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  • Les dames de Kimoto

    Quatres générations de femmes japonaises, quatre destins et l'évolution de la condition féminine au Japon de la fin du 19e siècle à l'après Seconde guerre mondiale. Toyono la grand-mère qui incarne la tradition, Hana sa petite-fille déchirée entre tradition et modernité, Fumio sa fille résolument tournée vers le monde moderne, et Hanako qui, enfin, parvient à conjuguer tradition et modernité dans une certaine sérénité.

     Sawako Ariyoshi, décédée en 1984 est très connue au Japon pour ses romans, ses nouvelles, des pièces de théâtre qui racontent la condition féminine au Japon. Elle a souvent été comparée à Simone de Beauvoir. Comme, je l'avoue sans fard, je ne connais l'oeuvre de Simone de Beauvoir que par oui-dire, ne vous attendez pas à une comparaison circonstanciée entre ces deux auteurs! Tout ce que je vais pouvoir faire est vous parler de cette merveilleuse chronique familiale.

     Le monde que décrit Sawako Ariyoshi est un monde en mutation. Ce pourrait être celui des paysans, celui de la classe moyenne, c'est celui de familles riches, propriétaires de terres ou de commerces, descendants de samouraïs parfois. Un monde luxueux, régi par des codes précis, contraignants où, traditionnellement, les femmes quittent leur famille le jour de leur mariage avec un homme qu'elles n'ont souvent jamais rencontrés. Un monde où leur statut dépendra de celui de leur époux, aîné ou cadet de la famille, de leur bonne éducation et de leur sens de l'honneur. Un monde qui commence à se déliter avec l'ouverture du Japon aux étrangers. 

    Ce monde est celui de Toyono la grand-mère. Déjà, Hana, qu'elle a élevée et à qui elle a fait donner une éducation bien plus poussée que la normale, tout en respectant le code de conduite de l'épouse japonaise traditionnelle, se confronte au féminisme naissant. C'est un personnage ambigu Hana. Tout comme Toyono d'ailleurs. Loin de l'image de la femme et de l'épouse soumise, silencieuse, elles sont toutes deux des femmes de têtes, dirigeant leur petit monde d'une main d'autant plus ferme qu'elle est enveloppée de soie et subtile. Elles ne sont pas esclaves, mais se sont mises au service d'un idéal, de leur idéal, celui de l'Epouse.  Cela, Hana le proclame jusque dans les pages d'une revue féministe: "Le texte lui-même, dans une prose fleurie, relatait la vie d'une femme qui, ayant la conviction de porter en elle l'esprit de la famille traditionnelle, estimait de son devoir de consacrer son existence à devenir l'esclave, en même temps que l'élément indispensable de la famille dans laquelle elle entrait par le mariage."  Et son existence prend fin quand se termine celle de son mari: "Elle n'avait jamais juré que par Keisaku et elle ne voulait pas lui survivre dans le monde qu'il s'était forgé. Elle ne pouvait pas accepter de devenir une de ces femmes des temps nouveaux qui prétendaient s'affirme. Accomplir quelque chose par elle-même au lieu de tenir son pouvoir du fait qu'elle était dans l'ombre de son mari lui paraissait aller contre toutes les vertus féminines auxquelles elle croyait si fermement. [...] D'après elle une femme, même forte et intelligente, qui n'avait pas d'homme au côté duquel se tenir était inévitablement condamnée."

    Sorte de personnage de transition entre deux mondes, elle est déchirée entre une indépendance possible mais qui heurte toutes ses convictions et un univers rassurant dont elle maîtrise les ressorts. Le changement arrive par sa première fille, Fumio la rebelle qui affirme ses opinions politiques, part faire ses études seule à Tokyo, épouse l'homme de son choix, refuse les vêtements traditionnels. Sa force de caractère, elle la tient de sa mère et de sa grand-mère, mais l'utilise différemment. Le propos du roman est finalement de montrer comment deux femmes si semblables peuvent ne pas se comprendre: chacune s'enferme dans une forme d'extrémisme, incapable de voir ce que l'autre peut lui apporter. C'est toute la confrontation entre tradition et modernité qui se révèle à travers les relations de la mère et de la fille. Avec la possibilité, à la quatrième génération de parvenir à concilier deux mondes, héritage et avenir.

