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  • La tante Julia et le scribouillard - Mario Vargas Llosa

    459264386.jpgQue voulez-vous, un titre comme ça, moi, je ne résiste pas! Et il était temps pour moi de découvrir cette plume incontournable de la littérature sud-américaine que représente Mario Vargas Llose. Avec en plus un bon whisky et un feu de bois à la faveur de vacances plus si récentes, j'ai ouvert avec gourmandise cet opus du grand monsieur sans me douter encore que j'allais me faire balader sur quelques centaines de pages de belle manière.

    Mais avant de continuer, quelques mots sur l'intrigue: Varguitas a 18 ans et passe ses journées d'étudiant en droit à rédiger les nouvelles pour la radio locale, espérant plus que tout faire reconnaître au monde entier sa vocation d'écrivain et rendant visite à sa nombreuse famille dans laquelle débarque un beau jour la belle Julia, superbe trentenaire bolivienne divorcée et fermement décidée à se trouver un second mari, quitte à s'entraîner un brin sur ce petit Vargas monté en graîne. Mais au jeu de l'amour, tel et pris qui croyait prendre...

    Voilà du moins pour l'intrigue principale. En fait, La tante Julia et le scribouillard ne peut pas vraiment se raconter. C'est une histoire d'amour scandaleuse entre un jeune homme et sa tante plus âgée que lui, c'est c'est l'histoire d'un apprenti écrivain, et c'est l'histoire du Pérou des années 50 avec sa bonne société, ses classes populaires, ses étudiants désargentés et la radio qui prend une place considérable dans l'existence de tout un chacun. La tante Julia et le scribouillard, c'est l'histoire d'un écrivain, mais par forcément de celui auquel on penserait au départ. Varguitas écrit, déchire ses oeuvres, se vexe, écrit àa la manière de truc et de muche avant de recommencer de plus belle. Varguitas est un débutant et moins que rien face à Padro Camacho, le maître absolu, l'auteur des feuilletons radiophonique qui tiennent en haleine le Perou tout entier. Sous sa plume, c'est une débauche de personnages hauts en couleur, de pages d'histoires familiales sordides ou drôlatiques qui se dessinent. Entre chaque chapitre suivant le développement des relations de Varguitas et de Julia, le lecteur a droit à un chapitre de feuilleton et rencontre à cette occasion un gynécologue qui parle trop vite, un flic un peu trop consciencieux, un clandestin nu, un dératiseur fou, une drôle de psychanalyste, un guitariste aux amours tragiques et pléthore d'autres personnages embringués dans des tragédies, des tragi-comédies, ou des comédies dont aucune n'est exempte d'une bonne dose de points d'exclamation et de suspense. J'avouerai qu'il m'a fallu un moment pour comprendre ce que venaient fiche au milieu de l'histoire de Varguitas ces élucubrations, il m'arrive d'être un peu lente (ou alors c'était le whisky et non je ne me cherche pas d'excuses), mais une fois le principe découvert, j'ai pris d'autant plus plaisir à ces chapitres que petit à petit Camacho perd la tête et le fil de ses histoires qui deviennent autant de monstres autonomes qui dévorent leur créateur.

    Ceci dit, si le procédé est indéniablement drôle et fascinant par ce qu'il dit de l'écriture et des relations entre l'écrivain et ses créations, on arrive un peu essouflé à la fin, fatigué par le trop-plein d'exagérations et d'envolées dans des histoires qui perdent de leur sel à force d'en avoir trop et qui porteraient presque un peu préjudice à l'histoire de Varguitas et de Julia. Parce qu'il ne faut pas croire, elle est belle cette histoire d'un amour presque interdit, clandestin en tout cas et auquel personne ne croit sauf les intéressés près à soulever des montagnes pour vivre au grand jour. D'autant plus belle que la situation était scandaleuse à l'époque et que le fond est manifestement autobiographique. Elle donne en plus l'occasion de découvrir un petit bout du Pérou, de son histoire et de son opposition aux argentins dont on ne sait pas vraiment ce qu'ils ont fait pour être détestés à ce point si ce n'est qu'ils ont du faire quelque chose!

