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Chiff' - Page 4

  • Certaines n'avaient jamais vu la mer - Julie Otsuka

    Parfois, il suffit des quelques lignes d'un extrait pour tomber amoureux d'un texte et filer, quasi séance tenante en librairie. Où la libraire vous tend l'objet de vos désir avec une larmichette à l'oeil et un trémolo dans la voix en vous en faisant l'article. Là, l'inquiétude commence à monter. "Ah. Bon. A ce point. *et si ça ne me plaît paaaaaas, ôskour*"

    Et puis, confortablement installé, une bière bien fraîche/un verre de vin/une tasse de thé/une lichette de whisky (rayer la mention inutile) à portée de main, vous reprenez du début. Et plongez tête la première dans une petite merveille de texte.

    9782752906700.jpgJulie Otsuka raconte non pas une histoire, mais des histoires. Et en même temps, non pas des histoires, mais une histoire. Ne croyez pas que je m'embrouille ou que je tente des effets de style pour le moins aléatoires, c'est simplement que si ce sont des milliers de femmes qui sont évoquées, leur destin se fond dans une histoire commune. Celle, tragique, de jeunes femmes mariées avec des inconnus qui les attendent de l'autre côté de l'océan et qu'elles rejoignent. Elles sont plus ou moins jeunes, toutes rêvent d'une vie plus facile, de cette richesse qui ne peut que les attendre dans ce pays où les dollars poussent sous les pavés. Pour ne trouver à l'arrivée que des maris qui ne ressemblent plus à leurs photographies et l'abrutissement d'une vie de quasi esclave dans un pays où avoir la peau jaune ne vaut pas beaucoup mieux que de l'avoir noire.

    A la première personne du pluriel, mêlant les voix de ces femmes, Julie Otsuka dépeint avec une précision de détails qui donne parfois froid dans le dos l'exil, le quotidien sans espoir, la souffrance de ces femmes contraintes de faire face à un pays qui n'est pas prêt à leur accorder de vivre le moindre rêve, et qui, un jour pas si lointain, les reniera. Elles parlent d'une seule voix ces femmes, parce que finalement, quelque soit les détails parfois minuscules qui leur donnent une silhouette, toutes racontent la même désillusion, le même drame. C'est sont le racisme ordinaire, les travaux des champs, les ménages, les enfants qui deviennent des étrangers. Le temps qui file sans qu'on puisse apprendre ne serait-ce que l'anglais. Le temps qui file sans que quoi que l'on fasse ne puisse jamais effacer la couleur de peau. C'est de l'histoire ancienne et pourtant une histoire qui fait résonner des échos diantrement contemporains C'est bouleversant, révoltant et pourtant pudique et sans pathos.

    J'ai aimé le rythme particulier qui naît de ce nous répété, de ces phrases courtes, presque cliniques qui charrient une violence et une force incroyables. J'ai aimé cette plongée dans l'histoire par la petite porte.

    Un indispensable de la rentrée littéraire pour moi.

     

    Otsuka, Julie, Certaines n'avaient jamais vu la mer, Phébus, 2012, 144p.

     

  • Moi, Jean Gabin - Goliarda Sapienza

    Sapienza.gifComme beaucoup, j'ai découvert Goliarda Sapienza avec le magistral L'art de la joie... et puis plus rien... les années ont passé sans qu'on reparle plus que cela d'elle, son oeuvre, pourtant une des plus marquantes de la littérature contemporaine italienne au dire de beaucoup, n'étant pas traduite. L'art de la joie a cependant poursuivi son bonhomme de chemin, trouvant de nouveaux lecteurs. Jusqu'à ce que les éditions Attila décident d'ajouter une nouvelle pierre à l'édifice, et s'attelent à la tâche de traduire et éditer le reste de ses écrits permettant aux lecteurs qui n'ont pas le bonheur de pouvoir lire en italien dans le texte, de découvrir cette année Moi, Jean Gabin.

    J'ai un peu tourné autour, un peu hésité, me demandant si la magie de L'art de la joie allait se renouveler. Je m'en suis approchée un peu dubitative, pour me trouver, dès les premières lignes, bousculée comme il y a 4 ans de cela. Il y a dans Moi, Jean Gabin le même souffle de liberté, la même violence, la même force des mots. Le même bonheur de vivre quelque soient les obstacles. On part sur les traces de cette gamine montée en graine, on entre avec elle dans cette famille de militants, d'artistes, débordante d'amour et de haine. C'est à la fois terrifiant et passionnant. Goliarda Sapienza parvient à faire vivre au lecteur cette enfance atypique, libre et violente. Le fascisme est là, caché derrière les portes et les bonheurs quotidiens, la guerre frappe à la porte, mais il y a Jean Gabin, les convictions féroces et l'appétit de vivre sous le soleil cru qui inonde Catane.

    On comprend un peu, à cette lecture, ce qui a porté, toute sa vie, Goliarda Sapienza.

