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condition féminine

  • Pierre de patience

     

    Syngué Sabour, la pierre sur laquelle déverser tous ses malheurs, ses douleurs, ses rancoeurs... Jusqu'au jour où elle éclate et où l'on est délivré. Un homme blessé qui ne donne pas signe de vie. Une femme qui ose enfin dire ce que l'épouse soumise qu'elle était n'a jamais exprimé. Un long monologue dans un Afghanistan dévasté par la guerre.

    Syngué Sabour est un livre de femme écrit par un homme. Une contradiction, et pourtant, un roman d'une force rare qui raconte le face à face silencieux, lourd de haine et d'amour qui oppose hommes et femmes dans une société où une femme n'existe qu'en tant qu'épouse et, surtout, en tant qu'épouse soumise et silencieuse.

    Le monologue de cette femme dont nous ne connaîtrons jamais le nom est le cri de désespoir d'une épouse qui se sait perdue si son mari meurt, le cri de haine et de douleur de son âme de femme emprisonnée et déchirée dans des traditions qui l'étouffent. Au départ, il y a le silence, juste les bruits de la vie quotidienne, de la routine qui persiste malgré la guerre, les gestes qui soignent et maintiennent en vie. Une litanie, celle de la prière qui doit sauver: le nom de Dieu répété inlassablement. Et puis peu à peu, les mots viennent, difficilement, brisés par la culpabilité, de plus en plus violents. Et paradoxalement, alors que le style est tout de concision, froid, les mots qu'elle crache enfin n'en ont que plus de force. Les phrases sèches, répétitives traduisent cet enfermement, le passage des jours semblables à ceux qui les ont précédé. Le rien, le vide de ces jours s'égrène au fil de la répétition des gestes quotidiens et des grains de chapelets qui coulent entre les doigts au fur et à mesure de cette prière incessante. De cette économie de mots naît, en filigrane, le portrait de l'Afghanistan en guerre et d'une femme. C'est un roman à la fois très visuel et oral dont l'atmosphère envahit les sens avant que le fond n'envahisse l'esprit.

    Agée de 17 ans, elle a épousé un inconnu parti à la guerre, un homme qu'elle va attendre trois longues années, surveillée par une belle-mère soucieuse de son honneur, un homme qu'elle ne connaîtra jamais vraiment malgré l'intimité partagée. Un homme que la guerre a pris corps et âme. Ce qu'elle raconte quand elle se trouve face au corps de son bourreau, c'est l'espoir de la jeune fille, l'amour étouffée de silence de l'épouse. "Tu ne m'as jamais écoutée, tu ne m'as jamais entendue! Nous ne nous sommes jamais parlé de tout cela."  La connaissance, origine du respect refusée là où elle devrait être loi.

    Ce que raconte Syngé Sabour c'est l'élan brisé des corps. Le mal que fait la religion quand elle devient négation de la chair et de l'origine, quand elle permet à la peur qu'ont les hommes de la force de vie des femmes de s'exprimer en opprimant et en niant. L'exergue du roman, une citation d'Antonin Artaud l'annonce: "Du corps par le corps avec le corps depuis le corps et jusqu'au corps." 

    Concrètement, ce sont les souvenirs de la femme, ce moment où son époux l'a battue parce qu'elle n'avait pas eu le temps de lui dire qu'elle avait ses règles avant qu'il ne la prenne, souillure selon lui et le dogme. Le rejet du sang alors qu'il ne pouvait lui faire l'amour sans être fier du sang qu'il faisait couler à ces moments qui auraient du être ceux du partage et du plaisir, alors qu'il a tué et tué encore.

     "Regarde! C'est toujours mon sang, propre. Entre mes menstrues, et le sang propre, quelle différence? Qu'y a-t-il de répugnant dans ce sang?" Sa main descend près du nez de l'homme. "Tu es né de ce sang! Il est plus propre que ton sang à toi!"

     Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à cette peur qu'expriment toutes les religions en rendant la femme qui saigne impure. Le sang qui est la vie et qui devient la mort parce que les hommes sont incapables de l'accepter. D'ailleurs, très symboliquement, l'homme blessé ne saigne pas. Il est sec, exsangue, un vivant déjà mort. Il est le symbole d'un ordre patriarcal qui étouffe, qui tue et qui assèche par sa soif de dominer le corps des femmes et la puissance qui est le leur: celui de donner la vie.

    "Les hommes comme lui ont peur des putes. Et tu sais pourquoi? Je vais te le dire, ma syngué sabour: en baisant une pute vous ne dominez plus son corps. Vous êtes dans l'échange. Vous lui donnez de l'argent, elle vous donne du plaisir. Et je peux te le dire, souvent c'est elle qui vous domine. C'est elle qui vous baise."