    Et puis c'est une belle réflexion sur l'écriture et sur les affres de la création au final: de la naissance d'une grande plume à la mort d'une autre, d'un écrivain reconnu à un scribouillard qui enchante les masses, c'est un joli tableau que dresse Vargas Llosa.

    Bref, malgré mes petites réserves, toutes personnelles, c'est un tourbillon plutôt jubilatoire à découvrir!

    Vargas Llosa, Mario, La tante Julia et le scribouillard, Folio, 1985, 469 p., 3.5/5

     

     

     

  • Demain les chiens - Clifford D. Simak

    9369-h350.jpgEnfin présentés et commentés dans une édition complète et critique, les contes de la tradition orale canine devraient enchanter ceux qui connaissent déjà et ceux qui vont découvrir ces mystérieux récits dont la véracité et la signification sont toujours discutés par les savants Rover, Tige et Bounce.

     

    Je l’ai déjà souvent écrit, mais ce que je trouve le plus fascinant dans la science-fiction est la capacité de auteurs à livrer des œuvres qui parle de l’humain en en prenant le contre-pied. Et prendre le contre-pied, c’est ce que fait Simak en créant un univers où le chien est devenu, avec d‘autres espèces animales ou insectes, l’espèce intelligente dominante. Dans ce monde, l’homme est ravalé au rang de créature mythique, héros des histoires contées autour des feux de camps canins.

    Demain les chiens est composé des 8 contes, ou 8 nouvelles si vous préférez, chacun accompagné d’une note critique de l’auteur, anonyme, qui présente ainsi les hypothèses contradictoires des philologues. Car nul ne s’accorde sur le sens à donner aux contes : il y a ceux qui n’y voient que mythologies, ceux qui défendent une approche historique, ceux qui refusent toute possibilité d’une intelligence autre canine. Simak a rédigé ces nouvelles entre 1944 et 1951, leur donnant malgré cette distance dans le temps une cohérence accrue par les notes qui les lient les unes aux autres. J’ai beaucoup aimé ces notes. Pas simplement parce qu’elles lient les nouvelles, mais parce que ce faisant, elles donnent un aperçu de la culture et de la société canine telles que les envisage Simak. Elles sont un moyen pour lui d’amener ses lecteurs à réfléchir sur la manière dont les hommes analysent et interprètent les récits de leurs propres traditions, dont certains rejettent avec certitude toute possibilité d’une intelligence autre qu’humaine. C’est amusant de retrouver dans certaines interprétations et certaines réflexions les interprétations et les réflexions qu’ont pu faire naître les grandes évolutions et théories scientifiques : rotondité de la Terre, conquête spatiale… En filigrane se dessine le fossé qui se creuse entre les manières de pensée et le regard que l’on porte sur le monde d’une époque, d’une ère à une autre. Et on s'interroge comme cela arrive parfois à la faveur d'anecdotes ou d'histoires, sur les interprétations que l'archéologie donne aux découvertes qu'elle invente.

