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  • Auncun dieu en vue (et pourtant ils ont bien regardé)




    Bombay de nos jours. Une métropole grouillante, foisonnante, toute en contrastes et en méandres. Une métropole où se croisent les voix et les destins de personnages liés par le sang, l'amitié, la religion ou une simple rencontre.
     
    Je ne suis pas très familière de la littérature indienne et peu encline à m'y pencher jusqu'à présent. Simplement parce que je m'intéressais plus à la littérature japonaise ces derniers temps. C'est donc un peu par hasard, sur les conseils d'une collègue enthousiaste que j'ai embarqué ce livre avec moi dans mes pérégrinations. Que ladite collègue en soit remerciée, puisque grâce à elle, j'ai vécu un moment enchanteur.
    Le procédé tout d'abord est intéressant. Le livre débute avec le point de vue d'une certaine Mme Khawaz. L'époux dont elle parle durement fait entendre sa voix au chapitre suivant. Puis c'est le tour du fils qu'évoquait l'époux, puis de la soeur, puis du médecin qui avorte la soeur, et ainsi de suite jusqu'à ce que la boucle soit bouclée. Alors que cela pourrait donner un côté artificiel à la narration, on se retrouve avec un récit fluide, construit, logique et l'avantage non négligeable d'obtenir un tableau vaste de la société indienne. Le livre est plein du bruit, de l'agitation de ce pays et de cette ville tentaculaire.
    Sans condamnation, sans morale particulière, l'auteur donne à entendre son Inde. Chacun parle en effet avec sa petite voix singulière, ce qui n'est pas un mince exploit. Femme hindoue ou musulmane, traditionaliste ou moderne, jeune musulman libéré, adolescent hindou fanatisé, sikh, mendiant, self-made-man, etc. 
    Le style est très différent d'un chapitre à un autre. Aucun tabou particulier. Sont aussi bien évoqués au fil des pages les mariages arrangés, les avortements sélectifs ou non, l'autorité des belles-mères, que la haine réciproque des hindous pour les musulmans, le sentiment nationaliste, la misère la plus noire côtoyant la richesse la plus arrogante et indifférente. 
    Et alors que les réalités décrites sont parfois dramatiques, l'humour, voire le burlesque apparaît soudainement et irrésistible. Comme avec ce tueur en série incapable d'abattre une femme parce qu'il avait dit qu'il tirerait à 20 et qu'il n'arrive pas à compter au-delà de 7. Ou la marieuse buffetomane (je vous assure, c'est une vraie maladie!).

    J'ai bien sûr été plus touchée par certains personnages que par d'autres, mais tous ont quelque chose à dire, à transmettre. Leçon de courage ou de bêtise, de renoncement ou de combativité. On est très loin des clichés.

    Une belle lecture.


    Altaf Tyrewala, Aucun dieu en vue, Actes Sud, 2007, 202 p.
     
  • Un ange cornu avec des ailes de tôle




    Celui-ci est un coup de coeur. Je l'ai lu presque d'une traite, le laissant à regret à la fin d'un trajet de métro, l'abandonnant le coeur serré quelques jours avant de le dévorer le temps d'un voyage en train! 
     
    Petit Michel deviendra grand. En attendant, petit Michel grandit dans une famille agitée et chaleureuse, dans un quartier montréalais convivial et, surtout, petit Michel apprend à aimer lire avant que de devoir écrire.
     
    J'ai littéralement adoré ce livre. C'est drôle, fin, tendre, touchant et une foultitude de choses qui m'échappent maintenant! Un lecteur ne peut qu'être touché je pense par cette lecture, tant l'amour des livres et de la lecture transpire de ces pages. On rencontre la grand-mère Tremblay qui envoie son petit-fils en course pour lui chercher des livres avant de les échanger avec la voisine d'en face, une vieille femme à qui elle n'a jamais parlé mais avec qui elle partage tant que les mots ne sont plus nécessaires. On croise aussi la maman, Rhéauna, grande lectrice à ses heures, le père qui remplit une mission top secrète, des frères qui jouent des tours pendables et n'aiment pas moins lire, des voisins avec qui faire les quatre cent coups
    Chacun peut retrouver, je pense, un peu de son parcours de lecteur à travers l'histoire de Michel Tremblay. La lecture en cachette, le soir, la lecture passionnée des dimanches après-midi, lové dans les coussins du canapé ou du lit, la lecture au point d'en oublier le monde autour, le plaisir de découvrir des mondes insoupçonnés et de voyager. Il en parle avec ardeur dans une langue claire qui frappe juste et touche à coeur. Et qui donne envie de lire ou de relire certains textes. Comme l'Auberge de l'Ange Gardien de l'inénarrable comtesse de Ségur, ou Gabrielle Roy.

