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Littératures d'Amérique du Sud

  • L'art de la résurrection - Hernan Rivera Letellier

    Résurrection.jpg Zarate Vega a une toute petite particularité. Minuscule. Il est la réincarnation du Christ et se doit, par conséquent, de diffuser la bonne parole. Mais les voies du Seigneur, pour impénétrables qu'elles sont, n'en sont pas moins difficiles. Et la chair est faible. Quand il apprend que dans une mine vit une prostitué dévote de la Vierge du Carmel, prénommé, ni plus ni moins, Magdalena, il prend son baluchon pour tenter de la convaincre de devenir sa disciple. La rencontre va faire des étincelles.

    J'ai craint environ 30 secondes la charge contre la religion à grand renfort de sabots et autres accessoires. Mais non. Point du tout. Non pas que ce ne soit pas moqueur, bien au contraire. C'est même à mourir de rire par moment. Ce brave Christ d'Elqui faisant face aux aléas de la vie d'un messie réincarné ne manque pas de courage et de ridicule. Il faut absolument lire quelques uns de ses conseils et axiomes. Quant à ceux qui lui font face, des fervents aux sceptiques... Le récit est drôle, enlevé, et le seul reproche que je pourrais lui faire, pour autant que c'en soit un, est que les mésaventures de Domingo finissent par être un brin répétitives. Rien qui ne soit aisément renvoyé dans les limbes par ce mélange halluciné de critique sociale sur fond de lutte des mineurs contre leurs patrons, de paillardise, de folie et de poésie. C'est finalement plus de foi dont il est question que d'argumentation anticléricale, même si la critique là, et bien là. On balance à chaque page entre fable et réalisme. C'est par moment attendrissant, à d'autre surréaliste, jamais facile, très conseillé pour égayer les soirées d'hiver.

    " C'est un bon remède contre l'arrogance des hommes que de tourner la tête de temps en temps et de contempler sa propre merde."

    Rivera Letellier, Hernan, L'art de la résurrection, Métailié, 2012, 250p.

     

     

     

  • Belle et sombre - Rosa Montero

    9782864247715.jpg" La douceur et l'horreur sont ainsi proches l'une de l'autre dans cette vie si belle et si sombre."

    Sa vie, elle la commence par un voyage un train, celui qui l'amène vers une famille, sa famille. Sa tante Amanda, soumise et craintive, son oncle Segundo, tyrannique et violent, son cousin Chico, la naine Airelai, magicienne. Et sa grand-mère, dona Barbara, tellement imposante et forte. Au coeur d'un quartier populaire où les lois sont celles des clans, tous vont attendre le retour de Maximo, son père, pivot des secrets qui les rongent.

    Mystère, magie... Et paradoxalement réalisme cru. J'avoue ne pas trop savoir par quel bout attraper Belle et sombre. Peut-être tout simplement par le bonheur pris à écouter la voix de celle qui raconte, cette petite fille qui regarde le monde, tente de le comprendre, ouverte à la peur, au bonheur, à la magie, au mystère qui sont son quotidien dans cette famille où les femmes sont sorcières quand elles sont fortes, et où les hommes sont la cause de tous les malheurs du monde.

    Autour d'elle il y a le Quartier et ses règles qu'il faut respecter, ses rues interdites aux lumières violentes, ses frontières derrière lesquels la vie est encore plus dure, sa violence qu'on devine au gré des rencontres, celle du Portugais, de l'Homme-Requin, des cadavres, des coups. Une violence et une cruauté quotidiennes qui s'allient avec la beauté de choses, les mystères du monde des adultes qui font parfois ressembler le quotidien à un rêve. A une de ces histoires fabuleuses que raconte Airelai. Un beau personnage, Airelai, qui n'est pas pour rien dans le charme un brin vénéneux qui se dégage du roman. Car on se retrouve vite pris par la spirale de violence, de mort, de magie et de beauté dans laquelle cette famille se débat, déchirée par la lutte entre deux frères ennemis. 

