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au bon roman

  • Le dernier amour

    « Imaginez. Il ne vous reste que deux jours à vivre. Qu'est-ce qui est préférable ? Finir tranquille dans l'ennui qu'aura été toute votre vie ? Ou bien, si vous êtes musicien, comprendre enfin pourquoi votre musique vient d'être huée et, dès le lendemain, rencontrer celle qui devrait être votre dernier amour ? »
     
    Rien de plus, rien de moins. Un superbe premier chapitre sur un concert, retranscrivant merveilleusement l’ambiance d’un concert classique ouvre le récit. Dès lors, le ton est donné : une écriture sobre, mais évocatrice, syncopée et musicale suit les derniers instants d’un homme qui sait qu’il va mourir. C’est un récit déconcertant au premier abord, tranquillement séducteur, pudique surtout et sensuel. Avec une grande économie de moyens, Christian Gailly raconte une agonie, et la vie qui résiste malgré tout. On ressent la fatigue de cet homme, son chagrin et sa volonté de vivre encore un peu, son bonheur de sentir et ressentir. On ressent aussi la souffrance de l’épouse, mise à l’écart, acceptant par amour la volonté de l’autre de mourir seul, l'envie d'aider de l'inconnue et l'incompréhension de son époux. En quelques heures et en quelques rencontres, c'est tout un univers qui naît.
     
    C’est juste beau.

    Christian Gailly, Le dernier amour, Ed. de Minuit, 2004, 4/5

  • Rapport aux bêtes

    Paul, un paysan frustre et violent pour qui seule sa terre et ses bêtes. Autour de lui sa femme, muette et détestée, victime d’un mal qu’il refuse d’admettre, ses enfants dont il ne connaît pas même les noms. Jusqu’à ce que George, l’ouvrier agricole portugais s’installe à la ferme le temps d’une saison, et provoque dans l’ordonnancement de cet univers clos une fissure qui va tout changer.
     
    Rapport aux bêtes et un roman qui laisse des traces. Un roman difficile, âpre et violent qui prend aux tripes et laisse épuisé. Noëlle Revaz a choisi de se couler dans les mots de Paul et le fait en une plongée qui pourrait n’être qu’un exercice de style virtuose. Mais avec ce langage qu’elle maîtrise de bout en bout, elle faire prendre corps à une voix, une psyché plus que crédible, glaçante même. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Rapport aux bêtes n’est pas un roman de la terre. Bien sûr, l’exploitation agricole, l’attachement du paysan à sa terre ont une place centrale dans le récit, mais ce qui est vraiment central, c’est le rapport de Paul aux êtres vivants qui l’entourent et la manière dont ses certitudes, renforcées par des années d’isolement, vont petit à petit se fissurer pour finalement s’effondrer. Ce qui est au centre, c’est ce qu’il se passe quand l’autre, le différent, entre dans une vie.
    Paul est un homme frustre, à peine capable de lire et d’écrire. Sa vie, ce sont les champs, et les bêtes avec lesquelles il a un contact intense et vrai, un monde qu’il comprend et maîtrise et peut par conséquent aimer. Au contraire de celui où sont ses pareils. Paul est une homme frustre, mais surtout un homme dont la vision du monde est celle d’un seigneur et maître et qui attend de ceux qui l’entourent la même dureté à la tâche que celle dont il fait preuve. Sa terre, ses bêtes, sa femme, qui doivent se plier à ses vues et ses désirs. Sa femme surtout, la fille de la ville qui n’a jamais pu répondre à ses attentes, détestée et réduite à sa fonction reproductrice et sexuelle. Pour lui, ses vaches ont plus de réalité.
    Mais voilà, le monde autour n’est plus le même. Les techniques agricoles changent, le monde change, les femmes changent, et même les ouvriers agricoles changent. Avec George, c’est le monde extérieur qui va entrer à la ferme et contraindre Paul à changer petit à petit sa façon de voir et de faire. C’est Vulve d’abord, qui prend une importance nouvelle : pour la première fois, Paul prend conscience d’elle et de ses besoins, de la maladie qui la tue à petit feu. Cela ne va pas sans drames et sans violence, sans jalousie et sans bassesses. Puis ce sont les enfants, qui subitement ont grandit et qui jettent au visage de leur père leur haine. Et les voisins qui font irruptions dans la vie quotidienne. Puis le drame, celui qui va le contraindre à revenir vers ses semblables. Parce que si Paul préfère ses bêtes, c’est aussi parce qu’il ne comprend pas les humains et qu’il rejette ce monde incompréhensible pour lui et ne parle pas ou peu. Le chemin vers la parole, et donc vers la reconnaissance de l’autre va être long.
    Pourtant, si on frémit beaucoup à la lecture, le récit est aussi empreint d’humour et d’humanité. Quand Paul raconte la vie quotidienne, ses petits combats avec George, ses ruses et ses malices, on rit aussi. On ne peut pas vraiment le détester Paul. Après tout, il est comme on l’a fait. Il est même attendrissant parfois ce grand gaillard, et il le devient de plus en plus au fil des pages. Noëlle Revaz en inventant, en utilisant sa parole, fait entrer le lecteur de plain-pied dans une boîte crânienne. Le long monologue de Paul est celui de sa pensée, et la crédibilité de l’ensemble, sans faille, est un tour de force.
     
