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  • La petite cloche au son grêle

    Un jour Marcel Proust entre dans la vie d'un adolescent de 13 ans et de ses parents, bouleversant la vie du café de la famille et de tout un village du Nord de la France.

    Une bulle de savon. C'est ce qui me vient à l'esprit quand je repense à cette lecture. Légère, trop légère au départ, et puis si jolie qu'on la regarde s'envoler toute irisée avant de la voir éclater avec tristesse. Voilà. Bon, je ne suis guère douée pour la métaphore et vais donc revenir à un langage plus terre à terre. Je l'admet, le début de ce roman ne me convainquait pas. Un je ne sais quoi dans les dialogues, dans les personnages, dans le décor qui ne parvenait pas tout à fait à éveiller mon attention. Et puis, insidieusement, le charme a fait son effet, jusqu'à me donner envie, à moi, grande réfractaire à Proust devant l'Eternel, d'aller faire un tour du côté de chez Swann et d'aller admirer Cabourg un jour d'été. Bravo monsieur Vacca, c'est un tour de force! La petite cloche au son grêle raconte comment la littérature peut s'introduire dans une vie comme une voleuse. Il suffit d'un rien, d'un béguin d'adolescent, d'un livre oublié dans l'herbe dont les pages retiennent un parfum, de l'amour d'une mère pour que soudain, Proust devienne le compagnon de route de tout un village et ensoleille le malheur qui vient toujours briser la vie des gens heureux. Sans doute pour qu'ils aient une histoire.

    C'est une belle histoire débordante d'amour et de vie, de nostalgie aussi. J'ai aimé faire un bout de chemin avec cet enfant qui devient adulte, avec ce couple à l'amour débordant, avec cette famille et je les ai quitté le coeur serré par l'émotion au son de la petite cloche.

    « Un soir, tu entres dans ma chambre alors que je me suis endormi. Le livre m'a échappé des mains et gît sur ma descente de lit. Tu t'en saisis, comme s’il s’agissait d’un miracle.

    - Mais tu lis, mon chéri ! souffles-tu en remerciement au ciel.

    Incrédule face à ce prodige, craignant quelque mirage, tu palpes l’objet. Non, tu ne rêves pas : ton fils lit.

    Intimidée, tu ouvres le livre, fascinée à ton tour… »

     

    Les avis de Cuné, de Cathulu, de Bellesahi, de Florinette, Amanda, Lily, Caro|line], Sybilline...

     

    Paul Vacca, La petite cloche au son grêle, Philippe Rey, 181 p., 2008 3.5/5  

  • Les années douces

     

    Dans un bar qu'elle fréquente de temps en temps, Tsukiko retrouve par hasard son professeur de japonais du lycée. La célibataire endurcie et le veuf solitaire vont se croiser, se rencontrer, et de fil en aiguille, une relation étrange et douce va se nouer entre eux.

    Les années douces n'est pas à proprement parler un roman. C'est par petites touches, en 22 tranches de vie qu'Hiromi Kawakami raconte les retrouvailles, les discussions, les disputes, les bouderies et la vie si banale et pourtant unique de ses deux personnages. De fait, il ne se passe pas grand chose: une balade en montagne à la recherche de champignons, un saké siroté à deux en picorant les mêmes petits plats, des réflexions sur la meilleure manière de verser la bière, une exposition de théières de voyage, un pique-nique sous les cerisiers en fleur, un amour qui naît... Juste les petites choses de la vie quotidienne et une jolie réflexion sur la solitude et l'amour. Tsukiko est célibataire, solitaire et s'en trouve bien. Le Maître ne semble pas souffrir de sa vie isolée. Mais petit à petit, ils vont permettre à l'autre d'entrer dans leur petit monde, au risque de souffrir, au risque de la perte. Parce que la vie est plus belle quand on partage, malgré l'agaçement et les chamailleries. L'air de rien, avec son écriture fine, poétique et pudique, Hiromi Kawakami instille la douceur, la mélancolie, le bonheur, et on prend plaisir à suivre le chemin de Tsukiko et de son amour.

    On aperçoit au détour d'une phrase, d'une situation le Japon contemporain, toile de fond toujours dépaysante et fascinante. Et comme pour ajouter au charme de l'ensemble, nos deux héros passent un temps certain à boire et manger des choses qui ont l'air absolument délicieuses: tofu chaud et froid, soupes miso et autres gourmandises émaillent les pages et donnent une furieuse envie de s'en aller faire un tour du côté de la cuisine japonaise.

     

    Un des romans préférés de Yueyin, l'avis de Katell, de Papillon, ...

