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  • La route

     


    Un père et un fils sur une route qui file vers la mer. Un monde en cendre.

     

    Je n’ai pas lu d’autres romans de Cormac McCarthy avant celui-ci. Je dois donc croire sur parole ceux qui affirment que son écriture s’est épurée, réduite à l’essentielle. Pour moi, ce style est un constat et un choc. Oui, La route est un roman de l’épure. Mais sous l’épure, il y a une immense richesse de sens.

    Cormac McCarthy écrit le voyage sans fin et terrifiant d’un homme et de son fils sur les routes d’un monde détruit, brûlé où n’ont survécus que quelques êtres humains bien vite retombés dans la barbarie. C’est la condition humaine dans son acceptation la plus minimale, la plus froide que dépeint l’auteur. Quid de la catastrophe en elle-même, de ce qui l’a provoquée, de son déroulement, de ses conséquences autres que la fin de toute  civilisation. Ce n’est pas ce qui est important. Ce qui l’est, c’est ce que devient l’homme quand sa seule préoccupation est de trouver de quoi se nourrir, se couvrir et un lieu pour s’abriter du froid et du danger. Et cette question en filigrane de la lecture : pourquoi faire le choix de continuer à vivre quand le monde est mort ? Aurions-nous la force de continuer comme ce père, prêt à tout pour que son enfant respire encore ? Cette force incroyable d’un survivant face à une nouvelle génération qui n’a pas connu le monde qu’il lui raconte parfois la nuit tombée dans le noir, ou le jour cendreux sur la route, en utilisant des mots qui ont perdu leur sens avec la mort de ce qu’ils décrivaient.

     

    L’homme et son fils font le choix de continuer à vivre en maintenant une certaine éthique. Ils sont les gentils, face aux méchants. Des méchants dont on voit se dessiner les pratiques au fil de la route : sacrifices humains, exécutions sommaires, cannibalisme, esclavage, tortures. En fait des hommes et des femmes qui choisissent la survie immédiate, individuelle à la possibilité de la survie en groupe, seule susceptible de permettre une véritable renaissance de l’humanité. Oubliant toute solidarité et prêts à tout pour satisfaire leurs besoins et leurs envie, même au pire.

    Bien sûr il y a de scènes à la limite de l’insoutenable dans ce roman. Mais le plus terrifiant n’est pas la violence qui amène à cet insoutenable, Le plus terrifiant est de constater que la civilisation, le vivre ensemble, la culture, rien ne tient face à la nature humaine, et que la frontière est tenue entre le prédateur et l’homme. Et on se demande au fil de la lecture pourquoi on n’abandonne pas, pourquoi on continue malgré ce nœud au ventre, cette douleur de suivre le cheminement de ces deux êtres perdus. Mais on ne peut pas les laisser seuls. La volonté de savoir ce qu’il advient d’eux est finalement la plus forte.

    Ceci dit, je me demande maintenant, a posteriori si ce n’était pas plutôt l’envie de savoir s’il n’existait pas, au bout de la route un espoir, un mince espoir pour l’humanité.

    Y-a-t-il la possibilité d’une renaissance ? La route est une sorte d’apocalypse profane. Je n’invente rien en écrivant cela.  Je ne vais pas citer et analyser les références bibliques dont fourmille le récit. D’autres l’ont fait bien mieux que moi. Mais il est vrai que l’on retrouve les motifs bibliques de l’apocalypse dans ce roman. L’enfant et le porteur de flamme, l’espoir, celui qui persiste, envers et contre tous, même son père à croire et à pratiquer une générosité, une entraide qui lui sont naturelles. Et qui porte l’amour aussi, ne serait-ce que celui de son père.

     

    Une lecture qui prend aux tripes.

    L'avis d'Amanda, celui du Bibliomane, de 
    Sylvie qui a son habitude (trèèèèès bonne habitude), donne une multitude de liens plus intéressants les uns que les autres! 

     

     
    Cormac McCarthy, La route, Ed. de l’Oliver, 2008, 245 p.

  • Rab de fraise et chocolat



     Où l'on retrouve Chanda et son amoureux entre Japon et Europe, parties de jambes en l'air et dédicaces.