    Rapport aux bêtes est un roman poisseux de désespoir et de brutalité, d’espoir aussi. Une œuvre époustouflante et troublante, qui met le lecteur face à ce qu’un homme à de plus intime, ses pensées.

    Noëlle Revaz, Rapport aux bêtes, Gallimard, 2002, 4.5/5
     

  • L'amour par climat froid

     

    Fanny et Polly, deux amies, deux jeunes femmes dont les choix de vie vont être radicalement opposés. Dans l’Angleterre des années 1930, la première, heureuse en ménage, va observer les rebondissements de la vie amoureuse et familiale de la seconde, livrant ainsi une chronique douce-amère et ironique de la vie de l’aristocratie britannique.
     
    Alléchée par de nombreux billets et certaine de retrouver cette littérature british qui fait mes délices, j’ai ouvert pleine de confiance et de joyeuse attente L’amour dans un climat froid. A en croire quatrième de couverture et autres billets, ce roman avait tout pour me plaire : ironie, humour, chronique sociale et amoureuse, personnages attachants, etc. Et pourtant, pourtant, la mayonnaise n’est pas montée. J’ai refermé le roman avec un sentiment d’inachevé et une certaine frustration qui quelques semaines après ma lecture ont pris le pas sur le plaisir somme toute réel que j’ai pris à suivre les aventures de Fanny et Polly.
    Pauvre Fanny d’ailleurs, narratrice singulièrement absente dans toute cette histoire. J’aurais tant aimé en savoir plus sur ses premiers pas d’épouse et mère, sur les émois qui l’on poussée à accepter la demande en mariage de son universitaire et désagréable époux, sur sa découverte du petit monde universitaire anglais. A la place de ses aventures, c’est un récit un peu superficiel de la trajectoire chaotique de Polly qui est offert au lecteur. Là encore, il y aurait eu matière : une jeune aristocrate étouffée par sa mère qui pense trouver dans le mariage sa libération, erreur commune, et qui découvre les affres de la vie conjugale après une guerre sans merci livrée contre sa mère. Je reconnais à Nancy Mitford la pertinence de ses observations, un certain humour, un brin d’amoralité rafraîchissant et la capacité à croquer des personnages hauts en couleur. J’ai adoré Ned, et lady Montdore, la guerre sans merci déclarée entre la mère et la fille. Mais quel regret de voir à quel point le récit reste superficiel et comment l’auteur boucle en deux coups de cuillère à pot son histoire, laissant le lecteur interloqué ! L’amour dans un climat froid m’a laissée relativement froide, mais cela ne m’empêchera pas d’aller jeter un œil ou deux sur La poursuite de l’amour.
     
    Pour la petite histoire, L’amour dans un climat froid était également cité dans Au bon roman de Laurence Cossé.

    Nancy Mitford, L'amour dans un climat froid, 10/18, 2007, 2.5/5