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Littératures d'Europe de l'Ouest - Page 4

  • Le mur invisible

     

    Une catastrophe, dont on se saura rien, si ce n'est qu'elle laisse une femme seule dans un chalet des Alpes autrichiennes, entourée par un mystérieux mur invisible et infranchissable. Hors de ses limites, tout être vivant semble transformé en pierre. Après l'espoir, vient à la narratrice la certitude qu'elle est le dernier être humain en vie, et que nul espoir de secours n'existe. Cest alors la survie qu'il faut organiser, avec l'aide de quelques objets de première nécessité et de quelques animaux familiers.

    Un coup de poing. Un de ces rares et ahurissants coups de poing littéraire que l'on croise parfois sur sa route de lectrice et qui laisse exsangue. Un coup de coeur aussi pour ce merveilleux roman d'une intelligence, d'une force et d'une profondeur plutôt peu commune qui raconte à travers le voix unique de la narratrice l'humanité, la solitude, la manière dont on fait face à l'absence d'espoir, à soi-même aussi et à la folie qui guette. L'histoire du mur invisible est un peu celle de l'île de Robinson, mais dans une variation moderne. Et le naufrage est celui de l'humanité toute entière. Il n'y a pas d'explication à ce naufrage, rien de rationnel à quoi se raccrocher. Le lecteur reste dans la même ignorance que l'héroïne parce que ce n'est pas la catastrophe qui importe, mais le combat pour sa survie que celle-ci persiste à mener, la relation qu'elle noue avec les quelques animaux qui ont survécu avec elle, la réflexion que la solitude permet sur l'humain et le long chemin qu'elle entreprend pour s'adapter à ce nouveau monde. Autant le dire, le résultat est noir, très noir. Ce n'est qu'après quelques années de survie dans des conditions extrêmes que la narratrice prend la plume pour raconter ce dont elle se souvient des saisons qui ont défilé, de l'espoir qui est mort peu à peu, de l'expérience de la peur, de l'apprentissage de la survie et du travail quotidien pour cultiver, soigner les bêtes, sans jamais devoir compter sur un autre que soi. Ce qu'elle apprend, c'est finalement sa propre humanité face à l'animal, à la nature, et aux souvenirs de l'ancien temps. L'inanité de la recherche d'un sens à ce qui n'en a pas.

    "Les humains sont les seuls à être condamnés à courir après un sens qui ne peut exister. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à prendre mon parti de cette révélation. Il est difficile de se défaire de cette folie des grandeurs ancrée en nous depuis si longtemps. Je plains les animaux et les hommes parce qu'ils sont jetés dans la vie sans l'avoir voulu. Mais ce sont les hommes qui sont sans doute le plus à plaindre, parce qu'ils possèdent juste assez de raison pour lutter contre le cours naturel des choses. Cela les a rendus méchants, désespérés et bien peu dignes d'être aimés. Et pourtant il leur aurait été possible de vivre autrement. Il n'existe pas de sentiment plus raisonnable que l'amour, qui rend la vie plus supportable à celui qui aime et à celui qui est aimé. Mais il aurait fallu reconnaître que c'était notre seule possibilités, l'unique espoir d'une vie meilleure. Pour l'immensz foule des morts, la seule possibilité de l'homme est perdue à jamais. Ma pensée revient sans cesse là-dessus. Je ne peux pas comprendre pourquoi nous avons fait fausse route. Je sais seulement qu'il est trop tard."

    Le regard qu'elle porte restrospectivement sur celle qu'elle était, sur l'évolution qu'elle a connu, les disgressions qu'elle se permet en écrivant qui annoncent des événements et disent beaucoup sur ce qu'elle est devenu donnent à la narration un ancrage dans la réalité, un impact encore plus fort que si elle rédigeait au jour le jour ses impressions. On sent ainsi venir les drames, les joies, le désespoir, et c'est à la fois fascinant et atroce.

    C'est un roman perturbant qui ramène à des questions essentielles: qu'est-ce que l'humain, lui est-il possible de vivre en accord avec la nature et avec l'animal, existe-t-il encore dans la solitude, quel sens peut avoir la vie en société quand elle ne recouvre que hypocrisie et haine de soi, que deviennent les concepts humains quand l'humain n'existe plus? Peut-on abjurer son humanité et que devient-t-on si on le fait? Et au fil des lignes, se révèle pour elle et pour le lecteur cette vérité fondamentale: si elle fait face à une solitude totale et imposée, celle que l'on vit au quotidien dans notre commerce avec nos semblables n'est-elle pas plus atroce? Quand on ne peut pas parler de ses peurs et de ce qui importe vraiment, quand nous nous interdisons de parler ou d'exprimer certaines choses socialement inacceptables?

