire est celle d’une femme qui lutte longtemps contre ce qu’elle est, désirant ce qu’elle n’a pas au détriment de ce qu’elle a déjà. Irina qui a grandit en Orient, vécu son adolescence à Paris, son âge adulte en Amérique du Sud cherche son identité : est-elle la française qu’elle désire être, la femme d’Adriano, la mère de Djoïa, la cuisinière émérite ? S’est-elle dissout dans ce mariage et cette maternité ? En cela il est facile de s’identifier à elle. « Dans la journée, je vivais pour Djoïa, j’existais à travers des rôles qu’Adriano m’avait attribués. La nuit, il me fallait me ramasser à nouveau au plus près de moi-même, prendre garde à ne pas être emportée dans le désert de l’exil et de la solitude, l’exil sans repères, les paysages sans limites, les trop vastes demeures, les odeurs familières mais pourtant toujours étrangères, la langue apprise sans mal et dite plutôt bien je crois, mais qui ne me parlait toujours pas. »
    A la fin de sa vie, enfin, elle revient sur cette vie bien remplie qui a été la sienne et accepte. « Ce qui se passa d’étrange ce jour-là, c’est qu’Irina se réconcilia avec sa vie. Sa vie était sa vie. Elle n’avait pas été la vie de tout le monde mais elle était sa vie. Elle ne pouvait même plus dire maintenant que si elle avait pu choisir […] A la faveur d’une bouchée du gâteau et d’une gorgée de vin ambré, Irina se réconcilia avec ses joies et avec des douleurs. »
    Le plus extraordinaire est ces pages pleines de sensualité, cette écriture qui coule, limpide et fluide. C’est un roman très agréable à lire que j’ai beaucoup aimé.
    Enfin, ce qui nous est offert, c’est le portrait en creux d’une société coloniale, des grandes plantations d’Amérique du Sud, d’une époque d’avant et d’après-guerre. C’est un monde qui change avec une rapidité époustouflante. A peine une quarantaine d’années, et ce monde de planteurs n’existe plus ou très différemment. Quand Irina quitte finalement sa maison, sa fille et sa petite-fille vivent autrement, ailleurs, dans un monde difficile à comprendre pour la vieille dame. Un monde dans lequel elle ne vit plus, réfugiée qu’elle est dans ses souvenirs. Pourtant, reste la vie, la constante de la vie des femmes : amour et maternité. Comme si, finalement, les choses changeaient sans changer.

    Cathulu en parle, Moustafette aussi, ainsi que Val et Laurence.
     

    Joëlle Tiano,  L'enchanteur et illustrissime gâteau café-café d'Irina Sasson, Intervista, coll. Les mues, 2007.

     

  • Desperate, really desperate housewives

     



    Les femmes d’Arlington Park ont en apparence tout pour être heureuses. Maris, enfants, maisons… Et pourtant… Pourtant la frustration, l’envie, le désespoir, la jalousie et la dépression règnent en maîtres derrières les sourires. Juliet Randall, Maisie Carrington, Amanda Clapp, Solly Keir-Leigh ont toutes le sentiment d’être passées à côté de leur vie. Rachel Cusk raconte 24 heures de leur vie quotidienne, de leur enfer quotidien, 24 heures au cours desquelles l’inanité et le non-sens de leurs existences leur saute au visage.
     
    J’ai abordé ce roman de la rentrée littéraire avec les a priori dictés par ce que j’en avais entendu dire et les critiques que j’avais lues. Un Desperate Housewives dans la banlieue londonienne. Je comprends mieux après lecture l’énervement de l’auteur lorsqu’on qualifie son roman ainsi. Rien de la série télévisée ici. Pas d’humour, pas de situations rocambolesques, pas de gaffes. Rien que le glauque, le sordide du quotidien.
     