    Mais revenons aux contes. En 8 étapes, Simak dessine l’avenir possible de l’humanité : dislocation des cités et du tissu social, individualisme exacerbé, conquête spatiale, évolution de l'humain et de l'animal par le biais de mutations naturelles ou artificielles. Chaque récit est lié aux autres par ses personnages, tous appartenant ou étant liés à la famille des Webster, et étant part d'un événement ou d'un non événement crucial dans l'évolution du monde. Du coup, chacune est différente: certaines sont introspectives, d'autres plus tournées vers l'action, mais jamais, jamais on ne s'ennuie à suivre les trajectoires de ces hommes qui portent tous le poids, de plus en plus lourd, des actes de leurs ancêtres. A chaque nouvelle, l'humanité est différente: la société a définitivement éclaté, la cellule familiale également, la découverte de races extraterrestres a mené à un exode massif, les mutants dotés de pouvoirs télépathiques et de capacités hors normes ont trouvé leur propre chemin ce qui fait penser par certains aspects à l'oeuvre de Sturgeon, les robots acquièrent une certaine indépendance... Les chiens sont définitivement passés du statut d'animal à celui de créature pensante et intelligente aux capacités à la fois proches de celles de l'homme, d'une manière presque déstabilisante (j'avoue penser là à la tendance à s'affirmer comme alpha et omega de la création par exemple, ou d'imposer un ordre conçu comme légitime au reste du monde), et très éloignée avec entre autre leur perception des mondes parallèles. Certains aspects sont terrifiants et ouvrent à la réflexion sur la socialisation et les conséquences de sa disparition, d'autres sont drôles, comme cette tondeuse à gazon en plein conflit de territoire avec un vieil homme, la transformation de l'homme en une sorte de créature mythique dénommée webster... En tout cas, c'est terriblement intelligent et intéressant, maîtrisé de main de maître et indispensable dans une bibliothèque de science-fiction!


    Simak, Clifford D., Demain les chiens, J'ai Lu, 2002, 4/5

     

     

  • La nuit de l'oracle - Paul Auster

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    Sydney Orr, jeune écrivain new-yorkais, se remet doucement d’une grave maladie avec l’aide de sa femme Grace. Au cours d’une de ses promenades, il entre dans une petite papeterie où il achète un carnet portugais bleu qui va lui redonner l’inspiration et le goût de l’écriture. Mais si ce carnet est un miracle, il est aussi un piège dans lequel se brouillent tous ses repères, à commencer par ceux qui lui séparent la fiction de la réalité.

    Il y a des manques dans une vie de lectrice qu’on se sent un brin obligé de combler. Non pas par obligation, mais que voulez-vous, quand tout autour de vous tout le monde pousse des cris d’émerveillement, force est de supposer qu’on manque quelque chose et que ce n’est définitivement pas possible de continuer ainsi. En espérant être soi-même séduit. Le pari est gagné avec La nuit de l’oracle. C’est un roman vertigineux, époustouflant, une réflexion presque schizophrénique sur la fiction et le pouvoir de la création littéraire. Paul Auster explore à travers Sydney le processus d’écriture et le travail de l’écrivain, mais aussi le pouvoir des mots qui modèle la réalité, voire la crée. Petit à petit, de pages de carnet noircies en petits événements de la vie quotidienne, on voit la fiction et la réalité s’interpénétrer, se nourrir mutuellement jusqu’à l’hallucination et la folie. On vogue au gré des fils qui s’entrecroisent et se nourrissent les uns les autres, au gré des notes de bas de page qui sont presque un roman dans le roman, au gré de l’histoire qui est dans l’histoire qui est dans l’histoire. L’enchâssement des différentes dimensions du récit est parfait : la grande force de ce récit est qu’il ne perd jamais le lecteur malgré sa complexité, sa densité, et que les personnages fascinent par leur profondeur, la vérité qui se dégage de leur être, de leurs actes. Et plus fort que tout, on rentre dans la psyché de l’écrivain, on mesure l’impact de l’environnement de l’écrivain sur son travail et l’influence que l’œuvre a sur lui en retour, le rôle de l’inconscient qui dirige aussi la plume.

    D'autres avis chez Amanda, Stephanie et BOB!

    Auster, Paul, La nuit de l'oracle, Actes Sud, Babel, 2005, 236 p., 4/5


     

  • Gang des LIT, part 4

    Et oui, nous nous y tenons! Pour cette quatrième édition, les douces voix de Fashion, Stéphanie et moi-même vous accueillent avec un sommaire plein de surprises:

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    Dans la catégorie Mauvais genre: L'heure de l'ange d'Anne Rice.