     

    Hiromi Kawakami, Les années douces, Picquier, 2005, 283 p., 4/5

  • Lorna Doone

     

    Angleterre, deuxième moitié du 17e siècle, Somerset. John Ridd a 14 ans quand les Doone, famille d'aristocrates proscrits qui fait régner la terreur sur la région d'Exmore, tuent son père. Abandonnant ses études, il s'en revient à la ferme familiale auprès de sa mère et de ses deux soeurs. Lent, placide mais intelligent et passionné aussi, il rencontre au coeur de la vallée interdite des Doone la jeune Lorna, princesse des voleurs. C'est un coup de foudre dont les années n'amoindriront par la force. Pour sa belle, John vivra moult aventures passionnantes de la lande à Londres.

    R.D Blackmore a attendu de longues années avant de connaître le succès, et à en croire la préface de Michel Le Bris, c'est presque par hasard, à l'occasion d'un mariage princier, que son roman a été découvert par le grand public. Autant dire que nous avons bien failli passer à côté d'un chef-d'oeuvre du roman d'aventure! Car ne vous y trompez pas, c'est absolument délicieux. John Ridd nous fait l'honneur de bien vouloir nous raconter son histoire, ce qu'il fait de bon gré avec un brin d'ironie, de l'humour aussi et un souffle épique qui ne se dément pas. On galope au coeur des landes, on se perd dans les marais embrumés, on descend dans des mines clandestines, on erre dans les Inn's of Court, on trouve les entrées cachées des vallées interdites, on vit une passion interdite et impossible, le tout sans presque reprendre souffle. Un fameux conteur ce John, et un paysan roué qui parvient toujours à se tirer des pires situations à son avantage! Même du récit de ses aventures et c'est dire! Ce qui rend le roman attachant, c'est la galerie de personnages hauts en couleurs: une mère possessive et soupe au lait, une seour douce comme le bon pain mais pas très maligne et une autre qui se pique d'intellectualisme, un cousin bandit de grand chemin plus ou moins rangé, un oncle avare et avide, une cousine si petite qu'on la croirait naine, un valet de ferme paresseux et malin... Tout ce petit monde tourne autour de ce brave John, lettré certes, mais un peu lent, se proclamant lui-même sot histoire de mieux tromper son monde, courageux mais pas téméraire sauf quand l'amour lui fait tourner la tête,  et d'une Lorna dont les qualités sont telles qu'on se demande si elle est bien réelle jusqu'à ce qu'elle fasse preuve d'une naiserie que seul l'amour peut provoquer! Et comme on croise aussi bien des aristocrates que des bandits, des bourgeois, des paysans et des soldats, on obtient un portrait, certes un peu romanesque mais je pense assez fidèle de la société anglaise, le tout accompagné d'une leçon d'histoire comme on aimerait en recevoir plus souvent! Il ne faut certes pas y rechercher une finesse psychologique poussée ou une trop grande véracité historique, mais le style de l'auteur, agréable, vivant, très imagé rend sa prose difficile à lâcher. Seul bémol, il est parfois difficile de comprendre les réactions de certains personnages: fossé culturel, problème de traduction ou grosse fatigue du moment, je n'ai pas la réponse, mais ça ne m'a pas empêchée d'avaler en deux temps trois mouvements ce pavé merveilleux et de passer un fort bon moment en compagnie de John et Lorna!

    L'avis de Fashion, Emjy,...

    C'est un 5/5, mais je ne retrouve pas les références de l'édition dans laquelle j'ai lu le roman. A défaut, voir les références en Libretto!

  • Beignets de tomates vertes

    Ninny Threadgoode, 86 ans, bon pied bon oeil entreprend par un triste dimanche à la maison de retraite Rose Terrace, de raconter à Evelyn aux 48 ans cafardeux l'histoire de Whistle Stop, petite ville d'Alabama. C'est la découverte d'un autre monde, d'une autre manière de vivre, et d'un chemin vers une vie meilleure.

    Un roman doudou, un de ceux qui fait du bien quand rien ne va plus et que même le ciel se met à l'unisson du spleen, c'est ce qu'est Beignets de tomates vertes. Un roman non exempt de défauts, certes, mais un rayon de soleil difficile à lâcher. On termine avec le sentiment d'avoir rencontré de nouveaux amis qu'on pourra retrouver en tournant de nouveau les pages: Idgie, Ruth, Dott, Opal, Sipsey, Grady, Big George, toute la petite communauté de Whistle Stop avec ses histoires, ses disputes, ses réconciliations orageuses, ses parties de fous rires, et le bonheur malgré les deuils, la crise de 1929, la pauvreté et la menace que le Klan fait peser sur les noirs et les blancs qui les aiment trop. A travers les souvenirs de Ninny, ce n'est pas une époque bénie qui se dessine, mais un mode de vie où famille et communauté sont au centre et où la chaleur humaine ne manque pas. C'est la famille Threadgoode qui est au centre, et plus particulièrement Idgie la rebelle et Ruth son amie et leur café, véritable âme de Wistle Stop. En filigrane, on découvre l'histoire d'une petite communauté qui vit au soleil d'Alabama.