    Et puis il y a l'écriture de Rosa Montero, et cette très belle traduction de Myriam Chirousse. Pas une page que l'on n'ait pas envie de marquer pour en retenir une phrase, un paragraphe, et cela dès les premières lignes.

    Un bijou.

    Tournez les pages, ...

    Montero, Rosa, Belle et sombre, Métailié, 2011, 192p.

  • Le ruban rouge - Carmen Posadas

     

    1794, la Terreur bat son plein. Les exécutoins se succèdent à un rythme soutenu. Parmi les condamnés, deux jeunes femmes se lient d'amitié et survivront grâce à la chute de Robespierre. L'une deviendra impératirce, l'autre sera une des femmes les plus adulées de la Révolution avant de devenir l'égérie du Directoire. Devenue vieille, Thérésa Cabarus raconte le destin extraordinaire qui a mené une jeune aristocrate espagnole à s'inscrire dans l'histoire de France.

    Je ne sais pas trop ce que j'attendais en cochant la petite case devant ce titre lors de l'opération Masse Critique de Babélio, mais certainement pas à ça. Une romance historique m'aurait fait grand plaisir, un essai romancé m'aurait au moins intéressée, mais cette espèce de pensum indigeste m'a laissé un goût d'inachevé. Sans doute parce qu'après avoir lutté sur deux cent pages, j'ai jeté l'éponge. Carmen Posadas se flatte de brosser le portrait d'une femme hors du commun, prise dans les remous d'une époque de ruptures et de violence. Ça aurait pu être fascinant, ça se transforme en un cours d'histoire de France mal digéré. L'histoire des moeurs, le portrait de femme, tout cela est noyé dans des descriptions longues comme le bras de la situations politique et des intrigues de salon. Et alors même qu'il semble qu'elle ait joué un rôle important encore qu'effacé par son statut de femme, Thérésa est présentée, en tout cas sur la grosse moitié que j'ai lue, comme une jeune femme intuitive mais finalement peu intéressée par quoi que ce soit d'autre que ses futilités et son confort. Quiconque un tant soi peu familier avec l'histoire de la période n'apprendra rien de bien passionnant. Et alors que des mémoires pourraient se révéler enlevées et passionnantes, Carmen Posadas utilisant la voix de Thérésa ne parvient jamais à la rendre proche à son lecteur ou intéressante par le récit qu'elle pourrait faire des événements qu'elle a vécu. Ajoutons à cela que le style est pour le moins plat et que les dialogues ne sonnent jamais, ou du moins rarement juste, la coupe était pleine. Bref, on est dans un entre-deux qui rend le récit ennuyeux comme rarement. Pour être tout à fait franche, mes cours de licence étaient plus enthousiasmants.

    Choupynette a un avis plutôt similaire au mien.

    Merci malgré tout à Babelio et au Editions du Seuil pour cet envoi.

     

      

  • La tante Julia et le scribouillard - Mario Vargas Llosa

    459264386.jpgQue voulez-vous, un titre comme ça, moi, je ne résiste pas! Et il était temps pour moi de découvrir cette plume incontournable de la littérature sud-américaine que représente Mario Vargas Llose. Avec en plus un bon whisky et un feu de bois à la faveur de vacances plus si récentes, j'ai ouvert avec gourmandise cet opus du grand monsieur sans me douter encore que j'allais me faire balader sur quelques centaines de pages de belle manière.

    Mais avant de continuer, quelques mots sur l'intrigue: Varguitas a 18 ans et passe ses journées d'étudiant en droit à rédiger les nouvelles pour la radio locale, espérant plus que tout faire reconnaître au monde entier sa vocation d'écrivain et rendant visite à sa nombreuse famille dans laquelle débarque un beau jour la belle Julia, superbe trentenaire bolivienne divorcée et fermement décidée à se trouver un second mari, quitte à s'entraîner un brin sur ce petit Vargas monté en graîne. Mais au jeu de l'amour, tel et pris qui croyait prendre...

