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  • Un livre + un livre=un homme

     

    Des îles écossaises, un manoir qui tombe en ruines, le trésor perdu d'un ancêtre, écrivain mort de rire en 1660, un prêtre qui a jeté sa soutane aux orties à cause des genoux d'une jeune étudiante en littérature... Voilà les ingrédients d'un roman qui emmène son lecteur dans un labyrinthe littéraire ma foi fort tortueux.

     Il est de fait quasi impossible de se livrer à l'exercice du résumé quand il s'agit d'une intrigue aussi tortueuse et retorse que celle que se plaît à offrir Jean-Pierre Ohl. Tortueuse et retorse, mais en même temps absolument fascinante, et totalement réjouissante.

    Reprenons depuis le début. Nous avons d'un côté, sur son île, Mary Guthrie, passionnée de littérature, amoureuse du prêtre de sa paroisse et accessoirement, fascinée par un obscur écrivain du 17e siècle, Sir Thomas Lockhart; de l'autre, Ebenezer Krook, prêtre à la personnalité un tantinet compliquée, mort de peur face aux livres et aux femmes. Ce qui ne l'empêche donc pas de tomber amoureux des genoux de Mary et, pris d'une crise de foi au sens propre comme au figuré après avoir fauté avec sa belle (et ses genoux, donc), de quitter avec perte et fracas son sacerdoce. Mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que leur destin va aussi se rejoindre dans la traque de Sir Thomas et de son trésor perdu.  Trésor retrouvé et caché par un ancêtre au sens de l'humour aussi complexe que le secrétaire aux 32 tiroirs qui cache les indices y menant.

    Voilà la base. Nous sommes donc devant deux récits picaresques croisés qui vont se croiser. L'une va se découvrir en cherchant à comprendre un écrivain, l'autre va apprendre à se connaître en apprivoisant petit à petit la littérature. Cette littérature si importante pour l'auteur qu'il se livre à un véritable festival de référence totalement maîtrisées et utilisées magistralement. C'est toute la littérature gothique a qui il est rendue un hommage sous forme de pastiche, Mary errant dans des décors dignes des plus belles pages du genre: souterrains humides, cryptes lugubres, manoir hanté par les courants d'air et les fantômes, qu'elle décrit avec une distance et un humour assez dévastateur. La littérature gothique, mais aussi Dickens et Thackeray par la bande, de Jack London et Stevenson. Sans compter que ce bon vieux Eric Blair, autrement connu comme George Orwell n'est rien moins qu'un personnage de notre histoire. Bref, vous l'aurez compris, Jean-Pierre Ohl aime la littérature classique et sait faire partager sa passion sans écraser le lecteur sous sa science ni paraître donner un cours d'histoire de la littérature. Rien que pour cela, il mériterait une décoration.

    Mais ce que j'ai le plus apprécié dans ces pages est sans conteste l'amour des livres qui s'en dégage. Le parcours d'Ebenezer Krook est pour moi fabuleux. Celui d'un homme qui n'aime pas les livres, qui en a peur même.

    "ILs étaient là, autour de moi. Des milliers. Pareils à des fauves de cirque jaugeant le nouveau dompteur. Feignant de vaquer à leurs occupations, mais attentifs aux moindres de mes faits et gestes. A mon approche, Scott et Stevenson interrompirent leur conciliabule, qui recommença dès que j'eus le dos tourné. La Guerre des Gaules se rétracta vers le fond de l'étagère, dans une attitude plus menaçante que respectueuse. "

    Mais qui croise la route d'un libraire, un vrai. En fait, Walpole est même un archétype de libraire à l'ancienne dans sa petite boutique obscure, avec son plaid sur les genoux et son bonnet. Une de ces icônes qui rappellent ce que l'on attend d'un passeur de livre: transmettre, discuter, argumenter, aider les livres à vivre leur vie. Et aider les lecteurs à trouver les livres qui vont leur permettre de mieux vivre, voire, de vivre tout court.

    "Francis Krook était un homme parmi les autres, un lecteur parmi les autres, cherchant dans tous les livres, les pièces manquantes de son propre puzzle. [...] Cependant, une autre voix, plus lointaine mais plus entêtante, se mêlait à la première: " Et si justement un petit morceau de Francis Krook était là aussi, dans ce livre qu'il n'a pas lu? Précisement dans ce livre qu'il n'a pas lu?"

    Sont-ce nos lectures qui font de nous ce que nous sommes, ou ce que nous ne lisons pas qui révèle au contraire ce que nous sommes? Jean-Piere Ohl pose, qu'il l'ait voulu ou non beaucoup de questions sur la lecture et le pouvoir de la lecture. Et c'est à travers ces questions et les réponses qu'il y apporte qu'Ebenezer Krook finit par commencer à se trouver.

    Cet amour de la littérature nourrit une intrigue haute en couleur, complexe. L'auteur parvient à tisser les fils d'une histoire compliquée, opaque, qui en s'entrecroisant, finissent par dessiner une trame que l'on ne voyait pas venir. On est dans un roman picaresque, mais on est aussi dans un roman d'aventure, un roman policier, un roman de guerre. Une somme de genres qui loin de donner un sentiment de fourre-tout, forme un ensemble cohérent, servi par des personnages attachants. Les héros de l'histoire, Mary et Ebenezer bien sûr, pas toujours sympathique, parfois franchement têtes à claque. Mais aussi les autres: Walpole le libraire, Scot Fleming, le père Morton et ses flatulences, la tante Catriona, grande voyeuse devant l'éternel, la gardienne de musée cricketeuse à ses heures, Robin Denisson et Lewis Rosewall... Tous, même quand ils n'ont que quelques lignes qui leur sont consacrées ont de l'épaisseur et de l'humanité. Ajoutez à cela un style alerte et agréable, et vous comprendrez que j'ai si fort apprécié cette lecture.

