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  • La cucina

     

    Si Rosa Fiore aime quelque chose, c'est la cuisine, un art qui lui permet de surmonter les pires des drames et de continuer à vivre vaille que vaille. Jusqu'au jour où sa route croise celle du mystérieux Inglese, pas particulièrement beau mais tellement attirant, qui en échange des secrets de la cuisine sicilienne, va initier la vieille fille qu'elle est devenue aux plaisirs de la chair. La Cucina est à la fois une ode à la Sicile, ses femmes et sa cuisine et un roman truculent, parfois un brin fantastique et souvent drôle. Dès le premier chapitre, j'ai été emprisonnée dans l'histoire racontée par l'extraordinaire Rosa. " Dépose un tas de farine sur la table, la vieille table de chêne qui nous vient de Nonna Calzino, patinée par des années d’usage quotidien. Il en faut juste assez, ni trop, ni trop peu. De la fine farine de blé dur du moulin de Papa Grazzi à Mascali. Ajoute une bonne pincée de sel. Fais un puits et casses-y des œufs entiers extra-frais, plus quelques jaunes, puis incorpore un filet d’huile d’olive premier choix et quelques cuillerées d’eau froide. Ensuite, du bout des doigts, mélange les liquides à la farine, jusqu’à ce que tu obtiennes une pâte souple. Si les œufs la rendent un peu collante, c’est normal. Continue à la fraiser en la faisant rouler sous la paume des mains. Il faut que les bras fatiguent et qu’une petite rigole de sueur naisse entre les omoplates et descende vers le sillon entre les fesses. Cela vaut pour l’hiver, bien entendu. En été, la sueur ruisselle sur le visage et le cou et tombe goutte à goutte sur la table et le dallage en imprégnant les vêtements. Quand la pâte est élastique, huile-la au pinceau, recouvre-la d’un linge humide et laisse-la reposer. Elle en a tout autant besoin que toi. Cela te laisse le temps de feuilleter un magazine et de te tenir au courant de la dernière mode, ou d’observer par la fenêtre la jeune Maria en train de flirter avec le postier au coin de la rue, un peu plus bas, Fredo qui passe à bicyclette ou les chiens errants qui tentent d’échapper à l’employé de la fourrière. La vie qui va sous tes yeux. C’est le moment de commencer à étaler la pâte. Saupoudre la table de farine et divise le pâton en huit sections égales. Une à une, aplatis-les avec le rouleau à pâtisserie, en exerçant une pression vers l’avant, de manière à obtenir une forme rectangulaire. Procède ainsi jusqu’à ce que chaque section de pâte forme une longue bande de l’épaisseur de la lame d’un couteau. Le couteau qui a tranché la gorge de Bartolomeo. Qui est entré dans cette chair jeune et tendre comme un coltello dans du lard. Coupe la bande en deux dans le sens de la largeur et fais-la sécher cinq minutes sur une perche. Répète l’opération avec le reste de pâte de manière à obtenir seize bandes. Découpe chacune d’entre elles dans le sens de la longueur en formant des rubans aussi minces que possible. Et voilà, tes spaghetti sont prêts à être cuisinés. Préparés avec une délicieuse sauce à base de tomates mûres, de jeunes aubergines, de basilic et de ricotta, tu vas pouvoir les manger à la colazione, au moment où les employés de bureau, les acrobates et les hommes des abattoirs rentrent chez eux faire la sieste et où, pendant une brève période, l’agitation cesse et la ville s’endort."

    J'en avais l'eau à la bouche et une féroce envie de me lancer dans la confection de spaghettis à sa manière! Et pour mon plus grand plaisir, la cuisine est un des thèmes centraux du roman. Rosa est une cuisinière émérite. Suivre son histoire est un peu suivre une cuisinière qui explique en mots, en images, en odeurs et en saveurs, la cuisine de ses ancêtres. Or des odeurs et des saveurs, la cuisine sicilienne n'en manque pas. Au fil des pages, on découvre des plats, des desserts, des gourmandises: torta di ricotta, fritteda, pasta alla Norma, cassata, connoli, dolci, pollo alla Messinese, ciabbatas et focaccoas, panelle, formaggio all'Argenteria, timballo, pasticcio du Sostanza... Je ne sais pas vous, mais moi je me sens soudain un appétit féroce! C'est passionnant et enthousiasmant pour les gourmands.

