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laurent gaudé

  • Dans la nuit Mozambique

    Devant participer à une rencontre-dédicace-lecture de Laurent Gaudé par un froid samedi soir d'hiver, j'ai ouvert par le jeu du hasard des étagères de bibliothèque publique son recueil de nouvelles, Dans la nuit Mozambique. Autant le dire, je bénis et le libraire et le hasard qui m'ont fait rouvrir les oeuvres d'un romancier que j'avais abandonné après son Eldorado, ce qui m'aurait fait passer à côté d'une petite pépite.

    Quatre nouvelles donc:

    - Sang négrier, ou le destin étrange d'un négrier qui erre dans les rues de Saint-Malo, rendu fou par la malédiction lancé il y a bien longtemps par un esclave échappé de son navire.

    - Gramercy Park Holet, ou les souvenirs d'un vieil homme qui revivent dans le hall d'un hôtel new-yorkais, souvenirs d'un amour mort, de la bohème et d'une vie si intense qu'il a falllu en effacer la trace pour pouvoir continuer à vivre.

    - Le colonel Barbaque, ou la trajectoire sanglante d'un poilu parti à la dérive sur le continent africain faute de parvenir à revenir à la vie.

    - Dans la nuit Mozambique, ou l'amitié qui lit quatre hommes à travers les histoires partagées.

    Quand Laurent Gaudé ne parle pas de l'Italie, il parle de l'Afrique. Un continent dont il parvient à faire vivre les odeurs, les couleurs, la vitalité insolente qui l'habite, la violence. L'Afrique comme un retour aux sources de la vie et  à son pendant, la mort. La mort accueillie et ardemment attendue, la mort crainte et rejetée, la mort subie d'un être cher, la mort inexplicable et subite qui parfois frappe. La mort qui n'est que la traduction ultime de la violence intrinsèque de l'être humain. Le mystère auquel chacun est confronté un jour et auquel chacun répond à sa manière, par la froide raison, par la magie, par la révolte ou l'acceptation.

    Finalement, la question qui se pose est celle de savoir ce qu'il reste après que la mort soit passée. Une question à laquelle la dernière des nouvelles répond de belle manière: "Le souvenir de toutes ces conversations était là, sur ces papiers salis. Une forme de sérénité l'envahit. Oui. C'était bien. Ils avaient été cela. Quatre hommes qui parlaient, quatre hommes qui se retrouvaient parfois, avec amitié, pour se raconter des histoires. Quatre hommes qui laissaient sur les nappes de petites traces de vie. Et rien de plus."

    Rien de plus que le souvenir, qui fait de nous ce que nous sommes. Bourreaux ou survivants, dépositaire de la violence de toute manière. Rendus fous, ou plus lucides par la mémoire de ce qui fut.

    Car c'est de violence dont il est aussi question: on croise au détour des pages une chasse à l'homme dans laquelle tous les plus bas instincts se donnent libre court, les tranchées de la Première guerre mondiale, une lutte sans espoir contre le colonialisme, un couple déchiré par l'amour et la folie, un meurtre...  La violence jusque dans l'amour et l'amitié.

     Des thèmes universels donc, servis par une plume dont le moindre des talents n'est pas de faire vivre personnages et décors avec une rare intensité. Dans la nuit Mozambique fut pour moi une lecture intense dont la petite musique me trottera encore longtemps en tête.

    Le Bibliomane nous offre un très bel article.

    Laurent Gaudé, Dans la nuit Mozambique, Actes Sud, 2007, 146 p.