Comment faire passer l'émotion qui m'a serré le ventre le jour où j'ai lu les premières pages de ce livre pêché au hasard de mes errances dans les rayonnages d'une bibliothèque municipale...La première chose qui m'a frappée c'est la richesse de l'écriture, de la voix de l'écrivain. Une voix qui fait immédiatement et irrémédiablement basculer dans un autre monde où la poésie et la violence se mêlent. Une voix qui ressemble un peu à une toile d'araignée, tant il est difficile de s'en libérer.
Il est difficile pour moi de donner un résumé de ce recueil de nouvelles qui lui rende justice.
Je peux donner la présentation de l'éditeur, qui a fait ce qu'il a pu le malheureux : "Début des années 2000... des enfants "différents" apparaissent dans des familles humaines. Doués de physiques et de pouvoirs étonnants, ils sont très vite assimilés aux changelings, les enfants-fées, et soupçonnés d'avoir été laissés en substitut des véritables enfants mortels. Commence alors une cabale sans précédent, aboutissant à l'abandon en masse de ces enfants dans des Centres, prisons et mouroirs gérés d'une poigne de fer. De cette génération perdue, et sous l'égide d'un chef charismatique, Shade, émergera une rébellion qui amènera ces enfants devenus grands à hanter nos cités, à mettre le feu dans les rues. À travers guerres des gangs et courses éperdues, sacrifices et actes de fraternité, suivez les destins de Shade et Ash, Fallen et Jay Hunter et Gift, d'une vie délivrée de ses chaînes vers un havre promis, une cité mythique au bord du monde. La ville-fée de Frontier, où les arbres poussent dans les maisons et la magie régit le quotidien ».
Le recueil commence par une nouvelle bouleversante, "Runaway Train", qui conte l'histoire d'un amour fraternel fou. Need, jeune humaine décide d'emmener son changeling de frère vers Frontier, la ville de ceux qui ont pris pour eux le nom de fays
Ce sont les thèmes de l?amour, de l?amour fraternel, de l'amitié, de la confiance qui vont irriguer les 12 nouvelles du recueil. Sans pour autant sombrer le moins du monde dans la mièvrerie, piège dans lequel il est si facile de tomber, dès lors que l'on raconte des histoires où l?amour, la loyauté, vécue et exprimée est présente. Car la violence est bien présente dans l?univers de Léa Silhol : violence physique, violence morale, violence d?un monde qui perçoit ce qui est différent comme menaçant, sauvagerie. En cela, Musique de la Frontière donne une description très réaliste, et très pessimiste de notre monde. D'un monde qui a presque oublié ce que la solidarité et l'amour veulent dire.
Les personnages même sont un choc. Figure de l'altérité, ils sont aussi une sorte de portrait de ce que l?humanité devrait être. J'avoue être tombée amoureuse d?eux, les uns après les autres.
La construction même du recueil participe de l'émerveillement. De nouvelles en nouvelles, de personnages en personnages, des liens et une chronologie se créent, et l'univers de Léa Silhol se tisse progressivement sous nos yeux. Ce qui est intéressant, c'est que cet univers ne se limite par au Dit de Frontier. L'ensemble de l'oeuvre de l?auteur est lié. Et elle y fait montre d?une remarquable maîtrise de la littérature féerique et fantastique, d'une connaissance profonde des mythes et du folklore celtes, voire d'Europe. Une filiation qu'elle revendique apparemment puisqu'on peut lire dans un article (Fées et Fantasy, un mariage heureux ?) : « C'est une littérature difficile, qui laisse peu de place à l?improvisation, mais incite à se plonger dans une tradition immémoriale de créateurs de codes, de celle qu'ont suivi des générations de concepteurs de mythes et de contes avant nous ».
Pour finir, une citation de Voix de sèves, la nouvelle la plus longue, et une des plus belles du recueil par la synthèse qu?elle fait de tout ce qui la précède : « Et je comprends maintenant ce que disait Ash lorsqu'il parlait de l'Hozro, de ce qu'il nomme la beauté. Cette harmonie, cet éblouissement, cette paix qui monte vers le ciel avec des voix de sève, la voix des livres nés d?arbres vivants, sans que rien n?ait été retranché ou dépensé pour nous donner cet indispensable « plus », cet incalculable apport à nos vies, toutes les choses qu'ils peuvent nous dire de l'intérieur et de l'extérieur, de nous-même et du monde [...] Je l'ai trouvé ici, mais c'est partout. Si tant est qu'on se donne le mal d'aller au bout de quelque chose, et d'aller au bout de soi-même. Et je souhaite pour toi l'harmonie et l'éblouissement, la grâce et la paix, la Beauté dans laquelle on marche comme si le seul fait d?avancer était un accomplissement en soi. »