    C'est donc cette évolution de mère en fille que décrit Sawako Ariyoshi, l'inéluctable changement du monde, à l'image de ce fleuve que descend Hana le jour de son mariage. Ce fleuve que les mariées ne doivent pas remonter sous peine de mourir. C'est, quand y pense une belle métaphore. Le fleuve comme image de l'évolution, d'une force contre laquelle on ne peut aller sous peine de tout y perdre. Ni Toyono, ni Hana, ni Fumio n'ont finalement le choix de ce qu'elles sont. Elles vivent avec les armes que leurs ont donné leur éducation et leurs convictions. Et tout le roman est à l'image de cette métaphore; poétique, évocateur, profond. Profond parce que ses personnages le sont, parce qu'au delà de la condition féminine, il y est question de politique, de société, de guerre, de diplomatie. On peut s'y perdre, s'ennuyer parfois, mais on ne peut abandonner tant il y a à prendre et apprendre au fil des pages sur un Japon complexe et sur les être humains.

     

    Sawako Ariyoshi, Les dames de Kimoto, Bibliothèque cosmopolite, Stock, 1991, 283 p.

     

  • Un jour mes princes sont venus

    Livre - Un Jour Mes Princes Sont Venus

     

    Elle essaie les histoires d'amour comme autant de vêtements qui jamais ne lui vont. Elle accumule les échecs, les larmes, les rires et les regrets en cherchant le chemin vers cette blessure qui l'empêche de vivre et d'aimer.

     

    Il y a de ces romans qui sans explication rationnelle touchent leur lecteur, semblent lui parler, ou en tout cas, trouvent un écho en lui. Pour diverses raisons sur lesquelles je ne m'étendrais pas, Un jour mes princes sont venus a été, pour moi, un de ces romans.

    Cette jeune femme dont nous ne connaîtrons pas le nom parle, monologue, porte sur sa vie et ses amours passées un regard d'entomologiste presque. Elle dissèque les raisons qui l'ont menées à cumuler des histoires d'amour sans issues. Elle s'interroge sur son incapacité à s'accorder des relations sans lendemain, à accepter simplement la chaleur du corps de l'autre sans rien attendre d'un avenir commun. Elle remonte le fil jusqu'à ce père mort trop vite, trop tôt, dont elle ne parvient pas à guérir. C'est à la fois infiniment triste, léger, et plen d'espoir. Léger parce que ces histoires qu'elle a cumulé, elle les regarde avec un brin d'ironie, parfois un sourire pour l'aveuglement et la naïveté dont elle a fait preuve. Et parce qu'il est difficile de ne pas se reconnaître un peu en elle et en ses amies. On retrouve un peu de ces discussions sur les hommes que l'on peut avoir avec les copines, un peu de ces magazines de fille.

    Triste parce que les mots qu'elle adresse à son père, elle n'a jamais pu les lui dire de son vivant. Trop de retenue, trop d'incompréhension, et puis la culpabilité d'être devenue femme, d'avoir en quelque sorte trahi. La colère aussi de ne pas avoir pu continuer à s'opposer au père, à l'autorité. Et puis, la légereté cache aussi l'interrogation plus profonde: qu'est-ce qu'il y a chez moi qui ne va pas pour que l'amour ne me vienne pas, pour que je sois incapable de me laisser porter.

    "Ce que je vis est un malheur courant. Les magazines le disent. Les télévisions le clament. Les femmes se le susurrent. Les hommes se le murmurent. Mais moi? Hein? Moi dans tout ça? Que les femmes de ma génération essuient les difficultés de la liberté sans modèle soit. Que les femmes de ma génération s'occupent de leur réalisation professionnelle, etc, soit. Je pourrais très bien me couler dans la problématique commune et me reposer en me disant C'est une affaire de génération. Et voilà!

    Mais je sais que ce serait tricher.

    Des hommes qui me regardent, qui me veulent, il y en a. C'est en moi que quelque chose ne va pas?"

     L'espoir? Il est dans la guérison progressive. Petit à petit, elle trouve sa place. Dans l'amitié et dans l'amour. Elle quitte définitivement l'enfance.

    "Mon éducation et faite. Parfaite.

    Je sais que chacun est libre de sa propre mort.

    Je sais que l'amour ne sauve pas de la mort. L'amour c'est fait pour vivre, c'est tout. Et c'est bien.

    J'ai quitté la paume ouverte où plus rien ne me retient prisonnière.

    Et j'ai été seule.

    Et j'ai été vivante.

    Enfin.

    Merci mes princes.

    Maintenant, un homme peut venir."

     Poésie, épure, sensibilité, Jeanne Benameur offre un roman où s'équilibre douceur, amertume et sérénité. Un très beau moment dont je me souviendrai longtemps.

     

    L'avis de Gawou

     

    Jeanne Benameur, Un jour mes princes sont venus, Denoël, 2001, 142p.  5/5