     Pourtant, ce ne sont pas seulement les femmes qui sont aliénées. Les hommes aussi, enfermés dans leur silence, dans une culture où le seul moyen de s'exprimer passe par la violence des armes et du sexe, violence sans laquelle la mort guette. Le beau-père de la femme avec ses histoires, sa sagesse meurt d'être considéré comme fou par sa propre famille. L'adolescent torturé et bègue oscille entre tendresse et violence. "Dès que vous possédez une femme vous devenez aussitôt des monstres." Y-a-t-il alors une issue à ce drame? La pierre de patience peut elle éclater pour qu'enfin il y ait harmonie?

     

    Pas de réponse dans Syngué Sabour, mais un chant magnifique, celui d'une femme blessée.

    La blogosphère en parle: Naina, Cathe, Papillon, Essel, Emmanuelle Caminade,mais aussi les mots superbes d'Assirem, de Meggie-Laure, de Gregory qui l'ont lu pour le Goncourt des lycéens 

     La presse aussi évidemment: une interviewrévélatrice dans le Bibliobs, Télérama, La Croix. Martine Laval de Télérama fait parler Atiq Rahimi ici. Et on trouve une revue de presse sur le site de POL.

    On le voit cette fois-ci:

     

    Le roman est dédié à A. N. Sans doute Nadia Anjuma, poétesse afghane de 25 ans, sans doute morte sous les coups de son mari. On peut lire ses poèmes traduits en anglais ici.
    Presque accessoirement, Atiq Rahimi a obtenu le prix Goncourt 2008 pour ce roman.
    Atiq Rahimi, Syngué Sabour, pierre de patience, POL, 2008, 154 p. 5/5
  • On s'y fera

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    Arezou, 41 ans, iranienne divorcée, maman d'une jeune femme de 19 ans capricieuse, en charge d'une mère tyrannique et de l'agence immobilière familiale. Rien dans sa vie ne semble laisser place à un nouvel amour. Et pourtant. Qui sait ce qui peut arriver au détour d'une visite...

    On s'y fera est avant toute chose l'histoire de l'amour qui va éclore entre une femme qui atteint la quarantaine, et un homme du même âge, jamais marié. Un amour qui naît avec une rencontre agitée, des rendez-vous, des intérêts communs, qui se heurte à l'incompréhension de l'entourage familial et amical, bref, un amour un peu comme tout les autres. Seule différence avec un roman à l'eau de rose occidental, Arezou se heurte non seulement aux écueils habituels, mais en plus aux murs que dresse une société écartelée entre tradition et modernité. C'est avec un choc qu'au détour d'un chapitre, on reprend soudainement conscience que toutes ces femmes sont voilées, que la police des moeurs peut intervenir, que les hommes ont tout pouvoir sur leurs femmes. Dans ce contexte, les réactions exacerbées des femmes qui entourent Arezou à l'annonce de son intention de se remarier prennent sens: pourquoi se remarier quand on est libre, débarrassée de la tutelle d'un homme au mieux aimant ou volage, au pire violent?

    Je ne saurais guère vous dire à quoi je m'attendais, mais j'avoue avoir été un peu déçue. Par les personnages auxquels je ne suis pas parvenue à m'intéresser réellement, au manque de profondeur psychologique dont ils font preuve. Le quadragénaire gentil et bien sous tous rapports, la vieille dame imbuvable, la fille capricieuse et rebelle, l'amie meurtrie par la trahison de son fiancé... La plupart des rebondissements et des événements m'ont paru plutôt téléphonés. En fait, le fond du problème est, je pense, qu'en entendant parler d'une auteure iranienne racontant l'histoire de femmes iraniennes, je me suis attendue, comme d'autres sans doute, à un roman engagé, réaliste, qui me permettrait de mieux connaître l'Iran. Ce n'est pas ce qu'il est, ni ne prétend être. C'est un roman d'amour de bonne facture, une jolie histoire douce-amère qui a le mérite de ne pas aboutir à un happy end convenu. Une lecture agréable mais qui ne me laissera pas de souvenirs impérissables.

    L'avis de Fashion, de Tamara, Brize,...

     

    Et par pitié, messieurs et mesdames lqui rédigez les quatrièmes de voucerture, cessez de mettre Jane Austen à toutes les sauces! Vous ne trompez guère que ceux qui ne l'ont pas encore lue! Arezou n'est pas une infortunée jeune fille à marier manquant de dot il me semble!