    Dans la catégorie Cour de récré: Les fragmentés de Neal Shusterman et Le temps des miracles d'Anne-Laure Bondoux.

    Dans la catégorie Ils n'auraient peut-être pas du, un peu de Roald Dahl avec Fantastique maître Renard et son adaptation cinématographique.

    Dans la catégorie Bulles: Le trône d'argile de Nicolas Jarry, France Richemond, Theo Caneschi et Lorenzo Pieri suivi de près par Long John Silver de Xavier Dorison et Mathieu Lauffray.

    Dans la catégorie Le crime est notre affaire: Ce soir je vais tuer l'assassin de mon fils de Jacques Expert.

    Dans la catégorie Documentaires et autres: Les recettes inavouables et Les nouvelles recettes inavouables de Seymourina Cruse et Steven Ware.


    podcast

     

    Bonne écoute!

  • Le combat ordinaire - Manu Larcenet

    le-combat-ordinaire-tome1-cf2f2.jpgMarco a quitté la ville pour la campagne, il a arrêté le psy parce qu’il a l’impression que ça va vraiment mieux, il a arrêté de partir photographier les guerres et les catastrophes et il s’occupe à croiser de temps à autre son frère rigolard, ses parents qui vivent au bord de la mer. Marco est monsieur tout-le-monde, mais il est tellement, tellement plus…

    Il y a des œuvres comme ça qui croisent votre route l’air de rien et qui vous bouleversent au-delà de toute mesure. Ce n’est pas qu’elles soient particulièrement drôles, non, ni particulièrement tristes d’ailleurs, c’est juste qu’elles touchent quelque chose d’intime, et en même temps d’universel. Dans Le combat ordinaire, il y a une histoire particulière, celle de Marco, et il y a tout ce qu’elle dit sur la vie, l’amour, l’amitié, la famille. Manu Larcenet réussit le tour de force de raconter une histoire banale en lui donnant une force peu commune et en dressant une galerie de personnages terriblement humains et qui en disent long sur sa capacité à observer les gens et à en faire des personnages plus vrai que natures. Du coup on s’attache à eux, malgré l’agacement qu’ils provoquent parfois, voire la colère.

    Marco et sa trouille de l’engagement, son incapacité totale à passer à l’âge adulte, Emilie et sa patience, la maman qui se révèle un jour, les secrets du père, les ouvriers de l’arsenal, les journalistes et les artistes, on retrouve les petits travers, les grandes qualités, les petites histoires de la vie quotidienne.

    C’est tout simple et débordant d’émotion et de réflexions sur l’angoisse, sur les liens familiaux et les secrets de famille, sur l’amour et le changement radical qu’implique accepter un autre dans sa vie. De petits événements en grands changements, Manu Larcenet s’emploie à montrer de quelle manière on change et on grandit, qu’on le veuille ou non, et quels conflits et bonheurs cela provoque. Le combat ordinaire est celui que tout un chacun connaît à un moment ou à un autre de sa vie, ou toute sa vie et c’est la force immense de cet album qui met le lecteur face à ses propres questionnements, face à sa propre tendance à fuir les problèmes et les choix, face aux réactions que l’on peut avoir quand la maladie, la mort, le racisme, le chômage font soudain leur apparition. Avoir la chance de lire les quatre tomes d’affilé, c’est pouvoir percevoir mieux l’évolution de Marco, de son entourage, de la société aussi. J’ai apprécié ce moment passé avec les personnages.

    Les aventures de Marco sont servies à merveille par le dessin, tout en détails, en finesse, qui transcrit à la perfection les émotions et les ambiances. C’est un beau tableau, humain, sensible, touchant de la vie aujourd’hui, un petit chef d’œuvre qui démontre la force que peut avoir la bande-dessinée.

     

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    Larcenet, Manu, Le combat ordinaire, Dargaud, t.1 à 4, 5/5