     Je salue au passage le très beau travail des éditions Attila: non seulement elles offrent un texte merveilleux, mais en plus une biographie, des photographies qui permettent de mieux découvrir Sapienza et son invraisemblable famille.

    Vous l'aurez compris, j'ai aimé. Et plus encore. Moi Jean Gabin est, comme L'art de la joie, de ces textes dont on sait qu'on les relira.

     

    "La vraie beauté a comme une pudeur innée, une défense dont la nature entoure ce qu'elle estime précieux et digne seulement de qui saura l'apprécier."

     

    Reading in the rain, Joel Jegouzo,... Causette en parle dans son numéro de septembre.

    Le site des éditions Attila.

    Sapienza, Goliarda, Moi, Jean Gabin, Ed. Attila, 2012, 176p.

  • Le dit de Murasaki - Lisa Dalby

    Le-Dit-de-Murasaki-Liza-Dalby.jpgJapon, XIe siècle, Fuji Shibuku, jeune femme issue d'une famille noble, n'est guère commune avec son amour et sa connaissance de la littérature chinoise et son talent incontestable pour l'écriture. Loin de se contenter de composer de la poésie, elle invente Genji, prince radieux dont les aventures vont lui valoir la célébrité et lui ouvrir les portes de la cour impériale. Nul ne le sait encore, mais elle écrit alors ce qui deviendra le premier roman de la littérature japonaise.

    Si Le dit de Genji est un des textes majeurs de la littérature japonaise, il ne reste guère de traces de son auteur, si ce n'est un journal fragmentaire et des poèmes, quelques dates marquantes et son statut de dame d'honneur de l'impératrice Shôshi. Peu, mais suffisant pour Liza Dalby, anthropologue spécialiste du Japon, qui a fait le choix de compléter ce journal et démontre non seulement l'étendue de ses connaissances, mais aussi son incontestable talent littéraire. Non seulement elle fait vivre sous sa plume un très beau personnage féminin, aux pas duquel on s'attache avec plaisir et parfois tristresse mais elle offre aussi, et surtout, une merveilleuse reconstruction de l'ère Heian. Elle fait revivre pour son lecteur un monde mort depuis longtemps dans sa complexité, son raffinement, son aveuglement et parvient à merveille à évoquer l'atmosphère des maisons et des palais, le raffinement qui masque à peine la violence des relations humaines. Parsemé de poèmes waka de l'époque Heian, la plupart de la plume même de Murasaki, Le dit de Murakasi est un petit bijou.

     Yue Yin m'avait donné envie de le lire...

    Dalby, Liza, Le dit de Murasaki, Picquier Poche, 63p., 2007

  • Guerrières! A la rencontre du sexe fort - Moïra Sauvage

    Vu comme un signe des temps, on parle de plus en plus de la violence au féminin: faits divers sordides, procès de criminelles de guerre, gangs de jeune fille... A en croire journaux et statistiques, la violence féminine exploserait. Mais est-ce si simple? C'est à cette question que Moïra Sauvage tente de répondre.

    sauvage.jpgInutile de revenir sur les faits divers nombreux qui, ces derniers mois ont illustré à merveille le propos de Moïra Sauvage. Gageons qu'ils seront suivis d'autres événements, grands et petits qui en feront de même. On peut ceci dit tout aussi bien estimer que Guerrière est venu proposer une grille d'analyse précieuse de cette actualité.

    Peu importe finalement, c'est un texte qui a l'immense mérite d'explorer le continent inconnu de la violence féminine en offrant au lecteur bien autre chose que la galerie de portraits  qu'il aurait pu se contenter d'aligner.

    Ceux qui se sont intéressé un tant soit peu à l'histoire des genres n'apprendront rien de neuf, mais Moïra Sauvage s'emploie à explorer toutes les facettes de la violence féminine et à les analyser. Son étude au prisme historique de la violence des femmes est passionnante. Petit à petit se dessine le tableau d'une violence impensée, donc indicible, restée longtemps du domaine du domestique, donc du caché. Une sorte de tabou qui se retrouve aujourd'hui exposé en pleine lumière et qui n'en a pas fini de se dresser entre les femmes et leurs choix. C'est ce que montre la seconde partie de l'ouvrage, qui emmène à la rencontre des "guerrières d'aujourd'hui", ces femmes qui sont entrées dans l'armée ou les forces de l'ordre, qui font partie des guérillas, de gangs, les sportives ou les militantes. Si je n'apprécie guère le terme de guerrière, j'ai aimé le portrait nuancé de ces femmes, la manière dont leurs trajectoires individuelles, souvent exceptionnelles sont inscrites dans l'évolution globale de la condition féminine et des sociétés, vers une reconnaissance, espérons-le, de la force du sexe trop longtemps dit faible.

    Une lecture indispensable.

    Sauvage, Moïra, Guerrières, à la rencontre du sexe fort, Actes Sud, 2012