     

    Après un premier tome que j'avais trouvé sympathique, le hasard a voulu que je mettes la main sur le deuxième. De l'intérêt de fréquenter des bibliothèques ailleurs que chez soi!

    Que dire de ce second tome... Autant le premier était centré sur l'aspect sexuel de la relation de l'héroïne avec son amoureux, autant le deuxième se décentre! Attention, il est toujours question de la bagatelle, aspect central de la relation qui lie nos deux tourtereaux! Mais le temps passant, les questions qui se posent changent. Il y a l'adaptation à la vie au Japon, la jalousie contre celles qui trouvent le beau dessinateur fort à leur goût et profitent des dédicaces pour flirter avec lui au grand dam de Chenda. Il y a l'angoisse que vingt ans de différence n'ait raison de leur amour, la peur de l'avenir.

    Le résultat donne un album plus tendre à défaut d'être plus calme! Avec toujours ce regard plein d'humour sur l'amour et le sexe, sans vulgarité aucune, ce qui est tout de même un challenge...

    Aurélia Aurita, Fraise et chocolat vol. 2

     

  • Des étoiles plein la cuisine




    Un jour de trop dans le monde sans pitié de la grande cuisine et Gaspard Coimbra, trois étoiles, le titre de meilleur chef du monde dans la poche plaque tout pour se retrouver en bout de course au cœur de la garrigue provençale. Une occasion de recommencer à vivre, et de rencontrer, enfin, le grand amour.

     

    Etoile est une jolie nouvelle. On suit avec attention la trajectoire de cet homme qui a perdu le sens de sa vie et de sa cuisine en trouvant la gloire, en épousant une femme riche et splendide et en cuisinant pour les plus grands et les plus riches. On le regarde sombrer avec inquiétude, et remonter la pente avec plaisir. Avec un plaisir d’autant plus grand et gourmand qu’en réapprenant à vivre, Gaspard retrouve le bonheur de cuisiner ! Dans la lumière et les odeurs foisonnantes de la Provence commence alors un ballet étourdissant de fruits, de légumes, d’herbes aromatiques et d’ingrédient sublimés en toute simplicité par un homme amoureux. Alors bien sûr, il y a les clichés de la chute et du renouveau au cœur de la nature, du coup de foudre, de l’huile d’olive et de la lavande. Mais ça se lit sans faim, comme on grignote une gourmandise, en terminant par le joli carnet d’aquarelle à la fin.

     

    Merci à Stéphanie pour ce prêt !

     

     

    Simonetta Greggio, Etoiles, Flammarion, 2006, 143 p.

  • Souffle la bise et le vent de la révolte




    L’hiver frappe à la porte, et cette chère Marie doit vite, vite, préparer la maisonnée aux longs mois de froid et de vent. Pendant qu’elle s’active, son mari lui serine des ordres. Jusqu’au moment où…

     

    J’aime ces albums sur le mode de la ritournelle ! Je marche comme un petit, entraînée par le rythme des mots et des images et surprises par une chute que je salue en général d’un éclat de rire ! Vite, vite chère Marie n’a pas fait exception à la règle !

    Sur chaque page de l’album, le lecteur va suivre Marie dans toutes ses activités : cueillir les pommes, faire les cornichons, couper les bûchettes, arracher les navets, écosser les petits pois, touiller la mélasse, faire cailler le fromage, battre le beurre, fumer les jambons… Avec cette énumération, vous vous doutez bien que Marie n’est pas une cinquantenaire urbaine ! Non, Marie vit dans une ferme, à une époque que l’on situe à la fin des années cinquante sans doute ! Et comme toute fermière, elle travaille dure. On la suit à l’extérieur de sa maison et dans toutes les pièces de sa maison ! On découvre d’illustrations en illustrations une multitude de jolis détails ! Et on sent le vent, le froid qui arrive, le silence ouaté, troublé par le cri des oies qui migrent et les activités de Marie !

    Surtout, on entend cette voix masculine qui ordonne à une Marie de plus en plus échevelée de faire-ci et faire ça ! Et on trouve qu’elle a une patience d’ange cette Marie ! On se demande à quel moment elle va se révolter contre cette petite voix qu’on imagine aisément aigrelette !