    " J'avais déjà bien trop souvent et bien trop longtemps attendu des hommes ou des événements qui n'étaient jamais arrivés ou bien qui étaient arrivés si tard qu'ils ne pouvaient plus rien représenter pour moi. Pendant le long chemin du retour, je repensai à) ma vie passée, qui m'apparut insuffisante à tous points de vue. J'avais réalisé bien peu de ce que j'avais voulu, et quand j'étais parvenue à réaliser quelque chose, je n'en voulais déjà plus. Il en allait probablement de même pour tous mes semblables. C'est ce que nous évitions d'aborder quand il nous arrivait de parler ensemble. Comme je ne crois plus avoir l'occasion de m'entretenir avec quiconque, j'en suis réduite à de simples suppositions. Au moment où je revenais de la vallée, je n'avais pas encore compris que ma vie passée venait brusquement de prendre fin, ou plutôt ma tête seule le savait et c'est pourquoi je n'y croyais pas. Ce n'est que lorsque la connaissance d'une chose se répand lentement à travers le corps qu'on la sait vraiment. C'est ainsi que je n'ignore pas, comme tout un chacun, que je vais mourir, mais mes pieds, mes mains, mes entrailles l'ignorent encore et c'est pourquoi la mort me semble tellement iréelle. Beaucoup de temps c'est écoulé depuis ce jour de juin et je commence peu à peu à prendre conscience que je ne pourrai plus jamais revenir en arrière."

     Un roman essentiel, fondamental, un chef d'oeuvre que je ne saurais trop conseiller.

    L'avis de Ma.

    Marlen Haushofer, Le mur invisible, Actes Sud, 1985, 253 p., 5/5

  • Dialectique de la girlitude

     

    A 27 ans, Pulsatilla est passée du statut de blogeuse à celui de d’écrivain prometteur. Un changement qui la laisser elle-même enchantée mais perplexe ! Mais après tout, et-ce si surprenant quand une jeune italienne parle avec un humour dévastateur de tous les aspects de la vie d’une femme ?

     

    Un roman ? Un récit ? Un journal ? Non, un livre tout simplement. Pulsatilla y raconte sa vie, sa famille, ses boulots, ses histoires d’amour désastreuses, le tout entrecoupé de théories hilarantes sur des choses aussi diverses et essentielles que les culottes, les régimes, les coiffeurs. C’est d’autant plus drôle qu’elle ne se passe rien : ses travers d’enfants, ceux de l’adolescente qui a réussi à retourner un pensionnat de jeune fille, les contradictions de la jeune femme qui crache sur la société de consommation plongeant avec délice dans tous ses pièges, l’aveuglement volontaire de celle qui cherche le prince charmant et tombe toujours sur un crapaud,…

     

    Malheureusement, si son humour fait passer la pilule sans aucun problème, le tout est décousu, parfois un peu lourd et pas toujours intéressant. Reste un bon livre à picorer sur la plage.

     

    L’avis de Cathulu 

    Pulsatilla, La cellulite, c’est comme la mafia, ça n’existe pas, Le diable Vauvert, 2008, 258p.

  • Malavita!!! Aux pieds!!!!!

     

    Où l’on retrouve la famille Blake cachée dans un petit village de Provence sous un nouveau nom. Enfin, Fred caché dans un petit village de Provence sous le nom de Wayne. Car Maggie a ouvert un restaurant d’aubergines à la parmesane, Wayne apprend le métier de menuisier en contant fleurette à sa fiancée, Bella a trouvé le grand amour. Seul, le père de famille fait face à un drame : l’écrivain qu’il est devenu est en panne… Comme d’habitude, quand la petite famille est dans le secteur, la vie perd en tranquillité !

     

    Benacquista n’a pas perdu ce qui faisait le charme de Malavita : son humour foutraque et déjanté. Mais malheureusement, le rythme et les rebondissements toujours plus improbables se succèdent faiblardement. Il y a bien sûr le plaisir des retrouvailles, de voir les enfants Bl… Pardon Wayne prendre leur envol, de voir Maggie jouer aux femmes indépendantes, Fred découvrir la lecture et ses plaisirs. Et tout ce petit monde rattrapé par un atavisme plus fort que la peur d’être démasqué.

     

    Bref, pas de coup de folie mais un bon moment !

    Tonino Benacquista, Malavita : encore, Gallimard, 2008-05-27

  • La douceur des hommes

    Un retour en douceur avec une note de lecture que j'avais gardé sous le coude.

