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  • Miss Charity

     

    Charity aime les animaux, les champignons et les moisissures, trembler en écoutant les histoires sanglantes que lui raconte Tabitha la bonne écossaise, peindre à l'aquarelle et se promener dans la campagne, échevelée et mal habillée. Des choses auxquelles une petite anglaise de la bonne société des années 1880 ne devrait pas s'intéresser et qui deviennent le centre de son existence.

    Il y a des romans comme ça qui ensoleillent, rendent le sourire et donnent envie de croquer la vie à pleines dents. Miss Charity est du nombre. C'est une petite merveille de délicatesse, de tendresse, d'humour et de bonheur où se croisent des tortues, des souris, un rat, des canards, une pie voleuse et bavarde, un lapin magicien, une ânesse, quelques parterres de champignons, un serpent à deux tête et des humains pas toujours bien malins.

    Miss Charity c'est d'abord une histoire, celle de Charity. Charity n'a pas la vie facile, grandissant entre une mère étouffante et un père mutique, tous deux engoncés dans les conventions et la piété d'une société anglaise puritaine et rigide. On la suit petite fille découvrant la vie foisonnante du jardin, se taisant devant les amies de sa mère, incapable de regarder son père, puis grandissant et exerçant un sens critique aiguisé par l'observation de ses compagnons à poils et à plumes. C'est un personnage attachant, maladroit, exubérant, et toujours fourré dans les situations les plus rocambolesques et gênantes, surtout quand Kenneth, l'exaspérant Kenneth est là pour la surprendre. Une excentrique à qui est promis l'avenir d'une vieille fille à charge de sa famille et qui va prendre un envol et une indépendance choquante pour son milieu grâce à une gouvernante française toute pâle, un répétiteur allemand pas très beau mais très intelligent, une bonne paresseuse mais débrouillarde, un éditeur timide et des enfants séduits par les petites histoires qu'elle raconte. A travers le regard d'abord naïf puis de plus en plus lucide de Charity, c'est tout un tableau de l'Angleterre qui se déploie au fil des pages, des rues embrumées de Londres aux champs et aux rivières de la campagne anglaise, de la haute société au monde des asiles, des orphelinats et des tavernes.

    Miss Charity, ce pourrait être une biographie déguisée de la célèbre Miss Potter, c'est un mélange de roman et de pièce de théâtre détonnant. Marie-Aude Murail parvient à faire un tableau criant de vérité de l'Angleterre de l'époque et à manier un humour so british qui fait mouche à chaque page. Les dernières pages sont à cet égard un monument du genre, les citations croisées d'Oscar Wilde et Bernard Shaw à la manière d'une finale de Roland Garros étant à l'égal des dialogues des meilleures comédies. D'ailleurs, tout le roman ferait une merveilleuse pièce de théâtre: Marie-Aude Murail déploie son sens du rythme, du dialogue, de la réplique qui fait mouche. Les références fourmillent et c'est un bonheur de les repérer aux détours d'une phrase ou d'un dialogue. A tout cela s'ajoutent les superbes illustrations de Philippe Dumas qui accompagnent et complètent le texte avec pertinence et finesse tout en donnant envie de retourner vers les délicates et merveilleuses petites histoires de Beatrix Potter qui a inspiré l'histoire comme les illustrations.

    C'est enlevé, passionnant de bout en bout, intelligent et profond, c'est, vous l'aurez je pense compris, une merveille de roman qui s'avale d'une traite malgré son épaisseur imposante. Un des premiers coups de coeur de cette année qui va gagner une place d'honneur sur les étagères dès que j'aurai eu le temps d'aller le quérir en librairie pour pouvoir le feuilleter à ma guise et rêver, rire, frémir de nouveau avec Charity.

     

    L'avis de Cathulu, de Cuné, Lael, Emjy, Fashion,...

    Marie-Aude Murail, Miss Charity, L'école des loisirs, 2008, 562 p., 5/5

  • Mrs Palfrey, hôtel Claremont

    Veuve, ne pouvant plus assumer l'entretien de sa maison, Mme Palfrey choisit de s'installer dans un hôtel qui sert de résidence à un petit groupe de personnes âgées. Dans ce petit monde où la lecture des menus et des conversations rythme le temps qui passe, de toutes petites choses éclairent ou assombrissent le quotidien.