    Voilà du moins pour l'intrigue principale. En fait, La tante Julia et le scribouillard ne peut pas vraiment se raconter. C'est une histoire d'amour scandaleuse entre un jeune homme et sa tante plus âgée que lui, c'est c'est l'histoire d'un apprenti écrivain, et c'est l'histoire du Pérou des années 50 avec sa bonne société, ses classes populaires, ses étudiants désargentés et la radio qui prend une place considérable dans l'existence de tout un chacun. La tante Julia et le scribouillard, c'est l'histoire d'un écrivain, mais par forcément de celui auquel on penserait au départ. Varguitas écrit, déchire ses oeuvres, se vexe, écrit àa la manière de truc et de muche avant de recommencer de plus belle. Varguitas est un débutant et moins que rien face à Padro Camacho, le maître absolu, l'auteur des feuilletons radiophonique qui tiennent en haleine le Perou tout entier. Sous sa plume, c'est une débauche de personnages hauts en couleur, de pages d'histoires familiales sordides ou drôlatiques qui se dessinent. Entre chaque chapitre suivant le développement des relations de Varguitas et de Julia, le lecteur a droit à un chapitre de feuilleton et rencontre à cette occasion un gynécologue qui parle trop vite, un flic un peu trop consciencieux, un clandestin nu, un dératiseur fou, une drôle de psychanalyste, un guitariste aux amours tragiques et pléthore d'autres personnages embringués dans des tragédies, des tragi-comédies, ou des comédies dont aucune n'est exempte d'une bonne dose de points d'exclamation et de suspense. J'avouerai qu'il m'a fallu un moment pour comprendre ce que venaient fiche au milieu de l'histoire de Varguitas ces élucubrations, il m'arrive d'être un peu lente (ou alors c'était le whisky et non je ne me cherche pas d'excuses), mais une fois le principe découvert, j'ai pris d'autant plus plaisir à ces chapitres que petit à petit Camacho perd la tête et le fil de ses histoires qui deviennent autant de monstres autonomes qui dévorent leur créateur.

    Ceci dit, si le procédé est indéniablement drôle et fascinant par ce qu'il dit de l'écriture et des relations entre l'écrivain et ses créations, on arrive un peu essouflé à la fin, fatigué par le trop-plein d'exagérations et d'envolées dans des histoires qui perdent de leur sel à force d'en avoir trop et qui porteraient presque un peu préjudice à l'histoire de Varguitas et de Julia. Parce qu'il ne faut pas croire, elle est belle cette histoire d'un amour presque interdit, clandestin en tout cas et auquel personne ne croit sauf les intéressés près à soulever des montagnes pour vivre au grand jour. D'autant plus belle que la situation était scandaleuse à l'époque et que le fond est manifestement autobiographique. Elle donne en plus l'occasion de découvrir un petit bout du Pérou, de son histoire et de son opposition aux argentins dont on ne sait pas vraiment ce qu'ils ont fait pour être détestés à ce point si ce n'est qu'ils ont du faire quelque chose!

    Et puis c'est une belle réflexion sur l'écriture et sur les affres de la création au final: de la naissance d'une grande plume à la mort d'une autre, d'un écrivain reconnu à un scribouillard qui enchante les masses, c'est un joli tableau que dresse Vargas Llosa.

    Bref, malgré mes petites réserves, toutes personnelles, c'est un tourbillon plutôt jubilatoire à découvrir!

    Vargas Llosa, Mario, La tante Julia et le scribouillard, Folio, 1985, 469 p., 3.5/5

     

     

     

  • Le vieux qui lisait des romans d'amour

    Le Vieux qui lisait des romans d'amour.jpgVoilà belle lurette que je lorgnais du coin de l'oeil sur ce court roman, classique des classiques lus en classe et à côté duquel j'étais jusqu'alors passée. Heureusement qu'il y a les vacances (celles d'il y a longtemps, certes), pour réparer ce genre d'erreur de parcours!