    J’ai trouvé la construction de la journée assez intéressante. On commence à suivre à la fin d’une soirée, on les quitte à la fin d’une autre. Entre temps, nous aurons découvert Arlington Park. D’entrée de jeu, l’auteur donne le ton. Il n’y aura pas grand-chose de rose : une banlieue endormie sous la pluie, des détritus dans un caniveau, la pluie qui tombe sur des humains qui s’agitent. Quelques pages qui dressent le portrait d’une prison sans barreaux, impression renforcée par le chapitre qui coupe le roman en deux. Décrivant le parc d’Arlington Park en fin d’après-midi, il confirme tout ce que l’on pouvait avoir appris sur ce lieu et sur les personnages qui le peuplent. Le malaise s’installe progressivement, lentement, mais sûrement.
    C’est avant tout le portrait de femmes qui se sentent enfermées dans la vie qu’elles mènent entre mari et enfants. Des femmes qui avaient un avenir prometteur avant de se marier. Des femmes qui ont le sentiment de se mouvoir dans un monde irréel, dans la ouate d’un confort qui les aliène. Le regard qu’elles portent sur ce monde qui est le leur est empreint de dégoût, de noirceur. Le regard qu’elles portent les unes sur les autres est empreint d’une dureté folle, de jalousie, d’incompréhension, de fiel. L’amertume et l’aigreur dont elles font preuve soulèvent le cœur par moment. Petites vengeances contre les amies et les maris, remarques blessantes, elles n’épargnent rien ni personnes, surtout elles-mêmes dans leurs moments de lucidités.
    Mais le pire est sans doute que tout en étant conscientes de leur prison, elles sont incapables d’en sortir, incapable de se révolter autrement qu’en passant, finissant par se convaincre elles-mêmes que la vie qu’elles mènent n’est pas si mal que ça.
    Leur vie les empêche de voir la beauté du monde qui les entoure, malgré quelques moments de grâce. Tout y passe.
     
    C’est aussi le portrait au vitriol d’une classe moyenne et d’une classe supérieure contente d’elle, imbue de sa situation et de ses privilèges.
     
    C’est très bon, bien écrit, bien construit. On reste un peu trop en surface parfois. C'est en tout cas définitivement très mauvais pour le moral. J’en avais l’estomac retourné par moment, et j’en suis ressortie avec la ferme intention de ne jamais prendre mari ni avoir d’enfants ! J’ai eu un peu de mal à le terminer du coup. Mais c’est sans aucun doute un coup de poing.
    A posteriori (une bonne semaine de réflexion tout de même), je me rends compte que le tout était un tantinet agaçant ! Trop de noirceur, un regard trop pessimiste sur la nature humaine. Il semble un peu à  la  « mode » de dénoncer maternité, et vie de famille comme une pure aliénation… Je n'ai pas l'expérience nécessaire pour donner un avis circonstancié sur la vie d'une mère, et a fortiori d'une mère au foyer, mais si c'était si terrible que ça, il n'y aurait vraiment aucune femme heureuse... Ce qui me paraît un tantinet outrancier! Mais c'est vrai que Rachel Cusk décrit aussi une autre manière de vivre la féminité et la maternité à travers un personnage particulier... Je n'en dirait pas plus!

    Extraits:
     
    « Elle se demanda si les livres qu’elle aimait la consolaient précisément parce qu’ils étaient les manifestations de son propre isolement. Ils étaient pareils à de petites lumières sur une étendue déserte, une lande : de loin ils semblaient serrés les uns contre les autres, innombrable, mais de près on voyait que des kilomètres et des kilomètres d’obscurité et de vide les séparait. »
     
    « Etait-ce cela que Juliet serait un jour ? Vide, entièrement déversée en Katherine, en Benedict et Barnaby ? Morte et pourtant vivante ? »
     
    « On se rend compte qu’on attend quelque chose, dit Juliet, qui n’arrivera jamais. La moitié du temps on ne sait même pas ce que c’est. On attend la prochaine étape. Puis, à la fin, on comprend qu’il n’y a pas de prochaine étape. Il n’y a rien de plus que ça. »
     
    « Elle vivait maintenant dans une sorte de boucle ou de circuit qui la faisait passer par les mêmes endroits et la ramenait sans cesse aux mêmes choses. »


    Clarabel en parle, Cathulu aussi.


