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  • Les amandes amères - Laurence Cossé

    Amandes amères.jpgEdith est interprête et traductrice, épouse et mère heureuse, aisée. Fadila, elle est marocaine, âpre et femme de ménage. Quand Edith se rend compte que Fadila ne sait pas lire, elle lui propose de lui apprendre. Sans réellement réaliser qu'elle s'engage sur un chemin qui ne sera pas de tout repos.

    Si je dois reconnaître une qualité au dernier roman de Laurence Cossé, c'est de rappeler que ce qui nous paraît si facile, tellement évident n'est jamais que le fruit d'un apprentissage, d'automatismes tellement bien enracinés qu'ils semblent naturels. La manière de relier les lettres, d'agencer les chiffres, de manier des abstractions, autant de choses qui sont profondément culturelles, parfois générationnelles, souvent sociales et qui mettent en lumière le fossé entre ceux qui savent manier les mots et les concepts et ceux qui ne le peuvent pas faute d'avoir appris suffisamment tôt. C'est le cas de Fadila, et d'autres.

    Les amandes amères est une histoire forte, grâce à Fadila, tour à tour crispante, admirable, attendrissante, exaspérante, dont on découvre au gré des découvertes d'Edith la vie peu commune. Un beau personnage qui n'a pas suffit à mon grand regret à faire pour moi de ce roman autre chose qu'un pensum heureusement vite terminé. Quelque chose n'a pas fonctionné: le personnage d'Edith, leur amitié, les interminables considérations techniques, le style, la fin au goût de déjà lu baclé de surcroît. L'ennui m'a gagné quand j'aurais aimé être emportée par l'émotion comme avec Au bon roman. A mon sens, mieux vaut lire sur le thème le superbe B.a.-B.a. de Bertrand Guillot.

     

    Cathulu a aimé, comme Antigone, des avis sur Lecture/Ecriture. Hydromielle n'a pas aimé.

    Cossé, Laurence, Les amandes amères, Gallimard, 2011, 218 p.

  • Scintillation - John Burnside

    Scintillation.jpegSur une presqu'île, une ancienne usine chimique, une forêt empoisonnée, une ville où les gens meurent à petit feu et où des adolescents disparaissent sans que personne n'interroge la version officielle. Sauf Léonard, quinze ans qui n'y croit pas et dont l'existence partagée entre baise et littérature va prendre un tournant radical.

    Difficile de résister à Cryssilda quand elle se met à claironner sur tous les toits qu'elle aime John Burnside d'amour. Alors quand en plus Cuné parle d'un roman "totalement envoûtant"... et bien il ne reste plus qu'à céder.

    Sans aucun regret d'ailleurs vu la force de ce texte, sa noirceur sans concession, son humour glaçant. C'est que l'Intraville est un endroit empoisonné, une terre morte sur laquelle des hommes et des femmes agonisent à petit feu, abrutis par la télévision et ces maladies étranges qui se déclarent parmi la population, maintenus sous la coupe de ceux de l'Extraville, les riches, les puissants dont l'intérêt n'est certes pas que les choses changent. Pourtant ce n'est pas l'intelligence qui manque dans l'Intraville. Il y a Léonard par exemple, et les autres, chacun à leur manière. Mais il faut de la force pour en pas sombrer dans la violence ou la déraison, ne pas vivre comme un fantôme ou disparaître sans laisser de traces.

    Roman politique, Scintillation l'est à sa manière quand il parle des relations de domination, de la corruption, de la nature empoisonnée au sein de laquelle prolifèrent des monstres.L'Intraville est un de ces mouroirs dont on entend parfois parler au gré des scandales écologiques qui émaillent l'actualité: un monde pourri où l'exaltation du progrès a été remplacée par la pauvreté, la déliquescence, la violence ou l'abrutissement si tant est que l'un ne suive pas l'autre de près. On voit des adultes qui ont depuis longtemps perdu leur âme, la petite flamme qui les animait jeunes. On voit des adolescents qui tentent de vivre le plus intensément possible puisque le destin de ceux de l'Intraville est de mourir jeune. C'est poisseux, dérangeant, désespérant, et pourtant par moment d'une grande beauté, comme l'usine abandonnée, comme la nature telle que la voit et la décrit Léonard, drôle et amer à l'image du regard que porte Léonard sur le monde qui l'entoure.

