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  • Polina - Bastien Vivès

    20110420183512_t0.jpg"Il faut être souple si vous voulez espérer un jour devenir danseuse. Si vous n'êtes pas souple à six ans, vous le serez encore moins à seize ans. La souplesse et la grâce ne s'apprennent pas. C'est un don. Suivante..."

    Et pourtant Polina va intégrer la prestigieuse école Bojinski et vivre avec intensité sa passion pour la danse.

    Evidemment, dit comme cela, on se demande s'il ne va pas s'agir d'une ressucée version BD d'un roman d'Anne-Marie Pol. Mais dois-je l'avouer puisque nous ne sommes pas mardi, j'ai adoré les romans d'Anne-Marie Pol fut un temps. Surtout Le sang des étoiles tiens, que j'ai lu, relu, rerelu, rererelu avec enthousiasme. Même si je n'aimais pas danser.

    Mais revenons à nos moutons. Enfin, à Polina. Autant attaquer tout de suite, cette BD est un petit bijou, tant en terme de scénario que de dessin. Car Bastien Viviès retrace avec sensibilité et crédibilité le parcours d'une enfant puis d'une jeune femme dont la vie tourne autour de la danse, qui s'y perd, s'y retrouve, la fuit, y revient. On la suit dans sa relation à son maître, dans sa découverte progressive qu'il est possible de danser autrement, dans sa vie d'une certaine manière en dehors de la vie au sein d'écoles et de troupes. Avec en filigrane une réflexion sur l'exigence, la discipline que requiert la danse, discipline indispensable qu'il faut néanmoins dépasser pour que la technique devienne art. Le tout est servi par un dessin au trait épais, tout de noir et de gris qui parvient pourtant à se faire léger, à traduire le mouvement, la souffrance, les émtions de Polina et de ceux qui l'entourent.

    Une très belle réussite!

    Une interview de Bastien Vivès...

    Polina est la BD RTL du mois de mars!

    Vivès, Bastien, Polina, KSTR, 2011, 206p. 4/5

  • Les insurrections singulières - Jeanne Benameur

    63030052_p.jpgAntoine est au seuil de la quarantaine. Ouvrier atypique, pas vraiment à sa place dans cet univers qu'il s'est choisit, décalé parmi les intellectuels que fréquente son frère devenu professeur, militant syndical fort en gueule mais jamais dans la ligne, il bascule. Rupture amoureuse, dévastations provoquées par la mondialisation, le vide qui se creuse sous ses pas va le forcer à trouver, enfin, un sens à sa vie.

    L'art de Jeanne Benameur c'est de donner. Donner vie, donner corps, donner parole,... Comme cette parole ouvrière qu'elle a recueillie, café de parole après café de parole, mots de colère, mots de désarroi, mots de désespoirs, d'hommes et de femmes dont le travail avait soudainement perdu toute valeur, dont le savoir-faire n'était rien face à l'argent et au profit. Cette parole, ces mots, elle les a continués, s'est documentée, puis a laissé, comme elle le dit joliment, "l'imagination faire sa part".

    L'imagination la mène sur les pas d'Antoine, un homme qui erre entre deux mondes et qui, faute de se trouver, n'habite pas vraiment sa vie. A travers lui, Jeanne Benameur montre le chemin parfois long, parfois difficile qui mène à une vie libre, une vie à laquelle on donne un sens qui dépasse les gesticulations avec lesquelles, parfois, on remplit ce vide tellement effrayant.

    "Les autres, tant que toi, tu n'es pas vraiment dans ta vie, les autres, eh bien tu crois que tu fais des choses pour eux mais c'est tripette mon gars... tu te cours après à travers eux et tu te rattrapes jamais... alors crois-moi, s'arrêter, traverser le temps mort, ça vaut le coup..."

    Le déclic pour lui, va être la rencontre de Marcel, le chantre du temps mort, un vieux bouquiniste un peu philosophe sur les bords, un authentique amoureux des livres et des hommes. C'est lui qui par petites touches, mots à mots, pages à pages, va l'inviter à prendre sa vie en main, à se réfléchir et à accepter ce qu'il est et ce dont il a besoin pour être, à prendre le risque qui va lui permettre de reprendre sa vie en main.

