A l’âge de 12 ans, Tomoko va faire un séjour d’une année chez son oncle et sa tante. Là, l’adolescente va découvrir un monde bien différent de ce qu’elle connaît. Une belle maison dans la montagne, une grand-mère allemande, un oncle d’une grande beauté, une tante qui boit en cachette, Mina sa cousine asthmatique qui collectionne les boites d’allumettes, et Pochiko l’hippopotame nain.
Avec La marche de Mina, Yoko Ogawa poursuit dans la veine de La formule préférée du professeur. C’est donc un roman plus tendre plus doux que ce à quoi elle a habitué son lectorat ! En fait, pour être franche, c’est une petite merveille.
Dans une langue toujours aussi sobre et maîtrisée, légère, Yoka Ogawa instille dans le quotidien de Tomoko une dose de fantastique et d’imaginaire qui est d’autant plus déstabilisante qu’elle est… ordinaire. Bizarre ? Oui, sans doute ! Ce fantastique, n’est pas la confrontation à des phénomènes étranges. Il est la découverte d’un mode de vie, d’une richesse matérielle et intellectuelle, d’une différence que la jeune adolescente ne soupçonnait pas : « La surprise lorsque j’y étais entrée pour la première fois amenée par mon oncle était toujours là. Je n’étais pas habituée au lustre qui pendait du plafond, à l’escalier dont la courbe se perdait dans les hauteurs ni au vitrail incrusté dans la porte du salon. Mon cœur était ébranlé chaque fois que je me tenais là. »
Et cette différence est ce qui lui permet d’épanouir pleinement sa capacité à s’émerveiller et à s’étonner.
Avec sa cousine Mina, Tomoko va découvrir que des boîtes d’allumettes peuvent contenir des mondes, et que les livres peuvent apporter un profond bonheur.
« De l’autre côté des pages, se dissimulait un monde inconnu, et le livre retourné en constituait la porte d’entrée, si bien qu’elle ne pouvait pas le manipulé à tort et à travers. […] Plus que n’importe quelle s précieuses sculptures ou poteries, dans la maison d’Ashiya les livres étaient considérés comme importants. »
Ce n’est pas tant Tomoko qui lit que sa cousine Mina qui y trouve un moyen de s’évader de son asthme, de découvrir le monde, d’apprendre.
« Bientôt, Mina entrait dans la pièce. Lèvres serrées, sans ciller, elle parcourait du regard le dos des livres. […] Sans se soucier de son chemisier qui sortait de sa jupe, elle s’étirait au maximum, tirait sur le livre qu’elle cherchait à atteindre, le serrait dans ses bras si fins. Allongée sur le sofa, un coussin sur la poitrine, elle ouvrait son livre et partait pour un lointain voyage. »
En la regardant et en allant à la bibliothèque chercher des livres pour elle, Tomoko apprend que les livres sont un univers qui amène au partage, à la discussion, à l’ouverture à l’autre.
Elle apprend aussi cela en regardant vivre la grand-mère Rosa toujours allemande après une vie passée au Japon, elle l’apprend en se passionnant pour les jeux olympiques de Munich et le volly-ball, en fêtant Noël à l’européenne, en découvrant l’histoire du jardin zoologique qu’abritant le jardin de la maison et dont l’hippopotame nain sur le dos duquel Mina va à l’école est issu.
Ce qu’elle apprend aussi, c’est que le monde des adultes n’est pas aussi simple qu’il ne paraît. Petit à petit, sous le vernis de bonheur, de compréhension, d’amour, apparaissent les failles. Un oncle qui disparaît des jours durant. Un cousin qui déteste son père. Une tante qui boit et fume, traque les coquilles typographiques faute d’une vie de couple qui la comble, les crises d’asthme de Mina comme autant de crises d’angoisse.
C’est ainsi qu’elle va quitter doucement l’enfance. En s’ouvrant à l’altérité et en appréhendant ce que dissimulent les regards, les silences des « grandes personnes ».
La richesse de ce roman, c’est de superposer un grand nombre de niveaux et de modes de lecture. Il y a la chronique d’une vie familiale pleine de bonheur, la chronique des difficultés d’une relation de couple et de famille, la chronique d’une vie en pays étranger, la chronique de l’adolescence. Avec une tendresse et une faculté d’émerveillement entiers : Tomoko devenue adulte garde pour cette période de sa vie un attachement plein de douceur, de mélancolie aussi.
C’est un beau roman qu’offre là Yoko Ogawa.
Et pour terminer avec une petite touche de gourmandise : « […] la cuisine de madame Yoneda était chaleureuse. Même les fines nouilles de blé flottant dans l’eau glacée qu’elle nous préparait au cours des vacances d’été nous faisaient ressentir la chaleur de son cœur.
J’aimais encore plus quand je pouvais cuisiner avec elle. A Okayama, je préparais parfois le dîner à la place de ma mère, mais ce n’était qu’une aide un peu ennuyeuse. Car la même préparation culinaire, dès lors que madame Yoneda s’en occupait devenait une approche de la beauté et une expression de la sagesse. »
L’amour, l’attachement, la tendresse dans une bol de nouilles… Et tout est dit.
Yoko Ogawa, La marche de Mina, Actes Sud, 2008, 317 p.