    Scintillation, ce sont aussi des pages merveilleuses sur les livres. Un pas de côté qui petit à petit brouille les frontière entre le réel et un monde dont on ne sait pas s'il est celui de la folie, de la drogue ou autre chose dans quoi se perd Léonard. Un beau personnage d'ailleurs, magnifique adolescent en révolte, bouillonnant des possibles d'un avenir qui lui est refusé et prêt à tout pour vivre, se sortir de ce marasme, lutter contre l'inéluctable puisque l'occasion lui en est donnée.

    Bref, incontestablement une de mes plus belles lectures de l'année.

    Sylvie a aimé, Clara aussi,...

    Burnside, John, Scintillation, Métailié, 2011, 283p.

  • Quelle époque! - Anthony Trollope

    Quelle époqie!.jpgLondres, années 1870. Lady Carbury espère percer dans le monde littéraire. Son objectif, subvenir aux besoins de son fils, Felix, qui a déjà dilapidé son héritage. Si par le plus grand des hasards elle parvenait à le marier à une riche héritière, son bonheur serait parfait. Une héritière comme Marie Melmotte, fille de ce mystérieux homme d'affaire devenu en quelques mois la coqueluche de Londres malgré sa réputation sulfureuse. Et si seulement sa fille Hetta acceptait d'épouser sir Roger Carbury son cousin, c'est ni plus ni moins la félicité qui serait atteinte.

    Mais Hetta n'aime pas Roger, en tout cas, pas de cet amour-là. Elle aime Paul. Paul qui est en affaire avec Melmotte. Melmotte qui soutient un projet titanesque, vaste toile d'araignée qui prend petit à petit au piège l'aristocratie anglaise dont Felix qui souhaite épouser Marie, qui doit épouser un beau parti...

    Considéré comme le chef d'oeuvre d'Anthony Trollope, Quelle époque! est aussi sans aucun conteste un énorme pavé. Pavé au sens propre, et pavé dans la mare. Sur un millier de pages (oui, le poche fait 821 pages. Jetez un oeil à la police du texte...), Trollope déploit une vaste satire sociale où les faux-semblants, l'escroquerie, le mensonge et la cupidité règnent en maîtres. Autant dire qu'il n'épargne personne, et surtout pas les quelques personnages qui pourraient attirer la sympathie. Prenons Sir Felix Carbury par exemple. Difficile de faire plus antipathique que ce nobliot égoïste, lache, et menteur dont les vices sont encouragés par une société sont les rouages et les règles sont absolument vides de sens. Tout le contraire de son vertueux cousin Roger Carbury, honnête, incapable de mentir, soutien d'une famille dont il ressent comme autant de blessures les compromissions. Et empli comme une outre de ses certitudes morales issues d'un autre temps incapable de la moindre réelle tolérance. Lady Carbury est une insupportable bonne mère et une horrible bonne femme aveuglée par l'ambition. Marie Melmotte est une jeune cruche qui se révélera la digne fille de son père fort heureusement pour son salut. Hetta est amoureuse, ce qui résume la situation. Paul Montague un idiot emberlificoté dans des affaires amoureuses et financières qui le dépassent.

    Le tableau est le même pour tous les personnages, ce qui donne une galerie légèrement désespérante mais profondément humaine puisque du plus profond amour maternel à l'égoïsme le plus crasse en passant par l'ambition, le désespoir, la passion amoureuse, Trollope passe en revue l'ensemble de la gamme des sentiments tout en décryptant le fonctionnement vicié d'une société dont les valeurs sont devenues celles de l'argent et de la réussite mais qui ne pouvait plus avancer sans dépasser le monde ancien des petits et grands propriétaires ruraux.

    Le tout donne un roman fleuve qui offre à la fois des résonances résolument contemporaines et un portrait de l'Angleterre de la fin du 19e siècle percutant, une ironie d'une rare violence et des histoires d'amour et haine dépeintes avec sensibilité. Certes on aimerait parfois que Trollope avance un peu plus vite, mais les fils qu'il tire, la complexité de son récit, sa richesse et l'humour dont en dépit de tout il fait preuve, font de Quelle époque! un roman absolument passionnant.

    C'est une lecture en commun avec Choupynette qui a eu le courage de s'attaquer au monstre en VO. Moi, je vais aller jeter un oeil ou deux, voire trois sur l'adaptation BBC.

    Trollope, Anthony, Quelle époque!, J'ai Lu, 821p., 2011