    J'amorce avec ce très beau roman reçu dans le cadre du London Swapma découverte d'une merveilleuse romancière anglaise. Elizabeth Taylor, puisque c'est d'elle dont il est question a une plume superbe qui parvient avec finesse, tendresse, cruauté et drôlerie, à dresser le portrait de personnes âgées et de leurs relations avec le monde qui les entoure.

    Dieu sait qu'il est hostile ce monde: une jeunesse dont les us et coutumes sont incompréhensibles, des familles dont la compassion et les bons sentiments sont insupportables, de vieux os qui trahissent chaque jour un peu plus leurs propriétaires, le spectres des hospices et de la perte de toute indépendance qui se profile à l'horizon. Et pourtant, l'espoir toujours, la volonté de faire face et de prendre le meilleur de ce qui reste. A travers les yeux de Mrs Palfrey et de quelques uns des autres pensionnaires on prend la mesure de la cruauté de cet âge de la vie, de la solitude et de ce besoin viscéral d'un peu d'amour et d'attention.

     Il n'y a pourtant rien de larmoyant ou de pitoyable dans les aventures de cette bande de retraités. Bien au contraire, tous portent sur leurs copensionnaires et leur vie un regard acéré et parfois cynique réjouissant. Ils épinglent leurs petits travers, trépignent de pouvoir faire enrager les autres, se réjouissent un peu honteux de leurs petits malheurs, tentent de cacher ce dont ils ont honte. Mrs Palfrey est un personnage adorable: digne vieille damee anglaise, terrifiée par l'horrible Mrs Arbuthnot et pourtant capable de faire face à de folles aventures et à l'amitié qui se noue entre elle et Ludo, un jeune écrivain désargenté. C'est une jolie histoire qui se noue entre eux et apporte du sel à l'existence de Mrs Palfrey: elle se découvre capable de mentir, de faire le mur, d'affronter le regard des vieilles dames comme il faut en allant boire un doigt de sherry avec la vieille dame de mauvaise vie du groupe, de faire tourner en bourrique un petit-fils avec lequel les liens se sont distendus. Ludo lui, se retrouve embringué dans une drôle d'amitié, alors qu'il ne voyait là que l'occasion d'amasser de la matière pour son roman. Ensemble, ils vont faire un bout de chemin qui va leur donner de la force. Pour l'une celle de faire face aux derniers jours de sa vie, pour l'autre, de grandir un petit peu plus. Au-delà de l'amitié de Ludo et Mrs Palfrey, tout un ensemble de petites histoires drôles ou tragiques émaillent le récit et rendent le petit monde de l'hôtel Claremont follement vivant tout en nous parlant de ce que la société occidentale fait de ces personnes âgées devenues encombrantes.

    Une très belle lecture donc, pour laquelle je remercie plutôt deux fois qu'une Chimère!

    Figurez-vous qu'il y a un film! J'ai trouvé la bande annonce! J'adorerais le voir!

     

    J'ai aussi beaucoup pensé à cette magnifique chanson de Jacques Brel, Les vieux.


    Découvrez Jacques Brel!

    L'avis de Dominique.

    Elizabeth Taylor, Mrs Palfrey, hôtel Claremont, Rivage poche, 1992, 213 p., 5/5

  • Le stradivarius caché

     

    En passant devant ce roman, mon oeil a été attiré par son titre, puis par le nom de son auteur qui me disait furieusement quelque chose. Et pour cause, puisque John Meade Falkner n'est autre que l'auteur du merveilleux Moonfleet que j'ai usé jusqu'à ce qu'il tombe en morceau quand j'étais adolescente (et même plus tard, que voulez-vous, je suis fidèle à mes premières amours): des contrebandiers, des aventures, des amours contrariées, de l'histoire, pensez donc! Tout ceci pour expliquer pourquoi diable je me suis jetée dessus sans retenue aucune et l'ai dévoré le temps de quelques trajets de métro manquant à plusieurs reprise de rater ma station, comme le veut la tradition de la LCA parisienne plongée dans un bon bouquin.

    Mais qu'est-ce que ça raconte tout ça allez-vous me demander sans doute et avec raison. Allons-y donc pour un résumé de l'intrigue: au cours de ses études à Oxford, le jeune lord Maltravers, musicien accompli, commence à entendre des bruits étranges et à voir un fantôme dès lors qu'avec son ami, il joue l'Aeropagita, pièce italienne du 18e siècle. Quelques temps plus tard, le spectre, un gentilhomme anglais, le mène vers la cachette d'un magnifique instrument: un merveilleux stradivarius. Mais cette découverte, loin d'être anodine, va le mener à sa perte.