     



    « Toute ma vie, j’ai aimé, bu, mangé, fumé, ri, dormi, lu. De l’avoir si bien fait, on m’a blâmée de l’avoir trop fait. Je me suis bagarrée avec les hommes pendant plus de soixante ans. Je les ai aimés, épousés, maudits, délaissés. Je les ai adorés et détestés, mais jamais je n’ai pu m’en passer… La chaleur des hommes qui m’a si bien enveloppée, ne fait que me rendre plus odieux ce grand froid qui avance. »

     

    Rien de mieux que cet extrait maintes fois repris pour résumer ce court premier roman de Simonetta Greggio. On suit pendant 153 p. une jeune femme qui part sur les traces de l’histoire de Fosca, la vieille dame indigne qui l’a adoptée, un soir à Venise. Fosca qui l’a initiée à la vie et à ses plaisirs, qui a répondu à son besoin de tendresse et d’amitié, si nécessaires à l’être humain. Fosca à la vie si bien remplie par l’amour. Car La douceur des hommes est avant tout un roman qui parle d’amour, de désir, de rencontre des corps, de découverte de soi : Fosca a appris à se connaître, à se donner à ceux qu’elle a aimé. La douceur des hommes est aussi une douceur et une douleur de vivre. On découvrant Fosca, en la suivant, il vient comme une envie de vivre comme elle a vécu. Entièrement.

    Mais malgré le plaisir que j’ai eu à la lecture de ce roman, une chose m’a gêné : sa banalité. Je m’explique : Fosca parle beaucoup au fil de ces pages. Elle parle beaucoup et énonce sous une forme parfois choquante, parfois poétique, parfois touchante des choses que nous savons sur l’amour, la souffrance, l’amitié, le bonheur. Ces propos donnent des moments de lecture intenses, mais font de Fosca un personnage assez monolithique : celui de la vieille dame porteuse de la Sagesse et de la Vérité. Cela encore passerais sans peine grâce à la plume de Simonetta Greggio. Mais le mystère soigneusement entretenu jusqu’à la fin autour de ce Samuel dont Fosca refuse de parler n’abouti finalement qu’à la plus banale des histoires. Je n’en révèle pas plus, sinon que cette chute m’a déçue, même si ce sont les histoires les plus communes qui provoquent les plus grandes souffrances. Quand aux malheurs de la narratrice, je ne suis pas parvenue du tout à compatir : aucune empathie ni identification ! Les aventures de Constance ont donné pour moi des moments de creux.

     

    Bref, une jolie lecture, portée par le style agréable de l’auteur, mais une lecture sans passion.

     

    Quelques extraits pour la route :

     

    «  Aimez-les, vos amis, vos amours, aimez-les de toutes vos forces, mettez-y tout ce qu’il y a de plus beau en vous. »

     

    Et les avis de Stéphanie, Anne, Amanda, Karine, Emeraude, Caro[line], Clarabel, Cathulu, Florinette, Fashion, Bladelor...

    Simonetta Greggio, La douceur des hommes, Livre de Poche, 2007, 153 p.

  • Battement d'aile

     

     

    Quelque part sur la côte de Sardaigne, une maison surplombe la mer. Elle appartient à Madame, dernier rempart au bétonnage touristique. Car Madame refuse de vendre. Et en plus de refuser de vendre, elle est étrange, décalée dans ses robes coupées dans de vieux tissus, férue de magie, solitaire malgré ses amants et ses amis. Elle dérange et bouscule tout le monde sauf la narratrice, adolescente de 14 ans qui va raconter l’étrange histoire de cette femme dans les pages de son journal.

     

    Ce n’est un secret pour personne que j’avais beaucoup aimé Mal de pierre. Aussi, c’est avec impatience et un brin d’inquiétude que j’attendais de lire ce second opus de Milena Agus.

    Inquiétude en partie justifiée, et impatience de même ! Je m’explique. On retrouve bien dans ces pages le style de Milena Agus, sa manière très sensuelle d’écrire qui donne l’impression d’être soi-même dans le maquis, d’en sentir les odeurs, de sentir la brûlure du soleil et d’entendre les vagues se brisé sur la grève. On y trouve aussi de l’humour, du piquant et des situations drôles et atypiques. Cela, je l’ai apprécié.

    J’ai apprécié aussi ces personnages aux marges. Milena Agus a un don pour faire apparaître ces fêlés ordinaires que l’on regarde d’un sale œil parce qu’ils ne font rien comme les autres. Ceux qu’on taxe si vite de fous alors que ce qu’ils expriment est leur souffrance et leur volonté de vivre leur vie comme ils le veulent.

    Je ne peux pas en dire autant du récit en lui-même. Bien sûr on s’attache à Madame, à sa souffrance de femme. On s’attache au grand-père, à la narratrice et à sa folle famille, aux autres voisins. On s’attache même un peu aux promoteurs immobiliers. Mais on se perd dans les méandres de la folie de Madame. On se lasse un peu de ses lubies et des ses trouvailles. On se lasse un peu parce qu’on a l’impression de rester en surface tout du long.

    Restent la folie douce, la ferrarina, la poésie et un beau portrait de femme.

     

    L'avis de Papillon

    Milena Agus, Battement d’ailes, Liana Levi, 2008,153 p.