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françoise lefèvre

  • De minutes heureuses en minutes heureuses...

     

     

    Tout commence par une belle journée où Françoise Lefèvre se prépare à aller rejoindre le poète André Hardellet qui l’a baptisée un jour « la marchande des minutes heureuses ». Elle est heureuse. Elle ne sait pas encore que son ami est mort et qu’elle va un jour raconter se minutes heureuses. De petites ou grandes tranches de vie, de tristesse et de bonheur. Ces petites joies que l’on tire parfois du monde qui nous entoure sans trop savoir pourquoi.

     

    « Il arrive qu’on hérite d’un regard, d’un geste, d’une phrase, ou même de quelques mots d’amour dits à votre intention, parfois rapportés longtemps après par une tierce personne. Jamais héritage ne me sembla plus fabuleux sous son apparente pauvreté. S’il est vrai que les mots peuvent tuer, comme un talisman, ils vous accompagnent aussi et vous protègent. Les mots sont des compagnons de route infaillibles. Les mots sont des anges gardiens. »

     

    Pour elle, raconter les minutes heureuses qui ont parsemé son existence est une manière de rendre hommage à ces mots que lui a offert son ami. Une manière aussi de montrer que le bonheur n’est jamais acquis, qu’il faut vouloir les minutes heureuses, les chercher,apprendre à les reconnaître pour les chérir et en garder le souvenir.

     Porte ouverte sans doute que de dire qu’il faut plus de volonté pour être heureux que pour être malheureux, mais Françoise Lefèvre se garde bien de donner des leçons. Elle se raconte simplement. Et en le faisant, elle devient la marchande des minutes heureuses. Car la marchande des minutes heureuses est celle qui parvient à donner envie à son lecteur de compter ses petits bonheurs, de s’en souvenir. Cela, Françoise Lefèvre y arrive sans conteste. D’autant qu’elle n’hésite pas à dire à quel point cette manière de vivre est une lutte de tous les instants, un fragile rempart contre la désolation dont le monde nous entoure. Ce sera là d’ailleurs le seul bémol que j’apporterai à ma lecture : parfois, l’auteur s’appesantit trop sur le monde et ses malheurs, comme pour prouver que le monde est désespérant. Il n’en était pas besoin à mon sens. Question de sensibilité sans doute : pour moi, sa plume n’est jamais aussi sensible et touchante que quand elle évoque des moments, des sensations que le lecteur reconnaît : le poids qui serre la poitrine certains matins, l’envie de se rouler en boule, de s’isoler du bruit et de l’agitation, la violence qu’il y a à se plonger dans le monde, mais aussi la magie qu’il y a à donner de l’amour, du rêve, la sensation de l’eau chaude qui ruisselle sur le corps, l’odeur de l’oignon qui rissole, le plaisir de manger les framboises à même l’arbuste, un rire, une étoile qui passe …

    Une belle leçon de vie.

     

    J’aurais envie de vous offrir mille et un passages de ce court recueil, mais voilà sans doute celui qui m’a le plus touchée : « Ne penser qu’à la seconde présente. Ne pas se laisser noyer dans les larmes qui montent. Ne pas se laisser couler vers le fond par ce poids dans la poitrine qui fait le cœur gros. Evacuer les rancoeurs, les regrets. Ne plus songer aux terribles renoncements. Respirer. Bien respirer. Garder la minute heureuse qu’on a toujours su reconnaître comme un diamant au fond de sa poche de tablier. Pétrir avec la pâte les chagrins, les amours, les secrets. Bien pétrir. »

     

    Les avis de Flo, Florinette  qui m’avaient donné envie de lire Consigne des minutes heureuses.

     

    Pour ma part, je propose un petit concours d’été pour celles et ceux qui se sentiraient de prendre la plume : raconter une ou, votre minute heureuse. Des amateurs ?

    En 10 lignes maximum, date de retour des textes le 20 juillet, mise au vote, et… récompense maison au gagnant !!