    Je rassure ceux que cet étalage gastronomique ne convaincrait pas, La cucina ne parle pas que de cuisines. C'est un roman foisonnant de vie et de drôlerie qui frôle par moment le vaudeville. C'est que la famille de Rosa n'est pas commune: un père écrasé par la personnalité d'une mère hors du commun aux appétits légendaires qui fait passer un casting original à ses prétendants une fois devenue veuve, des frères siamois dont le destin ne sera pas moins étonnant que celui des autres membres de cette fratrie. Tout ce petit monde vit, rit, se dispute et pleure autour de la cucina, le coeur de la ferme, le centre de la vie et de l'histoire de la famille.

    "La cucina c'est le coeur de la fattoria et la toile de fond sur laquelle s'inscrit la mémoire de notre famille, les Fiore. Depuis des siècles, la cuisine est le terroir privilégié de tous les événements familiaux heureux et des malheurs, des naissances, des morts, des mariages, des fornications. Aujourd'hui encore, elle est habitée par les fantômes de nos ancêtres. Ils sont assis là, tels des vieux amis, et participent aux discussions ou donnent leurs avis sur les activités des vivants. La cucina est imprégnée des senteurs du passé et chaque note olfactive raconte un événement de son histoire."

    Dans une certaine mesure, La cucina est un roman initiatique, le cheminement de Rosa vers l'âge adulte et le bonheur à travers des épreuves atroces. L'auteur pourrait mettre la larme à l'oeil du lecteur avec ces drames, mais Rosa les raconte de telle manière que jamais on ne s'apitoie sur son sort. C'est émouvant, drôle, inquiétant, mais jamais larmoyant. On a juste envie de savoir ce que va devenir cette toute jeune fille brisée par le meurtre de son fiancé, exilée à la ville, s'étiolant dans une société où tout le monde, de ses frères à sa logeuse, veille sur une vertu que d'autres moquent. Elle fait partie d'une lignée de femmes fortes et tient de sa mère, Isabella, la capacité de surmonter, de faire face et de continuer à vivre malgré la mafia dont la violence fait irruption dans la vie des gens ordinaires aux moments où on en l'attend pas, d'assumer ce qu'elle est malgré le regard que la société sicilienne porte sur les comportements qui sortent de la norme. Ces réalités de la Sicile, on les découvre en filigrane, et on voit Rosa les défier en partant à la découverte de l'amour avec l'Inglese. A mon avis, les galipettes ne sont pas toujours bien amenées, mais le lien entre le sexe et la cuisine, la sensualité qui lie les deux est très bien exploitée et donne lieu à quelques jolies pages et à une belle histoire d'amour.

    C'est donc un roman fort sympathique, enlevé, drôle et appétissant. J'ai passé un bon moment avec Rosa et j'ai été désolée de la laisser si vite à sa cuisine et à ses amours!

    L'avis de Clemenciel, de Ségolène Ampelogos, de Lune de pluie,    

    Lily Prior, La Cucina, Grasset, 295 p., 2002, 3.5/5

  • L'étrange vie de Nobody Owens

    Nobody Owens n'est pas transparent, il ne se promène pas recouvert d'un drap en agitant des chaînes, ni en poussant des cris perçants et terrifiants. Non, Nobody Owens est un petit garçon tout à fait normal. Sauf qu'après l'assassinat de sa famille, il va trouver refuge dans le cimetière en haut de la colline et être adopté par M. et Mme Owens, décédés depuis un temps certains. Protégé part Silas, un être étrange ni vivant ni mort, élevé par un couple de fantômes, choyé par tous les fantomatiques habitants du lieu, il va grandir protégé des dangers d'un monde extérieur bien trop proche pour ne pas être dangereux.

     

    Il va sans dire qu'avec mon amour immodéré de Neil Gaiman, on peut me soupçonner de ne pas être vraiment objective quand je clame que je trouve une de ses oeuvres absolument et totalement géniale, fabuleuse, transcendante, enthousiasmante, et tous qualificatifs en -ante dithyrambiques que vous pourrez ajouter à la liste. Or, je plaide non coupable, car (si cela est possible), quand Neil Gaiman est moins bon, il est encore extrêment bon. Et comme L'étrange histoire de Nobody Owens est fort bon... Bref, vous l'aurez compris, j'ai aimé et je peux avancer de bonnes raisons pour ça.