     

    Il était une fois un village au bord du fleuve, perdu dans la forêt. Il était une fois une bête sauvage rendue folle par la perte de son compagnon et de sa portée. Il était une fois un monde en train de mourir par la faute d'hommes incapables de le comprendre. Il était une fois un vieux qui lisait des romans d'amour.

     

    Court mais intense, Le vieux qui lisait des romans d'amour est un superbe hommage à la forêt amazonienne et un cri de désespoir face à sa mort lente et inexorable. Luis Sepulveda s'attache aux pas d'Antonio José Bolivar, vieux colon qui vit en marge du village, attaché à sa paix et aux romans d'amour que le dentiste itinérant lui ramène de la ville de temps à autre. Un merveilleux personnage cet Antonio, complexe et attachant, le seul capable de comprendre la forêt autour et ses habitants. A travers lui, Sepulveda nous entraîne dans un monde luxuriant, dangereux et fascinant qu'il décrit avec une sorte de sensualité qui donne à ressentir la moiteur, les odeurs et les bruits de la forêt. Mais Le vieux qui lisait des romans d'amour n'est pas que cela: ce qu'il raconte, c'est une chasse, la dernière chasse d'Antonio.

    Une bête rode et tue les hommes, elle se rapproche  du village, rendue folle par un chasseur. Or, Antonio est le seul capable de la trouver et de l'abattre. Au fil des événements, il va se souvenir: son départ des montagnes, poussé par la faim et la pauvreté, son arrivée au village avec sa femme, la mort et le désespoir, la fuite et la vie dans la jungle avec une tribu indienne, le retour à une soi-disant civilisation symbolisée par le village d'El Idilio.

    En fait de lieu idyllique, El Idilio est surtout le cauchemar avancé de l'occident. Chercheurs d'or âpres au gain et capable du pire pour une poignée de pépites, maire obèse et tyrannique que la vanité pousse à éliminer tout ce qu'il perçoit comme une opposition, colons apeurés, chasseurs et scientifiques occidentaux incapables de respecter la forêt et ses habitants. Tout un monde de sang, de larmes et de violence où toutes les valeurs morales sont dissoutes dans la moiteur de l'atmosphère. Un monde dont le vieux s'échappe en lisant ces romans d'amour qu'il déchiffre doucement et qui lui rappellent que l'amour fait mal. Lui, se souvient de cet amour si fort qui le liait à sa femme décédée, et il vit cet amour intense qui le lie à la forêt et aux shuars, cette tribu dans laquelle il a vécu un temps et qui lui a appris à aimer la forêt et à la respecter. Deux amours qui font mal, l'un parce qu'il est mort, l'autre parce qu'il faut regarder et ressentir la mort en train de frapper l'autre.

    Dans ce sens, on peut parler d'un roman écologique et militant, presque d'un roman politique. Mais ce n'est pas tout ce qu'est Le vieux qui lisait des romans d'amour. Le récit vit aussi par ses deux personnages principaux: la forêt d'abord, et le vieux ensuite. Je sais que je lai déjà dit, mais c'est un merveilleux personnage, ce vieil homme têtu et dur au mal, roublard et lucide. Et puis il y a le dentiste aussi qui arrache les dents des colons et leur vend des dentiers, qui ramène au vieux les livres conseillés par une putain de la ville.

    Sepulveda a su en 120 courtes pages mettre en mots et en images tout un monde et les souvenirs d'une vie. C'est un roman touchant, intelligent dont il ne faut pas certainement pas se priver.

     

    Le billet de Lael, Jules, Chrestomanci, Mo,...

    Luis Sepulverda, Le vieux qui lisait des romans d'amour, 1995, 4/5