     Autant le dire tout de suite, Le stradivarius caché est un roman furieusement de son temps, et pourtant abominablement passionnant. Les deux ne sont pas antinomiques, loin de là! Falkner trousse à merveille son histoire de fantôme, faisant monter l'angoisse et le suspense à mesure que l'étrange s'instille dans la vie de Maltravers. Peu de choses au départ: un fauteuil en rotin qui craque, la sensation d'une présence, une brume. Et puis, petit à petit, le roman bascule avec la découverte du Stradivarius. Pourtant, le fantastique n'est pas l'aspect principal du récit même s'il y tient une place importante, un violon maléfique n'étant pas après tout la base d'une banale histoire d'aventure. Ce n'est pas tant le fantôme et le violon qui sont au centre que la lente déchéance et la folie qui sont au bout de la route du héros et la manière dont son entourage a perçu cette histoire. Le narrateur est d'ailleurs la propre soeur de John Maltravers, Sophia, qui raconte à son neveu, héritier du titre, les mystérieuses circonstances dans lesquelles son père et sa mère sont morts. Son discours, qui ne rejette pas les phénomènes inexplicables dont elle a été témoin tout en les condamnant avec toute la force de la foi chrétienne qui est la sienne est contrebalancer par celui du deuxième tuteur du jeune lord, l'ami intime de Maltravers, lequel au contraire, malgré tout ce qu'il a vu et malgré les discours tenus au cours de sa jeunesse, tente de trouver une explication rationnelle à tout cela. Le tout donne un récit dont les rebondissements s'enchaînent sans temps morts malgré le style un peu "passé" de l'auteur et des réflexions sommes toutes très marquées par le christianisme et sa morale. Il est tout de même question au fond de la tentation et des risques qu'il y a à y céder et à vivre hors des chemins tracés par la tradition et la foi. Ceci étant dit, rien de cela ne gêne la lecture et c'est au final un roman court mais passionnant qui mérite d'être connu et qui donne une furieuse envie d'écouter cette Aréopagita.

     L'article de Mazel.

    John Meade Falkner, Le stradivarius caché, Rivages poche, 1995, 381 p. 3.5/5

  • Mais où est donc passée la Chiffonnette Chiffon?

    Ce matin jai emmené mes (fausses) converses faire le travail buissonnier. DSCN2070.JPG

     

     

     

     

     

     

    Elles et moi avont papoté bruyères avec un charmant monsieur, contemplé les jonquilles

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    et les reflets dans l'eau

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    avant de faire connaissance avec miss Charity et de hanter les salles obscures.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Demain je pars faire un tour au pays des scones, des autobus rouges, des romancière et des sexy men. Si je croise Colin ou Daniel, je les ramène dans mon sac à dos en même temps que le fudget et autres gourmandises!

    Reprise des activités et tout plein d'articles à mon retour!

  • Oedipe sur la route

    Oedipe le parricide, le fils incestueux, l'aveugle dont les enfants sont promis à un sombre destin. Ce personnage antique, nous le connaissons par le fameux complexe que Freud a mis en lumière et qui a connu une postérité telle qu'on en parle aujourd'hui à presque toutes les sauces, en oubliant un peu vite qu'Oedipe est aussi, et avant tout un personnage littéraire, une figure tragique d'une rare envergure, le personnage  principal d'une pièce superbe et le père d'une fille dont le nom est aussi célèbre que le sien. Cet Oedipe tragique, j'en garde un souvenir lointain, brumeux, celui d'un homme fait d'une pièce, jouet des dieux qui se soumet à son destin. Henry Bauchau lui, en a fait plus qu'un homme. Sous sa plume, Oedipe devient un être humain dans le parcours duquel tout le monde peut se reconnaître.

