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guerre

  • Un Dieu un animal

     

    Un jeune homme a quitté son village pour vivre plus grand et plus fort sous l'uniforme des mercenaires. Il a survécu pour revenir à son point de départ: dévasté, il est condamné à devoir s'adapter à une vie qui ne semble plus vouloir de lui. Quand même l'amour ne permet plus de respirer, que reste-t-il?

     

    Je dois dire que si je n'avais pas croisé Jérôme Ferrari à la remise du prix Landerneau et entendu les troupes chanter les louanges de son roman, je n'aurais sans doute pas eu le commencement du début de la vélléité d'y jeter un oeil. Ce qui aurait été fort dommage. Et en plus ça ne compte pas, il ne fait que 109 pages (on a les excuses qu'on peut).

    109 pages, certes, mais quelles 109 pages! Le sentiment de malaise, d'étouffement présent dès les premières lignes ne fait que s'amplifier au fil des pages. Un dieu un animal est un roman sur la vanité de la fuite, sur le désespoir et le désenchantement. Comme beaucoup, ce héros sans nom a cru pouvoir partir, tout quitter pour vivre autre chose que la vie qu'il était destiné à vivre. Pas qu'il ait grandi parmi de mauvaises gens: ses parents sont adorables, les voisins pas méchants. Mais voilà, parfois, l'horizon est tellement attirant et les frontières du monde connu tellement et trop proches. Sauf que tout ce qu'il reste au bout du chemin est la désillusion, la connaissance atroce du fait que partir ne résout rien et ne permet finalement pas grand chose de plus que le détachement.

    "Bien sûr les choses tournent mal, pourtant, tu serais parti et quand l'étreinte du monde serait devenue trop puissante, tu serais rentré chez toi. Mais ça ne s'est pas passé comme ça, car les choses tournent mal à leur manière mystérieuse et cruelle de choses et font se briser contre elles toutes les illusions de lucidité. Tu es parti, le monde ne t'a pas étreintet, quand tu es rentré, il n'y avait plus de chez toi. Il y avait tes parents, ta maison et ton village, mais ce n'était miraculeusement plus chez toi."

     Il y a l'espoir tout de même, celui permit par l'amour: Magali, l'amour d'adolescence, la jeune femme retrouvée. Un autre désespoir malgré l'apparence de la réussite. Magali est une jeune femme brillante, jolie, l'image de la chasseuse de tête performante, dévouée à son entreprise. Un masque qui voile mal un sentiment d'oppression, les doutes, et le mépris ressenti envers soi-même de douter quand tout semble aller pour le mieux.

    " Elle considère sa vie avec un mélange d'agaçement et de perplexité qui la paralyse. Elle est incapable de se réjouir. Elle est incapable de se plaindre. Quand elle est tentée de le faire, des faits incontestables, sa parfaite santé, sa fiche de paie, sa jeunesse, son appartement si joliment décoré, l'amour de son père l'en dissuadent et l'empêchent de croire à la réalité de sa propre détresse. Le monde n'a rien à offrir contre quoi elle pourrait désirer sérieusement d'échanger tout cela."

     Au centre de leur vie à tous les deux, une angoisse que rien, ni famille, ni amis, ni amour ne peut dissoudre, angoisse parfaitement transcrite et rendue par le style sec de l'auteur, l'usage de la deuxième personne du singulier, comme si le jeune homme s'adressait à lui-même, dans un éclat de lucidité douloureuse et mortelle. Les fils se tissent petit à petit entre souvenirs et présent, dans une introspection que vient entrecouper mais certainement pas alléger le "elle" de Magali, enfant perdue aussi à sa manière. Violence de l'univers du travail et d'une société dont on ne sait guère ce qu'elle attend de ses enfants, violence de la guerre sous le soleil du désert, deux horreurs s'affrontent, aussi incompréhensibles l'une que l'autre. On ne respire pas, on encaisse jusqu'au bout ce récit particulièrement fort et dense de la chute de deux être humains dans l'enfer de la solitude et de la violence. C'est tout simplement magistral.