    Rachel Cusk, Arlington Park, Editions de l'Olivier, 2007,

  • Dans l'île mystérieuse

     

    La vie est parfois compliquée. Les parents de Charlotte travaillent aux Etats-Unis, la laissant vivre avec son handicap entre son oncle Sébastien et un internat sinistre. Si seulement sa meilleure amie Jennifer ne la délaissait pas. Si seulement il n’y avait pas cette opération qui peu aussi bien la guérir que la clouer sur un fauteuil roulant à vie. Mais c’est quand rien ne va plus que soudainement un rayon de soleil apparaît. Pour Charlotte, c’est l’île mystérieuse, et cette fille étrange, Ludivine, qui veut être son amie.
     
    Malgré le résumé quelque peu mièvre, il s’agit d’un très beau roman pour adolescents sur le thème du handicap. Charlotte est une adolescente rendue hargneuse, dure, insolente par son handicap, par le regard des autres. Elle cache ainsi son désespoir et son besoin profond des autres et de leur amour. Des autres qu’elle juge incapable de comprendre ce qu’elle vit.
    Claire Julliard fait un tableau réaliste et dur du handicap, et surtout, de la manière dont une personne handicapée peut ressentir le regard des autres : une pitié insupportable, une dureté insoutenable, une indifférence soigneusement calculée qui blesse par-dessus tout. Si Charlotte se révolte, c’est contre ce regard là, contre les remarques atroces du genre : « si j’étais comme ça je préférerais mourir » ? Son sale caractère est une solide carapace de protection. Et pourtant, elle n’est pas dans un fauteuil Charlotte, elle marche. Mais c’est d’autant plus dur que ceux qui l’entourent se disent que ce n’est pas si grave.
    C’est là qu’intervient l’île qu’elle découvre un jour d’escapade, cette île secrète qu’elle veut sienne. C’est là qu’elle se retranche, qu’elle s’isole, au risque de fermer complètement à une humanité qui n’est pourtant pas si mauvaise que ça. Parce que même si la bêtise et la méchanceté sont présentent, il y a aussi l’amitié, le soutien, la solidarité qui permettent de s’en sortir mieux. Au départ, elle refuse que Ludivine accède à son île. Puis, petit à petit, elle s’ouvre, réapprend à faire confiance, elle accepte Ludivine avec ses qualités et ses défauts. Elle redécouvre en fait ce qu’est une véritable amitié. Ce qu’on reçoit et ce qu’on donne. La métaphore est facile, mais elle fonctionne bien. Même si l’écriture est parfois un peu trop poétique pour être crédible dans la bouche d’une adolescente en révolte, c’est un roman touchant et instructif, un roman qui fait réfléchir sur le regard que nous avons quand nous croisons quelqu’un dont les muscles ou les os, ou les nerfs ne fonctionnent pas bien. Je l’ai refermé en ayant l’impression d’avoir mieux compris quelques petites choses de la vie.
     
    « Poser un pied devant l’autre et marcher, aller droit, de côté ou bien faire demi-tour, ça n’a l’air de rien. Simple comme respirer ou dormir. Sauf si on a quelque chose qui cloche dans la tête ou dans le cœur, ou dans les muscles. Alors il faut bien se résoudre à se déplacer tout de travers. Ca devient une épreuve que les autres ne soupçonnent pas. Les autres, ils ont l’arrogance des bien-portants, la morgue des va-t-en-avant. Ils vous regardent traîner la jambe avec des yeux ronds. Ils se retiennent de dire ce qu’ils pensent. A croire que c’est eux les victimes, eux que le sort martyrise. »



    Claire Julliard, Robinsone, Médium de l’Ecole des loisirs, 2001, 180p.