    Une chose est certaine, la chute est très drôle !

    Un bel album qui montre que l’on n’est pas obligé d’obéir toujours et qui permet de réfléchir sur ce qu’est le couple et sur le statut de la femme !

     

    N. M. Bodecker, E. Blegvad, Vite, vite, chère Marie!, Autrement jeunesse, 2000.

  • L'art de la joie




    Modesta naît le premier janvier 1900 dans un petit village de Sicile. Enfant d’une mère pauvre, seule et frustre, rien ne la destine à devenir une princesse. Ni la femme instruite, libre, indépendante et farouche qui va peu à peu s’affirmer.

     

    A lire ce court résumé, on aurait presque l’impression de se trouver devant un conte de fée. Ou comment la jeune fille méritante rencontre le prince charmant qui l’arrache à sa pauvre masure. Mais Modesta n’est certainement pas une jeune fille méritante. Ou plutôt une jeune fille soumise à son destin, docile et attendant un époux pour quitter un état de dépendance pour un autre. C’est un personnage riche, dense, qui va traverser les pires années de 20e siècle avec une force de vie profonde.

     

    Dès son enfance, son adolescence, Modesta affirme un caractère hors du commun, seul capable de lui permettre de résister au pire. Car dès le départ le pire lui est promis malgré son intelligence vive, sa sensualité déjà vivante : fille d’une pauvresse et de père inconnu, sœur d’une trisomique quand cela est encore considéré comme une punition de Dieu. Comment s’étonner dès lors qu’elle ne recule devant rien pour gagner sa liberté ?

    C’est cette liberté qui est finalement le thème et le personnage principal de ce roman fleuve de 800 p. La conquête quotidienne de la liberté contre les autres, et surtout contre soi.

    « En un éclair, je compris ce qu’était ce qu’on appelle le destin : une volonté inconsciente de poursuivre ce que pendant des années on nous a insinué, imposé, répété être le seul juste chemin à suivre. »

    Pour elle, ce destin aurait du être celui d’une femme pauvre, d’une épouse soumise, d’une mère forcément aimante, ou d’une religieuse. Tout ce vers quoi la renvoyaient les hommes, certes, mais surtout les femmes, le rempart le plus sûr du conformisme social, les bourreaux les plus convaincus de leurs propres soeurs.

     

    Ce n’est pas le seul conformisme, contre lequel se bat Modesta. On peut dire de ce personnage qu’il est la quintessence des convictions de Goliarda Sapienza : petite-fille de syndicalistes, née d’un père chef de fil du socialisme sicilien et d’une mère première femme à diriger la Chambre du travail de Turin.

    Autour de Modesta/Liberté gravitent une galerie de personnages qui représentent tous un état de la société, ou un idéal. De Tuzzu le paysan à Carlo le médecin communiste en passant par Nina l’anarchiste et Joyce l’intellectuelle, on voit se dessiner en filigrane du récit des modes de vie opposés, des idéaux et des idéologies que la jeune femme va apprendre à connaître, accepter ou fuir, en tout cas toujours critiquer avec une lucidité parfois douloureuse.

    « Mais l’amour n’est pas absolu et pas davantage éternel, et il n’y a pas seulement de l’amour entre un homme et une femme, éventuellement consacré. On peut aimer un homme, une femme, un arbre, et peut-être même un âne, comme le dit Shakespeare. Le mal réside dans les mots que la tradition a voulu absolus, dans les significations dénaturées que les mots continuent à revêtir. Le Mot amour mentait, exactement comme le mot mort. Beaucoup de mots mentaient. Ils mentaient presque tous. Voilà ce que je devais faire : étudier les mots exactement comme on étudie las plantes, les animaux… Et puis, les nettoyer de la moisissure, les délivrer des incrustations des siècles de tradition, en inventer de nouveaux, et surtout écarter pour ne plus m’en servir, ceux que l’usage quotidien emploie avec le plus de fréquence, les plus pourris, comme : sublime, devoir, tradition, abnégation, humilité, âme, pudeur, cœur, héroïsme, sentiment, piété, sacrifice, résignation. »

    Telle va être la règle que Modesta va appliquer tout au long de sa longue vie, quelque soit le prix à payer pour cela.