     L'avis enthousiaste et enthousiasmant de Lou, de Celsmoon, de Brize moins convaincue.

    Jean-Pierre Ohl, Les maîtres de Glen markie, Gallimard, 2008, 354 p. 4,5/5

  • Des joyeuses commères d'Elseneur

    "- Qui est-ce chérie? cria ma mère depuis le salon?

    - Un tueur sanguinaire décidé à se rendre maître de la galaxie, lui répondis-je.

    -C'est bien ma poulette."

     

    Thursday Next est de retour, son petit Friday sous un bras, Hamlet sous l'autre et le couteau entre les dents, fermement décidée à enfin récupérer son époux éradiqué par les soins de l'affreuse compagnie Goliath et à vivre heureuse avec lui, son fils et son dodo.

     

    J'avais adoré les trois premiers tomes des aventures de Thursday Next. Souvenez-vous, c'était ici et . Je ne vous étonnerai donc pas en vous disant que j'étais au garde-à-vous dans un lieu de perdition autrement appelé librairie le jour même de la sortie et que quelques heures plus tard, je me poilais dans une rame de métro dont je suis descendue une station trop tôt (d'habitude c'est une à quatre trop tard, mais le résultat est le même).

    Tout ça pour dire que ce nouvel opus est comme les précédent un condensé de bonne humeur, d'idées plus loufoques les unes que les autres, de rebondissements tellement serrés qu'on frôle l'embouteillage et de bonne humeur certifiée conforme. Certes Thursday Next quitte le Monde des livres pour retrouver le réel, mais ce n'est finalement que pour mieux permettre à son créateur de mélanger allégremment personnages de fiction et humains en chair et en os. C'est ainsi qu'Hamlet débarque dans le salon de Mme Next déjà squatté par Bismarck (oui, celui qui a des moustaches) et Emma Hamilton (la lady de lord Nelson) avec ses questions existentielles. Il va se trouver confronté à un coach en développement personnel et aux multiples interprétations de sa pièce pendant qu'Ophélie fomente une révolution. Mme Bradshaw, gorille de sa personne va venir faire un peu de baby sitting et se suspendre aux lustre de Mme Next pendant que Thursday tente de récupérer un clone de Shakespear. Quand à l'empereur Jark, tyran sanguinaire de son état, il va passer le roman à faire les entrées les plus retentissantes possibles. En bref, l'interpénétration des deux univers dans lesquels évolue Thursday Next apporte une grande richesse au roman. Quand on pense qu'avec tout ce bazar, Jasper Fforde parvient à maintenir une trame cohérente et à mener à bien une intrigue aux multiples ramifications, on ne peut que plébisciter son talent!

    Avec Thursday Next, il a développé une héroïne attachante. Une femme aventureuse, forte et fragile à la fois, que ni mariage ni maternité n'empêchent de partir à l'aventure.

    "-Chéri? appelai-je.

    -Oui? répondit Landen de l'escalier.

    - Je dois ressortir.

    - Encore un tueur à gages?

    - Non, un tyran mégalomaniaque décidé à conquérir le monde.

    - Je t'attends pour aller au lit?

    - Non, mais Friday a besoin d'un bain... et n'oublie pas derrière les oreilles."

    Une nouvelle conception du partage des tâches: madame sauve le monde d'une énième apocalypse et monsieur donne son bain au petit.

    Je vais parler ici de choses que Canthilde a aussi abordé ici, mais c'est à mon avis un aspect trop important pour qu'il soit passé sous silence. Si dans les précédents tomes, Jasper Fforde disait beaucoup de choses sur les livres, les lecteurs et ceux qui font les livres, cette fois-ci, la critique politique et sociale s'affirme. Il montre là, s'il en était encore besoin, à quel point l'uchronie est un excellent moyen de parler du monde dans lequel nous vivons et des dérives probables des systèmes économiques, politiques et sociaux. Là, c'est l'hégémonie économique et ses conséquences qui sont questionnées, le consumérisme à tous crins aussi. Goliath, la fameuse multinationale à l'origine de bien des aventures de Thursday brigue cette fois-ci le statut de religion. L'occasion de souligner à quel point l'argent est devenu maître et presque dieu. Goliath est juste une entreprise. Mais une entreprise qui a réussi à pousser son emprise sur le monde au point de ronger jusqu'à l'os le monde politique et de justifier son attitude hégémonique par le fait que contrairement aux politiques, elle a la capacité et les moyens de penser l'avenir sur le long terme. Et en effet, loin du bien commun, les hommes politiques campés par Jasper Fforde poussent la manipulation et l'égoïsme jusqu'à l'absurde. Rien de nouveau sous le soleil me direz-vous, mais en poussant la logique qui préside les relations entre politique et économie à son paroxysme Fforde donne à réfléchir. On rit, parce qu'il est difficile de faire autrement, mais on rit un peu jaune, tant la fiction se rapproche là de ce que la réalité annonce.

     Je ne vais pas m'étendre plus. Jasper Fdorde est définitivement entré dans mon panthéon personnel d'auteurs chouchous (cop. Caro[line]) et ne risque pas d'en sortir avant un bon bout de temps. Il est un des rares à me faire hurler de rire, frémir d'angoisse et réflechir intensivement en 400 et quelques pages, dévorer avant de freiner des quatre fers par peur de tourner trop vite la dernière page. Vivement le tome 5 en poche!

    L'avis de Canthilde, de Karine:), Yozone.

    ps: je n'ai pas trouvé la couverture 10/18, mais félicitations: elles sont drôles, colorées, et tout à fait en accord avec l'univers de Fforde!

    Jasper Fforde, Sauvez Hamlet!, 10/18, 2008, 471 p.