Precious Jones, 16 ans, illettrée, enceinte pour la seconde fois des œuvres de son père, brimée par sa mère, une vie d’ors et déjà brisée. Mais c’est sans compter avec l’espoir et les rencontres qui parfois permettent de changer les choses.
Bien, vous qui ouvrez ce livre, laissez derrière vous tout espoir. Du moins au départ. Parce que Push est une grande claque, sans aucun doute plus violente que celle que vous pourrez prendre en allant voir le Precious de Lee Daniels qui en est tiré.
Sapphire, l’auteur, est une auteur et poète de Harlem qui n’a pas hésité à écrire son récit dans la langue parlée par son héroïne : un anglais malmené, contourné, détourné magnifiquement rendu par le traducteur dont il faut au passage saluer le travail. Precious raconte avec ses mots, avec ses expressions l’horreur de sa vie quotidienne, des abus sexuels perpétrés par son père comme sa mère, les coups, la violence des insultes, les moqueries qu’elle essuie parce qu’elle est grosse, l’incompréhension et l’indifférence, la rage et la douleur, la volonté de s’en sortir malgré l’angoisse et l’envie, parfois, d’arrêter de respirer. On sort lessivé de cette expérience de lecture qui torture la langue et qui noue le ventre. Precious n’épargne rien de sa vie mais sans jamais tomber dans le pathos, le misérabilisme ou la dénonciation teintée de voyeurisme des dégâts causés par la pauvreté et l’ignorance. Elle raconte tout sans édulcorer, de sa descentes aux enfers à sa lente remontée vers une vie meilleure.
Parce qu’il y a toujours l’espoir rendu possible par les rencontres de hasard, par la chance qui s’offre, parfois, de commencer, ou recommencer à vivre. Cette chance, Precious la rencontre avec une école parallèle qui va lui permettre d’apprendre à lire et à écrire, à s’ouvrir au monde et à la possibilité de changer sa vie et celle de ses enfants malgré le sort qui s’acharne. Là, elle va petit à petit s'accepter, accepter son histoire et se donner un avenir, se choisir une famille, et découvrir qu'elle n'est pas si seule qu'elle le croyait. Elle va apprendre à exprimer ce qu'elle pense et sent à travers son journal et surtout, la poésie et des textes qui la touchent et lui parlent: Alice Walker, Langston Hughes... Ce que l'on devine à travers son récit, le journal de sa classe de la vie de ses camarades de classe dresse un tableau terrifiant et bouleversant de la condition féminine dans les ghettos, des lacunes et contradictions de l'aide sociale, de l'indifférence de ceux qui vivent en dehors de l'univers de ces pauvres. De quoi réflechir sur les chances que vous donne la vie.
C’est un roman incroyable, authentique, dur, mais aussi attachant. Un de ces textes essentiels qui racontent une vie, et touchent ce faisant à l'universel. Incontournable à mon avis.
Un avis chez Innsmouth,
Que dire du film... A sa manière, il est aussi un choc. J'en suis sortie l'estomac noué et sans voix. Sans condescendance, avec justesse, Lee Daneils a adapté le roman de Sapphire, lui rendant un hommage juste et parvenant à traduire ce qui fait la force du texte sans aucun voyeurisme. Bien sûr, certains choix, comme de se focaliser sur les rêves de Precious aux pires moments peuvent par moment sembler un peu artificiels, mais ils évitent de sombrer dans le sordide et de rendre le film totalemement insupportable. Ceci dit, le réalisateur épargne ainsi au spectateur ce que la romancière n'épargne pas à son lecteur. La crûdité de certaines scènes dans le roman est rare. Quand au jeu des acteurs, il est impeccable pour la plupart d'entre eux. Precious est superbe, sa mère glaçante. Dommage que la critique du système social qui transparaît dans le texte soit édulcoré dans le film: il n'est jamais question du rôle de l'école et de ses failles, et le personnage de l'assistante sociale est un peu trop idyllique même si cela a aussi le mérite de montrer que le rôle des travailleurs sociaux est loin d'être facile. Bref, un film qui présente quelques défauts, mais qui a le mérite de remettre sur le devant de la scène l'histoire de Precious même s'il ne peut pas rivaliser avec lui en terme de force.
Sapphire, Push, Seuil, 1998, 202 p., 4/5
Commentaires
j'ai adoré le livre: magnifique et étonnant! Par contre le film me tente moins bizarrement.
Argh, je comptais le voir mais j'ai laissé passer le temps, et maintenant je suis moins motivée. Mais je retiens le roman, alors, puisque c'est incontournable et malgré tout plus fort que le film...
Je vais me laisser tenter par ce livre, ton billet m'a convaincue!
Vendu! :) Le livre, hein. Le film sûrement mais le livre me fait très très très envie.
@ Béné: si j'avais vu le film après avoir lu le roman, j'aurais été atrocement déçue je crois!
@ Erzébeth: le roman est hallucinant! J'ai adoré et rétrospectivement, j'ai été déçue par le film alors que j'en étais sortie convaincue! Je sais, je suis bizarre!
@ Mirontaine: j'en suis heureuse!
@ Ofelia: les deux donc, mon capitaine! :-)
Je crois que je lirais bien le bouquin ! J'ai raté le film au ciné !
J'aime beaucoup quand une histoire part mal, même très mal, mais que l'espoir est là et se concrétise.
mouais, je ne sais pas... tu le vends très bien mais j'ai peur qu'il me plonge dans des abîmes de désespoir... je passe.
@ Celsmoon: il vaut vraiment la lecture, c'est un sacré coup de poing, un roman intelligent et d'une force rare!
@ Ankya: c'est le cas dans celui-ci, et heureusement parce que le fond est vraiment atroce!
@ Juliette: c'est un roman qui est malgré tout empreint d'espoir et de volonté de vivre. J'ai beaucoup aimé ce texte alors que les récits de vie ne m'intéressent pas du tout!
j'ai lu ce livre il y a bien longtemps. C'était une époque où je lisais des livres durs comme celui-ci. Depuis, je me suis ramollie...
@ Anjelica: je dois dire que je ne lirais pas un récit comme celui-ci tous les jours, mais c'est une belle découverte!