    On ne trouve pas qu'une histoire de lecteur dans ces pages. On trouve aussi une histoire d'écrivain. Intimement lié au lecteur, il y a un écrivain qui apparaît au fil du temps. Un écrivain qui va mettre du temps à s'affirmer comme tel, qui va longtemps jouer au chat et à la souris avec son entourage, qui va d'abord inventer des fins alternatives à Blanche-Neige (il a raison, elle est tarte cette fin), puis écrire des textes qu'il va cacher dans les endroits les plus improbables avant de finir par les rendre publics.

    Au-delà de tout cela, l'intérêt de ce récit autobiographique réside dans ce qu'il dit des effets de la lecture. On voit le jeune Michel se découvrir, construire un sens critique grâce à la lecture, un imaginaire qui vont sans doute en partie le sauver. Son affrontement sur Victor Hugo avec les frères qui l'enseignent est un moment épique. On frémit d'indignation avec lui, d'angoisse en attendant les conséquences, et de soulagement au final! On le voit aussi tisser des liens avec son entourage grâce aux livres. Les discussions qu'il va avoir avec sa mère notamment, avec son frère aussi sont parmi les plus beaux échanges sur des lectures que j'ai lues. Et les plus drôles. Il faut le voir disserter sur la vraisemblance en littérature!!


    Et puis c'est tellement drôle. Cette histoire de famille populaire des années 50, doucement frappadingue, aimante, envahissante, solidaire dans les coups durs. En quelques touches Michel Tremblay dresse le portrait de personnages d'autant plus attachants qu'on les sait "vrais". Le parlé québécois avec ses expressions tellement savoureuses est un vrai bonheur tant il sonne juste! On sent que Michel Tremblay n'a pas forcé le trait. Ils étaient comme ça ses proches, ils parlaient et se parlaient comme ça! Il porte un regard juste sur son enfance et son adolescence. Et il rend un hommage poignant à une mère à l'amour inconditionnel et vachard. J'aurais bien cité ici la dernière phrase du récit, mais je ne veux pas gâcher la lecture d'un ou d'une malheureuse!


    En tout cas, j'en ai noté des choses! Pour le plaisir de partager, un passage que j'ai particulièrement aimé...

    "On dit que désirer est plus jouissant que posséder. C'est faux pour les livres. Quiconque a senti cette chaleur au creux de l'estomac, cette bouffée d'excitation dans la région du coeur, ce mouvement du visage - un petit tic de la bouche, peut-être un pli nouveau au front, les yeux qui fouillent, qui dévorent - au moment où on tient enfin le livre convoité, où on l'ouvre en le faisant craquer mais juste un pue pour l'entendre, quiconque a vécu ce moment de bonheur incomparable comprendra ce que je veux dire. Ouvrir un livre demeure l'un des gestes les plus jouissif, les plus irremplaçables de la vie."


    Merci Gachucha de m'avoir donné envie de le lire!



    Michel Tremblay, Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits. Babel, 1996, 284 p.
     

     

  • Le corps de Liane

     

     




    Liane est une enfant sans père, une enfant qui vit dans un univers tellement féminin, qu'elle est bien en peine de dire ce qu'être fille puis femme peut bien dire. Entre Christine sa mère, Huguette sa grand-mère bretonne, Eva la femme de ménage et sa fille Armelle, Roselyne sa meilleure amie et d'autres, elle va grandir vaille que vaille

     
    Je ne connaissais Cypora Petitjean-Cerf avant d'ouvrir ce roman que par les critiques que j'avais pu lire au gré de mes promenades de blogs en blogs sur son premier roman, Le musée de la sirène! Le hasard a voulu que ce soit sur celui-ci que je mette la main en premier! 
    Je dois dire que je n'ai pas été déçue! Cypora Petitjean-Cerf construit une galerie de personnages féminin attachants, que l'on prend plaisir à voir évoluer de pages en pages. En racontant leur histoire par petites tranches de vie, sans hésiter à franchir d'un bond de longues années, elle donne à voir leur vie et leur survie. Car dans l'univers de Liane, rares sont les hommes qui ne sont pas en fuite. J'ai aîmé la manière dont l'auteur interroge la féminité et surtout la maternité à travers ces scènes. Ce sont les questions centrales qui se posent à travers ces pages. Qu'est ce qu'être une femme? Maquillage? Parfum? Qu'est-ce que devenir femme? Est-ce simplement la puberté? Est-ce prendre exemple sur les femmes qui nous entourent? Et par dessus tout, qu'est ce qu'être mère? Suffit-il de porter un enfant pour le devenir ou est-ce bien autre chose? Je ne dévoilerai certainement pas les réponses (quand il y en a) qui sont données, mais on les trouve dans une lecture agréable, parfois tendre, parfois douce, parfois drôle et parfois dure. Car ce sont aussi des femmes blessées. Maris morts ou en fuite, enfants morts-nés, mères indignes, depressions, haines... Mais sans oublier amitié, shopping, repas partagés, vacances et découvertes. Un petit moment de plaisir qu'il serait dommage de se refuser! De lessives en cuisines, de Noëls en vacances de Pâques, ces femmes tressent un petit groupe dont on aimerait presque faire partie!