     

     Françoise Lefèvre, Consigne des minutes heureuses, Ed. du Rocher, 1998, 168 p.

  • La grosse

     

     

    Céline parle trois langues, lit, vit intensément son amitié avec Anatolis son vieux voisin mourant, avec les deux enfants que parfois elle garde. Céline est garde-barrière. Céline attend désespérément son chevalier, ce soldat perdu qui lui a fait un enfant, une nuit d’amour intense. Mais Céline est grosse, grosse de sa solitude, de sa souffrance, de ses amours perdues. Trop grosse et différente pour ceux qui l’entourent et que dérangent sa trop grande liberté.

     

    Avec ce roman touchant, Françoise Lefèvre donne à connaître à ses lecteurs à la fois l’infinie noirceur du monde et l’infini bonté qui peu habiter les être.

    Le destin de cette femme fait l’effet d’un coup dans le ventre. Parce qu’elle est différente, parce qu’elle n’a pas les manières qu’il faut pour se fondre dans la communauté, elle est regardée de travers, détestée, harcelée parfois. Les bonnes gens critiquent son poids, sa manière de vivre, son isolement, ses amitiés. Critiquent le fait qu’elle se contente de ce qu’elle a, de vivre pleinement ce que les jours et la nature lui apportent. De savoir trouver le bonheur dans les petites choses de la vie. Un oiseau qui chante, une ruche, une odeur, le rire d’un enfant…

    « Pensez donc… Quand on n’a pas d’argent, on n’achète pas de lard pour les oiseaux…Non mais !... Et regardez-moi cet air !...Cette robe d’un autre siècle…Ces cheveux longs jusqu’au bas des fesses… Une femme ne sort pas comme ça…En cheveux ! »

    Pourtant, il n’y a pas de quoi la critiquer Céline. Elle essaie de survivre à la perte de son  amour, aux souvenirs de la guerre, à la mort de son enfant. Mais sa souffrance ne suffit pas. On frappe les hommes à terre… Alors les femmes… Et il est tellement facile de piétiner ce qui fait le bonheur des autres, de leur refuser le peu d’amour dont ils ont besoin et qu’ils demandent.

    Pages après pages, les derniers moments de bonheur s’égrènent. La noirceur gagne. La mauvaiseté prend le pas sur l’amour. Bien sûr, il y a quelques raccourcis, quelques facilités, quelques clichés. Mais il est impossible de s’arracher à cette femme.

    C’est une histoire triste que celle de Céline. Une histoire qui se termine mal. Une histoire racontée avec des phrases courtes, dures, poétiques. Une histoire qui trotte longtemps dans la tête la dernière page tournée.

     

     « Cette joie grave de reine déchue qui se souvient d’un royaume, à moins que ce ne soit d’un amour. A moins qu’après avoir tout perdu, elle ne reste là, au bord de la route avec sa capacité d’aimer encore et toujours. Sans attendre de retour. Aimer jusqu’à l’égrènement des secondes. La pluie fine sur les pavés du jardin. La lumière. Cet engrangement de lumière dans la mémoire qui fait naître la mélancolie. Même cette mélancolie devient source de joie et fait croiser les mains sur la poitrine comme s’il y avait là encore un enfant. Un enfant. Un amour. Le corps astral de l’amour qui vous accompagne, vous enveloppe et danse parfois autour de vous de cette danse invisible pour les autres. Alors oui, même cette mélancolie peut se transformer en joie puisqu’elle est comme une gerbe de foudre et cela s’appelle l’absence. Et l’on sait que l’absence grossit dans la poitrine, fait le cœur énorme et qu’on la porte en plus de son propre poids. Elle est partout, remplit tout. On aime autrement. On aime la chose infiniment petite. On pardonne au ciel trop grand. » 

     Les avis d'AnneFlorinettePraline, Flo.
     

    Françoise Lefèvre, La grosse, Babel, 2000, 108 p.