     La narration qui alterne extraits de journaux, récits de la vieille dame et tranches de vie de sa nouvelle amie Evelyn est fort agréable. Elle n'oublie pas les réalités plus sordides: ségrégation et violences raciales, violences conjugales, pauvreté, etc. même si ce n'est pas tant l'histoire du Sud qui importe que celle des personnages. Et pour le coup, le lecteur est servi: on rit, on a le coeur serré, on frémit, on s'angoisse, on trépigne d'impatience et de joie. C'est un concentré de vie et de bonne humeur qui requinque. Tout ce petit monde est d'autant plus attachant qu'il n'y a a pas de vrais gentils ni de vrais méchants, pas plus que de faux gentils et de faux méchants (ou presque, car que serait un roman sans au moins un méchant, on se le demande) et que la solidarité et l'amour qui l'unit sonne "juste". D'ailleurs, Ninny fait un effet boeuf à Evelyn qui sombrait dans la dépression en regardant une vie qui lui semblait terne et dénuée de sens. Petit à petit, au contact de la naïveté, de la joie de vivre et du bon sens de Ninny, elle retrouve goût à ce qui l'entoure et à elle même. L'amitié qui naît entre ces deux femmes si différentes par l'âge, le milieu, le mode de vie est très belle.

    Et puis il y a cet amour des bonnes choses qui parcourt les pages: le barbecue de Big George, les biscuits au babeurre de Sipsey, le maïs à la crème, les poissons-chats, la tarte à la noix de coco, et les fameux beignets à la tomate verte. Tout un carnet de recette gourmand et tendre qui se déroule sous les yeux du lecteur et qui donne incroyablement faim. Je vais garder précieusement les recettes de Sipsey.

    Le seul point sur lequel je me montrerai d'humeur chagrine est l'aspect "réussite américaine" qui alourdit un brin la fin du roman autrement fort touchante.

     

    J'ai hâte maintenant de visionner le film et de retrouver Ninny Threadgood!

     L'avis de Karine:), de Stéphanie sur La page littérature, de Fashion, d'Anjelica, d'Amanda, de Yueyin, de Chaplum, ...

     

    Et bien, alors que je m'en allais d'un pas alourdi par la sinistrose vers mes pénates, fermement décidée à m'enterrer sous ma couette, mon oeil a été attiré par ces fameuses tomates vertes que je désespérai de trouver! J'ai donc, dans la foulée, fabriqué à partir de la recette de Sipsey, quelques beignets de tomates vertes!

       

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    Edit: pour un compte-rendu de l'expérience culinaire, c'est par-là!!
  • Les dépossédés

    Annarès, petite planète pauvre face à Urras la grande, la riche. L'endroit où s'exilent une poignée de révolutionnaires menés par Odo, écoeurés par l'injustice et les inégalités pour y bâtir une société parfaite, libre et solidaire. Mais même l'utopie a un prix: un travail acharné pour la survie sur un monde aride et quasi stérile et une fermeture complète à toute influence extérieure. Pourtant, deux siècles après la fondation d'Annarès, la volonté des fondateurs a été oubliée, l'odonisme dévoyé pour laisser la place à une dictature d'autant plus lourde qu'elle est celle souterraine d'une opinion publique guère plus difficile à manipuler parles esprits forts que sur Urras. De cela, certains se rendent compte, comme Shevek le physicien rejeté parce qu'il se démarque, parce que ses découvertes dérangent dans un monde qui ne veut pas changer et parce qu'il est en contact avec le monde extérieur. Il va alors oser l'impensable: faire usage de cette liberté qui est censée être la sienne pour aller sur Urras et chercher à partager avec le plus grand nombre sa théorie générale, possible voie vers une technique de communication instantanée à travers l'espace.

    Parfois, on croise la plume de grands, très grands écrivains, d'auteurs d'une immense intelligence, qui savent, non seulement, raconter une histoire, mais donner le sentiment de sortir grandit de la lecture de leur oeuvre. Ursula Le Guin est de ces grands. A ma grande honte, je ne suis pas parvenue à un résumé de l'intrigue des dépossédés qui rende justice à son foisonnement et à son étonnante simplicité. En apparence, rien de bien complexe: juste l'histoire de Shevek dans un va-et-vient entre son passé et le présent qu'il vit sur Urras où il réside dans une université pour poursuivre, et peut-être faire aboutir ses travaux sur une théorie physique. Et sous l'histoire de cet homme, une réflexion poussée sur l'anarchisme et les mécanismes sociaux. Avouez qu'à ce stade là, l'idée de faire face à un cour de philosophie politique matiné des convictions politiques d'une auteur de science-fiction américaine des années 1970 en fait reculer plus d'un, convaincu à tort d'être devant un roman particulièrement ennuyeux! Et pourtant, et pourtant! C'est aussi tout à fait passionnant et fascinant!