  • Rosier et romarin

     

     

    Pour la première réunion du Club des théières, le thème choisi était la nuit. J’ai donc, après moult recherches porté mon choix sur La nuit sous le pont de pierre de Léo Perutz. C’est un auteur que j’avais lu il y a fort longtemps et que j’avais envie de retrouver.

     

    La belle Esther, épouse de Mordechai Meisel le marchand rêve, nuit après nuit, d’un amour fou et profond. Elle rêve, mais dans le ghetto de Prague, qui peut dire ce qui est rêve et ce qui est réalité ?

     

    En 14 chapitre, 14 tableaux, Léo Perutz peint la Prague du 17e siècle. Les récits s’entrecroisent, les personnages se rencontrent, s’aiment, se déchirent, se trompent. Et progressivement, d’ellipses en détails l’histoire se dessine. Elle est celle d’un homme qui réussit, un homme a qui la richesse vient sans qu’il la recherche, un homme béni ou maudit, on ne sait guère, un juif sans qui l’empereur Rodolphe ne serait rien. Un homme dont l’unique amour le trompe sans le savoir.

     

    C’est un roman difficile à raconter comme il l’a été à suivre. Léo Perutz décrit un monde en se reposant sur le socle solide de l’histoire, mais y instille de la truculence, du fantastique, de l’humour, de la poésie et du drame. Plus qu’un roman, on a l’impression de se retrouver devant une série de contes.

    On y découvre Prague dans ses différents quartiers, son organisation sociale, ses traditions, on y découvre l’histoire d’un empire et de sa chute, on y découvre ce que pouvait être la vie de la communauté juive au 17e siècle en Europe de l’Est.

    Il est beaucoup question de la vie, de la mort et du rêve dans ce récit. L’histoire d’Esther notamment montre à quel point la différence peut parfois être difficile à faire entre la vie et le rêve. Cet amour avec Rodolphe, l’empereur, qu’elle croit rêver nuit après nuit est puni comme s’il était réel, comme si elle trompait sciemment son époux. Il est puni même si elle n’en est pas responsable, jouet qu’elle est devenue d’intrigues politiques. Car c’est le rabbin qui a fait en sorte que les deux amoureux se rencontrent ainsi nuit après nuit, en enchantant un rosier et un romarin. Et qui l’a fait pour protéger sa communauté d’un empereur tombé fou amoureux de la belle Esther entraperçue une fois au détour d’une rue.

    Rien n’est plus réel sous sa plume que les fantômes qui hantent le cimetière juif, rien n’est plus réel que la magie de rabbins versés dans la Kabbale.

    Quand à la mort, elle est une vieille compagne qu’on retrouve de chapitres en chapitres. Qu’on l’appelle, qu’on cherche à la fuir, qu’on la provoque ou qu’on la donne, elle est présente. Elle frappe certains, en épargne d’autres, et elle frappe aussi un monde qui vit ses dernières heures et dont la destruction finale est portée à la connaissance du lecteur.

    En même temps, rien de plus foisonnant que ces ruelles, ces rues, même promises à la mort, rien de plus vivant que ces palais, ces maisons, ces hommes, ces anges qui pleurent et ces fantômes qui dansent.

    Ce qui sous-tend cette œuvre, c’est aussi l’union impossible de deux mondes, union symbolisée par l’amour fou et tragique de Rodolphe et Esther.

     

    Tous les chapitres, toutes les histoires que conte Léo Perutz ne m’ont pas touchées ou plues. J’ai parfois trouvé les récits un peu longuets ou moins intéressants. Mais j’ai rêvé, j’ai ri, j’ai été émue aux larmes en le lisant. C’est un hommage superbe rendu par cet auteur à sa ville natale.

    J’ai eu envie de repartir à Prague, j’ai eu envie d’en savoir plus sur l’histoire de cette ville. C’est un magnifique classique, et un bon moyen de découvrir cet auteur.