    "C'est peut-être la seule chose qui fait de nos vies des choses singulières dans le fond, le choix du risque qu'on vit... Chacun le sien. Une chose est sûre. Sans risque, on ne vit pas."

    Ce qui est le lot du plus grand nombre, de ceux qui étouffent dans leur vie parce qu'il faut survivre, faire vivre ceux qui vous entourent, quitte à tout accepter, comme le font certains des compagnons de travail d'Antoine  qui voient une partie de ce qui faisait leur valeur écrasé par le rouleau compresseur de la mondialisation.Pas de manichéisme cependant, de dénonciation gratuite de la course au profit. Ce qui est montré,  c'est l'effacement de l'humain, incarné dans ce carnet tenu pendant des années par le père d'Antoine, carnet d'ouvrier qui a perdu toute valeur.

    "Un carnet fait par un ouvrier pour un ouvrier. Un homme pour un homme. La valeur du travail de vivre qui passe de main en main. AUjourd'hui c'est une relique. Aujourd'hui on veut juste savoir ce qui est utile pour fabriquer des choses. Pas la vie. C'est ringard, c'est perte de temps, c'est pas efficace, de noter les jours de rien. Juste pour qu'un autre, un jour, le sache."

    On en parle pourtant de ces esclaves qu'on oublie pour mieux acheter à bas prix des breloques. Ils sont là, comme leur version occidentale, ou brésilienne, apparemment mieux lotie, illusion qui s'efface quand on regarde en face le désespoir des hommes, le renoncement à soi et à sa dignité.

    " A l'usine, l'idée de travailler moins, c'est le malheur, c'est la peur de la misère. C'est ancré profond. Finir par tout accepter pour juste pouvoir travailler. C'est ça que je trouve fou. Travailler. Dans n'importe quelles conditions. Elle est là la misère. Pas dans le porte-feuille à plat à la moitié du mois seulement."

    A travers Antoine, à travers ses collègues de travail, à travers les ouvriers brésiliens qu'il va rencontrer au bout du monde, Jeanne Benameur redonne un corps et une voix à des hommes et des femmes rendus abstraits par la mondialisation. Elle montre aussi la complexité de ce phénomène. Car après tout, ce qui fait le malheur des uns est la manne des autres, une manne au visage de Janus, mais une manne cependant. Là, c'est au Brésil que profite le crime. Mais s'il est facile de détester les autres, ceux du bout du monde qui volent le travail, il devient plus difficile de les condamner quand on les côtoie, quand on apprend à les connaître. C'est ce qu'Antoine va découvrir en même temps que la possibilité de naître à soi et d'affronter ses ambivalences.

    Tout cela, Jeanne Benameur le raconte avec passion, avec sa plume fluide, vraie, son regard humaniste, respectueux, qui parvient à mêler avec harmonie le parcours individuel et les grands bouleversements mondiaux. Une fois de plus une belle réussite, un roman qui ne vous lâche pas avant la dernière page, un bonheur de lecture.

    Je termine avec ce qui est, sans doute, un de mes passages préférés:

     'Mais ce qui la faisait vraiment sienne c'est qu'elle était envahie de livres. De sa chambre au grenier. Même dans la cuisine où on passait le plus clair de notre temps, des piles de livres voisinaient avec les épices sur le buffet, sur les chaises, partout. Les livres, chez lui, c'était une présence tranquille, pas comme chez Karima où les étagères bien rangées me narguaient. Chez Marcel, on aurait dit que les livres attendaient avec nonchalance qu'on les ouvre. Ils étaient là, disponibles, sans exigence. En même temps, par leur présence, ils me disaient que j'avais encore des millier de choses à découvrir. Ça ne me bousculait pas. Ça me convenait. L'impression que rien n'était fini, que quelque chose pouvait s'allumer et brûler haut et fort. En moi. C''était dans les livres, dans les pages. Ça m'attendait."

     A lire.

     Bellesahi, Manu, Noukette, Lencreuse,...

    Le jeudi c'est citation.gif

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