Voilà un ouvrage bien difficile à chroniquer. Non seulement parce qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, mais aussi, et surtout parce qu’il me laisse un sentiment de malaise. Une chose est certaine, l’esprit est totalement différent de celui de La formule préférée du professeur. Au point que s’en est presque effrayant.
Ne sachant guère comment procéder, je vais faire les choses dans l’ordre, et prendre les nouvelles les unes après les autres.
La piscine : Aya-chan a grandit et vit dans l’orphelinat que dirigent ses parents chrétiens. Fasciné par un des pensionnaires qu’elle connaît depuis l’enfance, elle ne parvient pas à extérioriser cet amour, pas plus qu’aucun autre de ses sentiments. Jalouse, malheureuse, elle prend un plaisir pervers à faire souffrir les plus petits.
Cette nouvelle est assez glaçante. Yoko Ogawa fait le portrait d’une adolescente à la dérive, qui ne se sent plus vivre que par le mal qu’elle provoque et qui, pourtant, éprouve le désir d’une pureté qu’elle sait ne pouvoir atteindre. Peut-être même est-elle cruelle parce que le monde qui l’entoure ne peut atteindre cette perfection. Les personnages dépeints le sont au prisme de son regard, et du mépris qu’elle peut ressentir pour leur médiocrité.
Les abeilles : un directeur de résidence universitaire sans bras et unijambiste, des disparitions mystérieuses. Une ambiance horrifique, où l’étrange s’instille petit à petit dans la vie d’une jeune femme. Je suis restée assez perplexe quand à la signification de cette histoire qui mène à la découverte d’une gigantesque ruche… Est-elle la cause des disparitions ? Le symbole d’un monde qui court à l’effondrement sous le poids de sa propre démesure ? Je suis ouverte à toute interprétation…
La grossesse : probablement la nouvelle la plus violente d’un recueil qui n’est pas tendre. Une jeune femme empoisonne sciemment sa sœur enceinte avec des pamplemousses traités avec un produit provoquant des déformations fœtales.
Tous les personnages décrits par Yoko Ogawa ont en commun le sentiment d’irréalité par rapport à ce qui les entoure. Aya vit dans une sorte de monde onirique, l’héroïne de Les abeilles ne parvient pas à s’intéresser à ce qui l’entoure, celle de La grossesse ne parvient pas à considérer l’enfant que porte sa sœur comme autre choses qu’un tas de chromosomes. Deux d’entre elles au moins commettent des actes répréhensibles, voire horribles sans avoir de réelle conscience de la gravité de ce qu’elles font. Aucune en tout cas n’est capable de s’investir dans quoi que ce soit ou de ressentir la moindre empathie avec ceux et ce qui les entoure.
L’écriture détachée, les fins en suspens rajoutent à la tension, au malaise. Je suis vraiment surprise par ce style totalement différent de ce que j’avais pu lire de cet auteur. Et d’autant plus motivé à poursuivre la lecture de ses œuvres !
Yoko Ogawa, La piscine – Les abeilles – La grossesse, Actes Sud, 1998, 195 p.