J'ai déjà du, si ma mémoire ne me joue pas des tours, avouer mon amour de la plume de dame Agatha, son art de l'intrigue, ses oeuvres de jeunesses... Et sa vie aux côtés de son second époux, Max Mallowan, qu'elle accompagnera sur les chantiers de fouilles (lisez le merveilleux La romancière et l'archéologue si ce n'est pas déjà fait, hop, hop!). Mais trève de bavardage, si Agatha Christie est une amazone et si elle a bien vadrouillé en Orient, ce n'est pas d'elle dont il est question ici mais de la non moins merveilleuse, et bien moins connue Jane Dieulafoy. En voilà une de femme extraordinaire! Romancière, archéologue, photographe, journaliste, elle aura suivi son époux sur les champs de bataille comme sur les routes et les fouilles et gardera toute sa vie l'habitude de se vêtir en homme.
C'est un de ses périples avec son époux qu'elle raconte dans un journal réédité chez Libretto: un voyage à cheval sur les routes d'Orient, cheveux courts et vêtements d'homme, pour répertorier les monuments et les mosquées, une plongée dans la société perse au cours de laquelle elle va braver la chaleur, le froid, l'inconfort, la maladie, les foules en furies et les bandits, voire même ces fameux andérouns qui cristalliseront tellement de fantasmes occidentaux. Avec humour, autodérision, elle note au fil des étapes ses découvertes, les avanies du voyage oscillant entre drôlerie et tragique, soutenue en cela par son grand sens de l'observation et par une ouverture d'esprit peu commune. A travers elle on effectue une plongée en Perse, qui, si elle n'est pas toujours exempte de préjugés, permet de découvrir le monde oriental de la fin du 19e siècle. Car rien n'est épargné, de la crasse, des maladies, de la misère comme de la richesse, des corruptions politiques, religieuses, de la violence comme de la beauté des paysages, des accueils chaleureux, des merveilles architecturales. Ce journal est infiniment riche, mêlant l'aventure à des analyses historiques, sociologiques, politiques. Le plus intéressant à mon sens dans tout cela reste de pouvoir découvrir la voix d'une femme qui, si elle brise certaines règles et fait preuve d'une indépendance certaine reste attachée à des valeurs et des préjugés qui la font réagir parfois étrangement à l'univers perse et lui font avaler d'autres choses sans qu'elle se montre plus choquée que cela. Je suis curieuse de découvrir la suite de son journal!
Alors bien sûr, il y a des passages un peu fastidieux. Et puis j'aurais adoré voir plus d'illustrations. Mais faire connaissance avec Jane Dieulafoy vaut le détour, quitte à sauter quelques entrées pour ceux que l'architecture des mosquées et des Sassanides ne fascinerait pas!
Dieulafoy, Jane, Une amazone en Orient. Du Caucase à Persépolis 1881-1882, 2010, 400p., 3.5/5