Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

sturgeon

  • Cristal qui songe

     

    Pour Horty, 8 ans, le monde bascule définitivement le jour où il est renvoyé de l'école pour avoir mangé des fourmis. Battu par des parents adoptifs qui ne l'avaient adoptés que pour préserver leur statut social, il prend la fuite après une scène particulièrement brutale avec son seul jouet, un diable à ressort aux étranges yeux de cristal. Il trouve refuge auprès d'un étrange groupe de forains: Zena, la naine, Solum, Gogol... Des freaks dirigés par le féroce Pierre Ganneval, dit le cannibal. Mais Horty est loin d'être hors de danger: les événements mystérieux se multiplient, le secret de son existence est soigneusement maintenu par Zena, qui l'a déguisé en jeune fille naine, d'étranges cristaux gémissent la nuit... Jusqu'au jour où l'affrontement avec Le Cannibal et les fantômes du passé devient inévitable.

    Pour ceux qui en doutaient encore, voilà la preuve par A+B que la science-fiction est le genre littéraire le plus intelligent qui soit. Pas moins. Et on ne proteste pas.

    Théodore Sturgeon donc. A ma grande honte, un immense auteur que je n'avais pas encore lu, un classique des classiques qui m'avait échappé. Erreur réparée à ma grande joie (pfiou, c'est fou les extrêmes par lesquels je passe. Epuisant). Car c'eût été un crime de passer à côté de ce petit bijou à la qualité d'écriture indéniable et au contenu des plus enthousiasmants.

    Dans ce court roman, tout tourne autour de mystérieux cristaux: des êtres vivants, radicalement différents de l'humain, qui créent par leurs rêves, des copies de ce qui les entoure, copies plus ou moins fidèles, plus ou moins déformées, et parfois vivantes. Une altérité fascinante et superbe dont Le Cannibal comprend vite l'utilité pour ses projets de vengeance: cet ancien médecin, fou et sociopathe veut plus que tout nuire à l'humanité, voire la détruire. En apprenant à contrôler les cristaux par la souffrance qu'il leur inflige, il reproduit virus, bactéries, animaux venimeux et freaks qu'il contrôle par le biais du cristal qui leur a donné naissance. Mais pour pouvoir utiliser les cristaux entièrement, il lui faut un être intermédiaire, créé par les cristaux et capable de communiquer réellement avec eux. Cet être il le cherche depuis des années pour en faire son esclave. Charmant personnage.

    En partant de ce principe de création, Théodore Sturgeon invite son lecteur à une réflexion sur l'humain et l'altérité en brouillant les pistes. Au fur et à mesure que les pages défilent, on sait de moins en moins qui est humain, qui est copie. Zena est-elle une création des cristaux ou une humaine à la croissance arrêtée? Solum et Gogol et les autres membres du cirque sont-ils le fruit de mutations, ou des copies ratées d'être vivants? Pierre Gannival est-il vraiment humain? Et que dire d'Horty? On se rend compte petit à petit des étrangetés de l'enfant. Dix années passées dans un crique sans qu'il grandisse, des blessures qui guérissent étrangement, et ce secret qui l'entoure. Ses particularités se dévoilent au gré d'indices et de révélations qui tiennent en haleine. Il faut attendre pour comprendre et prendre la pleine mesure du questionnement de Sturgeon sur l'humanité et le mal. 

    Regardons d'un peu plus près les personnages. Pierre Gannival, homme sans scrupules confit dans l'aigreur et la haine, qui méprise ses semblables et prend plaisir à la souffrance d'autrui.  Armand Bluett, le père adoptif cruel, lâche et peureux, qui s'emploie à détruire systématiquement l'enfant sous sa garde, qui harcèle et trompe, qui corrompt son devoir de juge. Un tortionnaire à la petite semaine. Ils sont le principe de destruction face à Horty, dont on comprend vite qu'il est plus qu'humain, ou en tout cas plus tout à fait humain, face à Zena qui lutte et se sacrifie pour empêcher Gannival de faire le mal, face à Kay qui paie pour sa beauté, face aux freaks maintenus dans une sorte d'esclavage. Mais qu'est-ce que c'est être humain: voir la beauté du monde et la préserver? faire la différence entre le bien et le mal? être capable de se sacrifier par amour? être capable d'accepter celui qui est différent? Ou aller à l'encontre de tout cela par peur ou colère? Aucune réponse n'est apportée par Sturgeon. Aucun de ses personnages n'est ce qu'il semble être. Certaines créatures des cristaux luttent pour le bien, d'autres pour le mal et il en va de même pour les humains. Au final, Sturgeon constate juste quelle souffrance est provoquée par l'indifférence ou le rejet et combien les hommes sont prompts à exploiter leurs semblables.

    Vous me direz qu'il n'y a rien de révolutionnaire. Certes. Mais Sturgeon explore les multiples aspects de cette réflexion sur l'humain avec une histoire passionnante qui ne sombre jamais dans la facilité ou la démonstration et une manière superbe de nous parler des émotions, des sentiments et des ressorts des réactions humaine. On voyage en frissonnant, en rêvant, en s'enthousiasmant ou en s'indignant. Horty, Zena et les autres deviennent des compagnons de route, des personnages de ceux dont on sait qu'on ne les oubliera pas de sitôt.

     En chinant sur le net, j'ai découvert cette citation extraite d'une oeuvre de Sturgeon, La peur est une affaire:

    "Votre malédiction est de vous sentir rejetés. De là naît la colère, et la colère engendre le crime, et le crime engendre la culpabilité; et tous vos coupables rejettent les innocents et détruisent leur innocence."

    A méditer.

     Mes imaginaires en parle, Rose aussi. Nebalparle de Sturgeon et de son oeuvre.

    Sturgeon, Théodore, Cristal qui songe, J'ai lu, 2004, 5/5