     

    « Quand le vent du soir soufflait sous les ondes du fleuve, la fleur du romarin se blottissant un peu plus contre la rose rouge, et l’empereur qui rêvait sentait sur ses lèvres le baiser de l’amante de ses songes.

    -         Tu es venu fort tard, murmura-t-elle. J’étais couchée et je t’attendais. Tu m’as fait attendre bien longtemps.

    -         Je ne t’ai jamais quittée, répondit-il. J’étais couché et je plongeais mon regard par la fenêtre, dans la nuit, je voyais les nuages passer et j’entendais le murmure de la fontaine, j’étais si fatigué qu’il me semblait que mes yeux allaient se fermer d’eux-mêmes. Et tu es enfin venue me retrouver. »


    Léo Perutz, La nuit sous le pont de pierre, Le livre de poche, 1990

  • Carton rouge

     





    Jean-Victor a connu une ascension professionnelle fulgurante jusqu’au jour où il a raté une marche. Mais un Dominant ne peut que rebondir. Question d’honneur, mais aussi de survie. Parce que dans le monde impitoyable où vit Jean-Victor, rester à la traîne de ses petits camarades équivaut à une sentence de mort.
     
    Pour un premier roman, c’est une réussite. Bertrand Guillot fait preuve d’une plume acide, drôle et d’un sens de la formule qui fait mouche. Son récit est souvent drôle, parfois hilarant, et il est rare que l’on passe une page sans au moins sourire. Il fait d’ailleurs participer son lecteur par le biais de notes de bas de page, renvoi aux annexes, défis, etc. Cela donne une impression de complicité plutôt agréable.
    Le milieu de la communication, de la publicité et de la télévision est passé au crible. Superficialité, cruauté, compétitivité, mépris, rien n’est oublié. Les dessous des paillettes sont décrits sans concession mais toujours avec humour. Quand aux grandes écoles et aux jeunes loups qui en sortent, le portrait est plutôt juste pour ce que j’en sais, et j’en ai vu suffisamment pour le dire ! Le tout pourrait se contenter d’être un portrait à charge d’un certain monde professionnel, mais si l’ambition débordante de ces jeunes gens, leur absence totale de compassion, d’empathie pour le reste du monde, leur mépris pour les plus petits, leur arrogance est détestable, ils se révèlent plus attachants que ce à quoi on pourrait s’attendre. Et plus effrayant aussi.  Parce qu’on n’arrive pas vraiment à les détester. Après tout, ils jouent à la console comme tout lemonde, ils aiment le foot, les bonnes bouffes. Ils ont aussi du mal à se lever le matin et leurs histoires d'amours et de fesses sont souvent calamiteuses. Parfois ils s'aiment et se marient, d'autres fois ils se déchirent. Mais avec peut-être un peu plus de cynisme que la moyenne.
    Il faut que Jean-Victor passe de l’autre coté du miroir de la réussite pour regarder son petit monde avec des yeux plus critiques. Sa participation au jeu télévisé La Cible marque son passage aux Enfers, sa volonté de remonter la pente, et ses errements. Entre histoire d’amour, recherche d’emploi, soirées VIP, il porte un regard effrayant et pourtant très drôle sur le monde qui l’entoure. Il est pathétique, attendrissant, détestable, effrayant. Humain quoi !
    Sous un vernis d’humour, des thèmes plus profonds sont abordés. Je pourrais les énumérer en utilisant des poncifs comme fracture sociale, fonctionnement de l’entreprise, reproduction sociale, fonctionnement aberrant d’un monde du travail qui lamine les individus. Ils sont bien là et on les perçoit petit à petit sous le vernis de l’humour et le vitriol.
     
    Attention toutefois. Les qualités de ce roman sont aussi ses défauts. Paillettes, branchouille, accent sur la férocité du monde moderne, Bernard Guillot en rajoute parfois un peu trop. Mais ce n’est pas très grave. Le plaisir reste de le lire reste intact.

    Bertrand Guillot, Hors-jeu, Le Dilettante, 2007, 281 p.