    « Ne jamais refuser de voir les côtés désagréables de la vie ; quand on ne la connaît pas, la réalité leur fait prendre des proportions gigantesques dans l’imagination, les transformant en cauchemars incontrôlables. »

    A travers ce personnage hors du commun, Goliarda Sapienza aborde bien des thèmes peu usités dont le moindre n’est pas la sexualité féminine. Dès son enfance, Modesta est ce démon que combat l’Eglise, cette hystérique traitée par la psychanalyse des débuts. Une femme profondément sensuelle, qui apprend à être à l’écoute de son corps et de ses désirs, que ces désirs la portent vers un homme ou une femme. Goliarda Sapienza analyse ces désirs, analyse la sexualité et la culpabilité dont elle a été empreinte et livre à ses lecteurs des lignes d’une pertinence qui laisse rêveur.

    « La vérité, c’est que quand tu trouves la femme ou l’homme qu’il te faut, alors il faut absolument arriver à s’entendre. Le corps est un instrument délicat, plus qu’une guitare, et plu tu l’étudies et plus tu l’accordes à l’autre, plus le son devient parfait et fort le plaisir. »

    Une pertinence que l’on retrouve quand elle aborde des thèmes comme l’éducation des enfants, la politique, la religion, l’économie même. Une pertinence qu’elle acquiert sans doute en portant le même regard sur tout ses personnages, quelques soient leurs choix et leur sexe. Et en faisant de Modesta un personnage qui réfléchit. Important quand on y pense non ? Cette femme ne se contente pas d’accepter comme parole d’évangile ce qu’on lui dit, ce qu’elle lit. Elle l’analyse au regard de ses propres aspirations, et n’utilise que ce qui lui est utile, refusant toute aliénation et surtout, celle de la pensée et des idéaux. Il lui arrive de se tromper bien sûr, d’adhérer puis de quitter, mais ce n’est finalement qu’une manière de construire un système de pensée cohérent, son système de pensée. Un art de vivre précieux, je dirais même un objectif à atteindre.

     

    Après ce long bavardage sur le fond du roman quid de la forme ? Non, je vais tout de même essayer de l’aborder, même brièvement !

    L’art de la joie et un roman fleuve, dense, débordant de vie, mais parfois confus. La faute à l’usage de la langue que fait Goliarda Sapienza sans doute. Elle n’hésite pas à mêler langue classique et dialectes siciliens ou romains, langage médical et populaire ! Et surtout, elle heurte les temporalités : de longues pages sur un court instant, de longues périodes décrites en quelques lignes. Un moyen de rendre la psyché de Modesta sans doute, mais qui rend de temps en temps difficile la compréhension du récit. J’ai d’ailleurs eu du mal à rentrer dans cette lecture, au point d’avoir manqué de refermer le roman au bout de quelques pages. Je suis heureuse d’avoir persisté. Modesta n’est pas un personnage que l’on oublie facilement. Et elle donne une formidable leçon de vie.

     

     « Le soleil levant m’envahit le cerveau, serein, comme libéré d’un poids d’angoisse qui depuis des mois et des mois me faisait tressaillir à la moindre ombre, au moindre bruit, et un calme jamais éprouvé m’envahit. J’ai envie de sortir, de courir dans ce soleil joyeux qui répète : tu es libre. Douceur de ne plus attendre, de ne plus dépendre d’une autre volonté. Personne ne m’enlèvera plus cette douceur, Mattia. »

     

    « Je n’ai pas tremblé comme je le craignais, et maintenant je sais la raison de ma sérénité devant Pietro mort, devant la maladie de Prando. Ce n’est pas de l’indifférence, un émoussement des sens dû aux années comme je l’avais soupçonné. C’est la pleine possession de mes émotions et la connaissance suprême de chaque instant précieux que la vie nous offre en prime si on a fermeté et courage. »

     

     

     

    L’avis de Sylvie qui donne en prime un grand nombre de liens !

     

     

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