     Coupable, Oedipe l'est sans aucun conteste. Il est même LA figure de la culplabilité. Mais responsable du drame qui a ruiné sa vie, celle de femme et mère, celle de ses enfants et frères et soeurs, il ne l'est pas. La culpabilité qu'il ressent et qui le pousse à se crever les yeux avant de partir sur la route est celle d'avoir été aveugle toute sa vie à ce qu'il était et à ce qui l'entourait. En s'aveuglant et en s'exilant, il part d'abord vers l'anéantissement. Puis, sous l'influence d'Antigone qui l'a suivi magré tout, et sous celle de Clios le bandit qui va devenir l'ami et le frère, il va se revenir vers la vie et commencer à parcourir le long chemin intérieur qui va le mener vers la connaissance de soi et l'acceptation de ce qu'il est et de ce qu'il a fait.

    A travers Oedipe, Bauchau raconte le parcours de tout homme et de toute femme qui décide de faire face à ses démons et parle de l'aide que peut apporter l'art dans ce parcours, et de l'importance des rencontres, de l'entourage. Clios qui maintient en vie, protège , Diotime la guérisseuse qui ouvre la voie vers la guérison, Calliope qui jalonne le chemin, Constance qui raconte, ... Une galerie de personnages lumineux, qui deviennent des compagnons.

    Au fil des pages, le long voyage d'Oedipe et Antigone se confond avec le voyage intérieur d'Oedipe en un récit au temps suspendu. L'errance dure des années que le lecteur ne voit pas passer. Les indications de temps sont rares. On se sait en été, en hiver, en automne, au printemps, à l'aube, au coeur de la nuit. Rien de plus et c'est bien ainsi. L'important n'est pas le temps que prend le chemin, mais le visage de ce chemin, les paysages de Grèce, les éléments que Bauchau parvient à faire sentir au lecteur en peu de mots. L'histoire et les légendes aussi sont au centre. L'histoire des personnages, et à travers eux de la Grèce. Quand cela devient nécessaire, Bauchau se fait conteur comme Oedipe l'aède. Des histoires dans l'histoire émaillent le récit, l'aèrent, l'enrichissent. La parole de Constance par exemple, qui dit l'histoire des hautes colline a les résonnances d'un mythe fascinant.

    Le chant, le conte, l'art quel qu'il soit est de toute manière au centre de l'oeuvre de Bauchau. Il est moyen de la connaissance de soi, de la catharsis. Oedipe s'exprime à travers la sculpture et le chant. Symboliquement, sa voix lui revient au fil du travail qu'il accomplit sur lui-même. Antigone, elle, sculpte et file, danse et combat. Clios danse et exprime dans cette danse tout ce qu'il est, il va rencontrer la couleur, la peinture. L'art, s'il vient du fond du coeur et de l'âme est essentiel. Peu importe qu'il survive à celui qui a créé: Oedipe abandonne ou détruit ses oeuvres, et rien n'est plus éphémère qu'un chant ou une danse. Ce n'est pas important. L'art est simplement, et justement ce qui permet d'exister et c'est bien. La vague est un chapitre particulièrment impressionnant par la démesure de l'oeuvre accomplie et par la symbolique forte de cette vague sculptée dans une falaise qui menace d'engloutir une barque qui pourtant la surmonte. Oedipe sculpte, et il sculpte d'autant mieux que ses mains traduisent totalement et pleinement ce qu'il est et ce qu'il est en train de devenir. Oedipe sculpte parce qu'il est aveugle et parce que dans le noir, il devient totalement et pleinement conscient de ce qu'il est et de l'essence de ce qui l'entoure. La vague, il la dompte avant qu'elle ne retombe et n'engloutisse tout sur son passage. Et ainsi, il se sauve et sauve Antigone, Clios et ceux qui l'entourent. Au terme de sa route, Oedipe s'est trouvé, mais il a aussi permis à Antigone de devenir Antigone, à Clios d'être Clios, à Calliope de trouver sa voix.

    Lire Bauchau, c'est prendre un risque à chaque fois. C'est en tout cas ce que je ressens chaque fois que je termine une de ses oeuvres. On peut ne pas être sensible à ses écrits. En ce qui me concerne, ses mots résonnent, rencontrent un écho. Comme Antigone, Oedipe sur la route est un roman fort, plein de la lumière et des senteurs de la Grèce, plein des drames et du cheminement d'hommes et de femmes en quête d'eux-même.  

     

    Les mots d'Erzébeth, ceux de Dda

    J'ai retrouvé l'article qui m'avait amenée à Henry Bauchau et son Antigone... Erzébeth, soit mille fois remerciée pour cette belle rencontre.

     

    Henry Bauchau, Oedipe sur la route, Actes Sud, Babel, 1992, 410 p., 5/5