    Là où l'on pourrait penser trouver une gentille histoire de fantômes pour petits, Neil Gaiman emprunte des chemins de traverse pour offrir à ses lecteurs, grands et petits, un roman plein de poésie, de tendresse, d'un brin de magie, de mystère et de rebondissements. Un peu comme Coraline avec un univers différent mais qui raconte aussi, même si c'est sur un autre mode comment on peut passer de l'autre côté du miroir et ce qu'il s'y passe. L'autre côté du miroir dans ce cas, c'est l'univers des morts, la différence entre Nobody et ceux qui vivent à l'extérieur, dans un monde qui pour paraître dénué de magie et plus fade, n'en manque pas moins d'attraits quand on sait les reconnaîtres. Et pour les reconnaître, il faut accepter de quitter un peu l'enfance, sans pour autant oublier que la vie peut être magique. C'est le chemin que va faire Nobody, du petit garçon aventureux à l'adolescent décidé et volontaire.

    Du début à la fin, on se promène dans les allées d'un monde peuplé de fantômes attachants comme la famille Frobisher et Frobysher dont les enfants jouent dans tous les coins, la mère Slaughter, Nehemia Trot le poète, Liza la sorcière, de personnages mystérieux comme Silas et miss Lupescu, d'autres effrayants comme le Jack ou les goules. Tous sont issus de la tradition des contes et du folklore européen, avec quelques emprunts à des univers plus lointains et sont allégremment réutilisés et mélangés avec la patte si particulière de Neil Gaiman jsuqu'à acquérir une originalité qui n'est jamais dépaysante. J'avoue avoir particulièrement apprécié le fait que rien n'est jamais vraiment nommé, obligeant à deviner ce que sont les personnages, ce dont ils sont capables. De toute manière, dès les premières pages, on est piégé par l'atmosphère créée par l'auteur: un meurtre mystérieux perpétré par un terrifiant personnage, des rues et un cimetière perdus dans une brume qui s'enroule et se déroule au coeur d'une nuit dont on sent la noirceur et l'humidité. Et puis, alors qu'on attend de s'enfoncer dans une terrifiante histoire, tout dérape: une horde de fantômes sympathiques, la mort qui vient faire un tour, des discussions agitées, de l'humour à revendre, un revenant qui essaie d'être terrifiant et n'y parvient pas. Et la pointe d'amertume qu'il faut par-dessus pour que jamais la miévrerie ne devienne une menace.

    J'ai particulièrement aimé être accompagnée dans ma lecture par les illustrations de Dave McKean (que j'apprécie énormément) qui font du livre un bel objet.

    C'est un merveilleux roman, fait pour ceux qui aiment rêver, une lecture doudou qui fait peur juste ce qu'il faut, et qui enrobe dans la confortable chaleur des personnages, une lecture qui fait réfléchir aussi à l'enfance et à l'âge adulte, aux chemins que nous prenons et à la nécessité, toujours, de continuer à s'émerveiller.

     

    L'avis de Yue Yin, de Fashion, Karine, Pimpi, SBM,...

     

    Neil Gaiman, L'étrange histoire de Nobody Owens, Albin Michel, Wiz, 2009, 310 p.

     

  • La reine des lectrices

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    La Reine est prévisible. Parce qu'elle est la Reine et que ses devoirs et ses habitudes sont ancrées dans le terreau de ses longues années à la tête du royaume. Des hobbies? Elle n'en a pas. Parce qu'avoir un hobby est avoir une préférence et que la Reine n'a pas de préférence. Jusqu'au jour uù poursuivant ses abominables chiens, elle tombe dans la cour du château sur un bibliobus. Et dans le bibliobus, sur  le plongeur gay qui va devenir son conseiller de lecture personnel. Repartant par pure politesse avec un roman, la reine ne se doute pas qu'elle vient de mettre le doigt dans un engrenage qui va mettre sans dessus dessous la cour et le pays.

     

    La reine des lectrices est un roman pour les amoureux de lecture. Une petite oeuvre légère et drôle qui s'avale en une heure ou deux le sourire aux lèvres. C'est qu'elle est attachante cette reine qui découvre sur le tard le pouvoir enchanteur de la littérature, qui explore sans idée préconçue le gigantesque  continent romanesque, qui gribouille ses notes et ses envies dans autant de petits carnets, que l'on retrouve au détour d'un couloir le nez dans un roman et qui poursuit ses petits enfants et son premier ministre avec les oeuvres qu'elle veut leur faire lire! Armée de ses romans, elle devient une délicieuse grand-mère indigne qui fait tourner son conseiller en bourrique et boude quand elle n'a rien à lire sous la main. La manière dont elle détourne le protocole et ses obligations donne lieu à des scènes savoureuses. Les personnages sont campés en deux coups de stylo plume mais se meuvent dans les ors de Buckingham palace avec brio.