    A la base, au-delà de l'histoire de Shevek, c'est l'opposition entre deux planètes, entre deux systèmes qui est mise en lumière. Urras divisée en nations, en proie aux guerres, aux famines, aux inégalités sociales et économiques, gagrenée par l'individualisme et pourtant florissante et toujours vivante. Annarès, pauvre, stérile, lieu d'une expérience rare, celle d'une société anarchique où personne n'est le maître de personne, où tous ont selon leurs besoins et ont coeur de garantir la survie de leur communauté. Le Mal et le Bien en quelque sorte. En tout cas dans le système de pensée qui domine sur Annarès où Urras est perçue comme l'Enfer. Ce simple fait donne déjà le ton: il n'y aura pas de manichéisme. Penser l'autre comme le Mal est déjà commencer l'exclusion. Et une société qui ne survit dans sa perfection que par le repli et le rejet de l'autre ne peut plus être considérée comme parfaite. En effet, Annarès n'est pas parfaite: parce que les hommes ont toujours besoin de se soumettre à une loi même s'ils refusent de le voir, le gouvernement social a remplacé le gouvernement politique et économique (j'avoue avoir pensé à ce stade de ma lecture à l'oeuvre de La Boétie, même s'il n'y a guère de rapports entre les deux), la norme pèse de tout son poids sur les individus. Ceux qui osent affirmer une pensée différente sont en butte à l'ostracisme ou rendus fous. L'aliénation ne se fait plus principalement par la richesse (on ne va pas discuter ici du poids de la norme sociale dans les sociétés de type capitaliste, ceci n'est pas un blog de débat politique ou de sociologie), mais principalement par le nombre, la nécessité de l'approbation d'autrui et la peur de la solitude, sous couvert d'une solidarité qui vole en éclat dès qu'elle est menacée, que ce soit par la famine ou par la décision de Shevek d'aller sur Urras.

    A voir ces deux systèmes dos à dos, on se rend assez vite compte, avec Shevek, à quel point l'homme est nécessairement et foncièrement aliéné par la société dans laquelle il vit, à quel point il est difficile, voire impossible de se rebeller contre ce qui est intégré et qui devient impossible à voir. La vie sociale est fonciérement porteuse d'aveuglement, et d'hypocrisie, chacun défendant ce qu'il connaît même s'il en connaît dans sa chair les défauts. L'attitude de Shevek sur Urras sert le coeur: il en vient à défendre son monde avec passion alors qu'il était, et est encore considéré chez lui comme un dangereux révolutionnaire. Or, si Shevek, capable d'affronter un monde qu'il ne connaît pas et d'essayer de le comprendre en vient là, comment les annarestis peuvent-ils réellement prendre conscience de leur aliénation. Si tant est qu'ils le veuillent...

    Pourtant, il y a de si belles choses sur Annarès: des relations entre hommes et femmes pacifiées, le sexe remis à sa juste place, pas de religion pour provoquer des déchirements, une belle solidarité, l'idée que les moyens sont aussi importants que la fin qui est poursuivie. Tout comme il y en a de belles sur Urras, ce que vient rappeler à point nommé l'ambassadeur terrienne.

    Le plus agréable dans tout ça, c'est de voir se confronter deux conceptions du monde, et la mise à l'épreuve de l'utopie à travers le regard de Shevek, personnage attachant s'il en est, et de son entourage. On prend plaisir à le voir grandir, vivre, réflechir au monde qui l'entoure et essayer d'y trouver sa place. L'occasion de voir fonctionner l'"utopie ambigüe" de Le Guin dans tous ses aspects, de l'étude à la vie de couple en passant par la recherche d'un travail, le remplacement d'une chemise et l'éducation des enfants.

    De la grande, de la très grande SF à découvrir et à relire, intelligente et passionnante!

     

    Les dépossédés appartient au deuxième grand cycle romanesque d'Ursula Le Guin, le cycle de L'Ekumen. Si vous voulez en savoir plus, je vous conseille d'aller voir par .

     

    L'avis de Nebal, fouillé et bien plus intéressant que le mien, celui de ThomThom,...

     

    Ursula Le Guin, Les dépossédés, LGF, 2006, 445 p., 5/5