     L'avis de Lily, Papillon, Fashion, Cathulu, Caro[line], Pascal, Yv, ... 

    Jérôme Ferrari a reçu le prix Landerneau 2009.

     

    Jérôme Ferrari, Un dieu un animal, Actes Sud, 20098, 5/5

     

  • Traîtrises

     

    « C’était ça. C’était comme ça. Jack a dit que c’était tout.       Qu’avant de lui en vouloir, il fallait attendre de savoir. Que c’était son père. Que c’était mon ami. Et que c’était un traître aussi. »
     
    Tyrone Meehan est un héros. Il est aussi un traître. Pourquoi, comment, sont les questions que va se poser Antoine le luthier français, perdu dans un conflit qu’il voudrait sien et qui ne peut l’être.
     
    Mon traître est un roman qui me laisse un sentiment mitigé. Mitigé parce que j’ai par certains aspects absolument adoré, et par d’autres, été profondément agacée.
    Commençons par le commencement. Le thème d’abord : l’Irlande du Nord des années 970 à nos jours. L’Irlande du Nord avec sa guerre de religion, sa guerre d’argent et de pouvoir. L’Irlande du Nord avec sa tourbe, sa bière et ses gens. La pauvreté et la solidarité. La haine et la foi. L’amour et la souffrance. Le portrait de ce pays déchiré et de ses habitants touche au cœur. Ces femmes en souffrance qui portent l’amour de leurs familles mais aussi le poids de la religion, de l’engagement politique, de la guerre et des morts. Ces hommes pathétiques qui trouvent dans l’engagement politique un exutoire à la misère et la haine de ceux qui le maintiennent dans cette misère, et un espoir aussi, celui de temps où enfin ils seront traités comme des êtres humains. On se souvient en les rencontrant à quel point la ségrégation n’est pas toujours une affaire de couleur de peau, mais que l’argent, et la religion peuvent faire autant de dégâts.
    Et puis il y a le miroir : Chalandon a réellement connu ce traître. Les noms sont modifiés bien sûr, mais Tyrone Meehan a vécu. Et Antoine le naïf, Antoine le perdu a été un peu Sorj Chalandon. A travers ces deux personnages, il y a le questionnement d’un homme sur son engagement, sur l’engagement de l’autre.
    Tyrone Meehan, le héros, le grand l’homme fort. Le traître. Celui dont on ne peut comprendre le geste. Pourquoi a-t-il trahi ? Pour qui ? Qu’est-ce que la trahison ? Quand on trahit, trahit-on une cause seulement ou aussi les hommes autour, sa famille, ceux que l’on aime et qui croyaient en nous ? Les questions, Sorj Chalandon les pose. Et il n’y répond pas ou seulement partiellement. Car la trahison est acte intime. Ce qui y pousse un homme n’appartient qu’à lui : amour, haine, appât du gain, lassitude, goût du risque, acte suicidaire…
    Tout comme l’engagement est acte intime : ce qui pousse Antoine vers l’Irlande et l’IRA, c’est un peu de romantisme, un peu de solitude, un peu de beaucoup de petites choses. Ce qui fait de lui un homme souvent agaçant avec sa vision simpliste des choses, son engagement sans grands risques. A mon grand regret, c’est aussi un homme par qui passent les clichés : guerre propre, musique traditionnelle, bière brune épaisse… Et un certain voyeurisme à mon sens : les gentils catholiques irlandais, les méchants anglais, les chars et les manifestations, la douleur qu’il voit à chaque coin de rue ne peut réellement devenir la sienne. En même temps, il perd beaucoup : il approche l’Irlande, mais il y perd son innocence, sa pureté. Il n’y gagne guère que déception et colère, souffrance et doute. Et le sentiment d’avoir été une bouffée d’air pour ceux qui étaient ses amis.
    Le bémol pour moi : le style qui sans me gêner outre mesure m’a parfois un brin laissée perplexe…

    Sorj Chalandon, Mon traître, Grasset, 2007, 275 p.