    C'est aussi une joie réflexion sur la lecture, l'écriture et la manière dont on devient lecteur, souvent un peu par hasard, parfois même sans y penser. Et que de pistes de lecture dans tout ça! Ma LAL m'a démangé! Pensez donc: Nancy Mitford, Sylvia Plath, Ian McEwan, Jane Austen, Proust, Dickens, George Eliot, ....

    Ce n'est sans doute pas le roman du siècle, mais c'est un bon moment à passer en compagnie d'une héroïne qui ressemble furieusement à tous les passionnés de lecture en ce bas monde!

     

    L'avis d'Emeraude, de Cathulu, de Lune de pluie, de Cuné,  d'Amanda, Ys, Lou, ....

     

    Alan Bennett, La reine des lectrices, Denoël, 2009, 3/5

  • Zénith

    Le narrateur travaille dans un entrepôt, à l'expédition des colis. Une vie en demi-teintes marquée par les visites à sa mère et l'amitié qui le lie à un de ses collègues, Del Roulio, un passionné de montres. Un jour, celui-ci lui offre une montre, une Zénith toute simple, au fond de laquelle est gravé:  «Témoignage de reconnaissance Grande Bacnure - À M. Louis Cabolet - Juin 1949.»

    Il ne se doute pas alors que cette montre va l'amener à remonter le fil d'histoires familiales marquées par le secret et la souffrance, dont la sienne.

     Zénith est un roman d'initiation doux-amer qui explore avec une certaine force les thèmes de la paternité, de la transmission et du souvenir, mais aussi de la découverte de soi. De chapitres en chapitres, on suit le cheminement mental du narrateur, sa curiosité qui s'éveille devant le mystère de Louis Cabolet., l'obsession qui l'étreint. Ce qui commence comme une interrogation amusée sur l'identité de cet homme dont la montre est parvenue jusqu'à lui devient rapidement l'occasion pour lui de s'interroger sur la mort et sur le souvenir. Parce qu'une montre gravée comme l'est la Zénith est un objet de famille, un de ceux qui passe de père en fils ou de père en fille, un objet intime qui a marqué l'écoulement d'une vie et qui la résume en quelque sorte. Et que pour Louis Cabolet, la chaîne a été rompue.

    Le narrateur va chercher à renouer le fil du souvenir. Son enquête va le mener au coeur de la communauté des amateurs de montre, puis en Belgique dans une ancienne ville minière, et finalement, sur les traces de sa propre histoire. Chaque rencontre, chaque étape franchie le ramène à son enfance, à son adolescence et au suicide de son père, aux prémisses de sa vie d'adulte avec cet échec amoureux qui a conditionné sa vie. Petit à petit, il va apprendre à faire face à ses démons intimes. Zénith, c'est finalement l'histoire d'un tout petit objet qui change une vie. L'histoire de Louis Cabolet va faire émerger une histoire familiale marquée par le secret, et renouer les fils d'un lien père-fils qui a été brisé par le suicide du père. Symboliquement, c'est avec une autre montre que se clôt l'histoire, une montre qui rattache enfin le narrateur au passé qu'il fuyait et lui permet de regarder enfin vers l'avenir. En soldant les comptes de sa propre filiation, il peut enfin s'autoriser de désirer une vie de famille et un enfant.

    De manière assez tendre, Zénith montre aussi de quelle manière nous reproduisons les schémas de l'histoire familiale, quand bien même ils sont restés de nombreuses années sous le sceau du secret. Il montre aussi à quel point nous connaissons peu ceux qui nous ont donné la vie et de toute manière, ceux que nous aimons et pensons connaître. Et comment l'ignorance de cette méconnaissance creuse les fossés de l'incompréhension et de la peur. La découverte progressive que fait le narrateur de son entourage, mais aussi les personnes qu'il va rencontrer au fil de son enquête donne une galerie de personnages complexes et attachants dans leurs failles et leurs faiblesses, celui du narrateur, écrivain en devenir, n'étant pas la moins fascinante..

      

     Le site de Jean Grégor.