    L'avis de Clarabel, celui de Laure, et celui de Cathulu!



    Cypora Petitjean-Cerf, Le coprs de Liane, Stock, 2007, 397 p.

  • Club des LCA, lancement!

    Bonjour bonjour tout le monde! Et bien en lançant l'idée de ce club de lecture je en m'attendais pas à rencontrer un tel succès! Comme nous sommes déjà nombreuses, je clôture les "inscriptions"! Le temps de voir si tout le monde rentre dans le salon et d'organiser le tout! Ceci dit, j'ai le coeur tendre, tentez toujours votre chance!

    Les participantes à ce jour sont donc: Stéphanie, Fashion Victim, Papillon, Caroline, Caro[line], Emeraude, Leeloo,
    Tamara, Alice, Delphine, Hydromiel,  Amy, May et Fafa!!

    Modalités et date de l'événement à venir!
    Je n'ai oublié personne au moins!?! Si c'est le cas criez!!!

  • Maurice (non pas le poisson rouge)

     

    Depuis son adolescence, Maurice, jeune homme bien comme il faut de la bourgeoisie anglaise fait des rêves étranges. Sa nature mélancolique, confuse lui fait traverser le monde dans une espèce de brouillard. Pétris des convictions et des conventions de sa classe, il vit sans vraiment vivre. Jusqu’à ce qu’il rencontre Cliveà Cambridge. Maurice va alors entamer un long chemin vers la découverte de soi, l’acceptation de son homosexualité et la révolte contre une société qui écrase la différence.
     
    Maurice est un roman qui m’a littéralement happée. Dans cette chronique sociale des années 20, E.M. Forster traite de l’homosexualité avec une grande intelligence et une grande finesse. On frôle parfois un brin la caricature (ce qui est du sans doute à sa volonté d'entrecroiser les trajectoires des personnages), mais son regard sur la naissance d’un amour certes interdit, mais d’un amour reste plein d’humanité. 
    Ceci dit, le couple formé par Clive et Maurice, leur amour naissant puis mourant est surtout le prétexte à une étude sociale comme Forster sait les faire. Le sujet central du roman, outre l’homosexualité, est le poids des conventions sociales sur les êtres. J’ai trouvé intéressant le cheminement des personnages.
    Clive le libre-penseur, le premier à avoir admis sa différence, l’initiateur qui finalement se laisse rattraper par la société. Pris dans un carcan dont il a conscience, il y cède pourtant. D’ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure il s’était libéré de ces carcans, tant son acceptation de son homosexualité restait intellectuelle et platonique. Il s’intègre, mais au prix de la perte de soi. Et son attitude n’est pas exempte de paradoxe. Le rejet qu’il risque par l’amour interdit qu’il porte à Maurice, il le reporte sur les femmes avec une misogynie hallucinante, représentative de l’époque mais exacerbée. Le politicien qu'il devient n'est que préjugés.
    Maurice, le bourgeois anglais type qui découvre la possibilité d’un amour entre homme, qui l’accepte et qui prend le risque de le vivre. Son cheminement n’est pas facile. On le suit dans ses atermoiements. Cela en fait un personnage vivant. Il n’est pas exempt de défaut. Il y a des pages où j’ai eu envie de le secouer ! Mais c’est ce qui le rend attachant. Dans sa confrontation aux normes, dans sa prise de conscience que le désir qu’il ressent peut être le seul moyen d’épanouissement pour lui quoiqu’en dise la société, il prend une dimension quasi héroïque tout en gardant ses défauts, ses faiblesses, et son humanité.
     Forster a de plus l’intelligence d’éviter le happy end ! Pas de drame, mais une fin qui laisse l’avenir des personnages en suspens. La lumière est faite sur la conquête de la liberté. Ce qui sera fait de cette liberté ne regarde plus que les personnages.
     
     
    L’autre chose que j’aime énormément chez Forster est son regard acéré sur la société dans laquelle il vit. Le tableau qu’il fait d’aristocrates et de bourgeois sclérosés dans leurs privilèges de classe, dans leur mépris pour les classes « inférieures » est d’une cruauté réjouissante. De petites phrases assassines en petites phrases assassines, Forster met en lumière leurs défauts, leurs renoncements, leurs lâchetés communes, leur médiocrité ! Et surtout, il n’épargne personne. Pas même lesdites classes « inférieures » dont il pointe tout autant les défauts !


    Bref un magnifique roman dont Forster a refusé la publication de son vivant par peur des conséquences.



    E.M. Forster, Maurice, 10/18, 2006, 279 p.