     

    Jean Grégor, Zénith, Mercure de France, 2009, 3.5/5

  • Lemashtu

    Les vampires ne sont pas un mythe. Nommés stryges, ils vivent dans un ghetto en Europe de l'est. Après des siècles d'extermination, c'est une race en voie de disparition. Lemashtu est le dernier des voïvodes de son peuple, en quelque sorte le dernier roi des vampires. Infiniment précieux pour ceux de sa race, il est aussi celui qu'il faut abattre. Maintenu sous haute surveillance par Féhik Alamédu et Aratar Déochétor et soigneusement maintenu à l'écart des autres élèves, il poursuit ses études dans une high school anglaise huppée.

    Jusqu'au jour où le Bras de la miséricorde et de l'expiation,branche extrêmiste de l 'Eglise qui a juré l'extermination des stryges refait parler d'elle. Et où le seul moyen de maintenir Lem en vie est de le mêler aux adolescents humains de son âge avec Liéga, un jeune strigoï venu le rejoindre. Arthur, Pauline, Lem, Liéga et les autres vont beaucoup appendre les uns des autres...

     

    Griffe d'encre nous a habitué à ses excellentes anthologies, ses non moins bonnes novellas, ses fabuleux recueils de nouvelles. Je ne m'étais pas penchée avant Lemashtu sur ses romans, mais celui-ci relève de la bonne littérature vampirique, c'est le moins que je puisse dire en guise de prémisses après ce résumé qui ne lui rend pas justice.

    Qu'y a-t-il donc dedans: de l'histoire et de la sociologie, de la passion, des aventures, des complots, de l'amitié et de la haine, des combats sanglants, du suspense, de l'humour, bref, de quoi prendre le lecteur dans ses filets! Li-Cam insère l'histoire des stryges dans le canevas bien connu de l'histoire européenne, la donne géopolitique n'étant guère bouleversée par leur existence, pas plus que les luttes de pouvoir au sein du Vatican. De même, le fonctionnement des sociétés roumaines, hongroises et britanniques (principalement) et plus largement européenne ne diffère guère de ce que l'on connaît. A certains égards, la manière dont le stryges sont considérés et traités dans la zone de confinement rappelle à la fois les ghettos, et plus récemment le sort des roms. Cet arrière-plan est déjà passionnant, mais il faut y rajouter le rôle central de l'Eglise catholique dans l'histoire et l'avenir du peuple des stryges. Une faction veut leur extermination pure et simple, une autre lutte pour leur reconnaissance et leur survie. On voudrait parler de l'éternel balancement entre ouverture et fermeture du Vatican (et d'autres que le Vatican) qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Avec intelligence en plus: les méchants sont certes très méchants, mais les gentils ne sont pas tous blancs et il y a un joli lot d'indécis. Les stryges ne sont pas seulement de pauvres créatures persecutées puisque leur position de prédateur naturel de l'humain et la folie qui parfois les guette a provoqué son lot de bains de sang, de peur et de haine.

    Chose que j'ai trouvé appréciable, Li-Cam a pris le temps de créer une espèce et une société stryge, avec ses caractéristiques biologiques, sa hiérarchie, ses coutumes, son histoire. Les informations les concernant sont distillées au fur et à mesure du récit à travers des fiches signalétiques, des extraits d'archives, des histoires racontées par les tuteurs de Lem. L'univers dans lequel se place l'intrigue de Lemasthu se met ainsi en place petit à petit sans nuire au rythme soutenu du récit qui n'est pas seulement une succession de rebondissements et de batailles, mais aussi l'histoire de la confrontation d'un adolescent (stryge certes et prince, mais adolescent quand même avec des hormones en pagaille et un charme fou) de quinze ans à sa nature et au monde qui l'entoure dont il a été relativement protégé. Les personnages ayant tous un sacré caractère et un drôle de sens de l'humour, tout cela ne va pas sans sourires, voire éclats de rire. J'admettrais avoir un léger penchant pour Aratar et ses performances acrobatiques et pour Merlin (mais ça je ne vous dis pas pourquoi, vous n'avez qu'à le lire!).

    J'ai donc passé un très très bon moment plein de suspense, d'hémoglobine et d'amour en compagnie de Féhik, Aratar, Lem et les autres. Je ne peux que vous conseiller de faire à votre tour leur connaissance!

     Pour lire le premier chapitre, c'est par là! Le site de l'auteur est ici!

    L'avis de Lucile.

     

    Li-Cam, Lemashtu, Griffe d'encre, 2009, 410 p. 4/5