En 1591, Rikyu maître la cérémonie du thé attaché au gouverneur du pays reçoit l'ordre de se suicider. Son disciple Honkakubo passera le reste de ses jours à se demander ce qui a poussé son maître à obéir sans même demander sa grâce.
Ce qui est certain à la lecture de ce roman deYashushi Inoué, c'est qu'il n'est pas facile d'accès. Sans doute pas le mieux pour s'initier à la littérature japonaise à moins de s'intéresser de très près au thé! L'écriture comme chez beaucoup d'auteurs japonais est sobre, concise. Elle va droit au coeur de ce qui doit être dit sans guère de fioritures, au point parfois de sembler plate et à la limite de l'ennuyeux. C'est du moins ce que j'ai ressenti au départ. D'autant plus que toute intéressée que je sois par la culture et l'histoire japonaise et malgré mes rudiments de connaissances en la matière, je me suis parfois retrouvée un brin perdue dans les histoires d'alliance, de guerre, de gloire et de chutes, d'intrigues!
Et pourtant, pourtant, le charme opère. Comme souvent. Petit à petit, j'ai été conquise par ce moine veillissant encore et toujours fidèle et loyal à son maître et à la voie du thé simple. Cet homme qui s'interroge sur la mort de celui qui l'a guidé. Qui lui parle encore jour après jour. Et qui finit par trouver la réponse à sa question. Le tout servi par un style qui révèle sa finesse. J'ai été gagnée par la sérénité et le calme au fil de ma lecture. Savourant comme les hommes de thé la beauté d'une plante, d'un paysage, d'en simple objet aux lignes harmonieuses.
Et puis on fait connaissance par petites touches avec le Japon médiéval et le monde du thé. Une plante, une feuille au départ, mais finalement un mode de vie, presque une religion, profondément exigeant. Le lien fait entre la cérémonie du thé, la guerre, le zen et la politique est passionnant. En cherchant à connaître les raisons du comportement de Rikyu, et celles de celui qui l'a condamné, Honkakubo va aller loin au coeur de cette discipline, à la fois discipline de vie et de mort. Et loin dans l'analyse des relations sociales et politiques de ce temps. Qui deviennent finalement aussi, voire plus importantes que le destin individuel de maître Rikyu.
On atteint au final , un beau portrait d'hommes, un beau portrait de la voie du thé et un beau portrait du Japon. Malgré un rythme lent parfois difficile pour l'impatiente qu'il m'arrive d'être!
"Ils découvrirent ce qui est le plus important pour l'homme de thé: préparer sereinement le thé, laisser faire le destin et ne pas tenter d'y échapper".
L'avis de Flo
ChallenGe ABC, lettre I
Yasushi Inoué, Le maître de thé, Stock, 1999, 211 p.
Littératures japonaises - Page 3
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Le maître du thé
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Horreur et tremblement
Voilà un ouvrage bien difficile à chroniquer. Non seulement parce qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, mais aussi, et surtout parce qu’il me laisse un sentiment de malaise. Une chose est certaine, l’esprit est totalement différent de celui de La formule préférée du professeur. Au point que s’en est presque effrayant.
Ne sachant guère comment procéder, je vais faire les choses dans l’ordre, et prendre les nouvelles les unes après les autres.
La piscine : Aya-chan a grandit et vit dans l’orphelinat que dirigent ses parents chrétiens. Fasciné par un des pensionnaires qu’elle connaît depuis l’enfance, elle ne parvient pas à extérioriser cet amour, pas plus qu’aucun autre de ses sentiments. Jalouse, malheureuse, elle prend un plaisir pervers à faire souffrir les plus petits.
Cette nouvelle est assez glaçante. Yoko Ogawa fait le portrait d’une adolescente à la dérive, qui ne se sent plus vivre que par le mal qu’elle provoque et qui, pourtant, éprouve le désir d’une pureté qu’elle sait ne pouvoir atteindre. Peut-être même est-elle cruelle parce que le monde qui l’entoure ne peut atteindre cette perfection. Les personnages dépeints le sont au prisme de son regard, et du mépris qu’elle peut ressentir pour leur médiocrité.
Les abeilles : un directeur de résidence universitaire sans bras et unijambiste, des disparitions mystérieuses. Une ambiance horrifique, où l’étrange s’instille petit à petit dans la vie d’une jeune femme. Je suis restée assez perplexe quand à la signification de cette histoire qui mène à la découverte d’une gigantesque ruche… Est-elle la cause des disparitions ? Le symbole d’un monde qui court à l’effondrement sous le poids de sa propre démesure ? Je suis ouverte à toute interprétation…
La grossesse : probablement la nouvelle la plus violente d’un recueil qui n’est pas tendre. Une jeune femme empoisonne sciemment sa sœur enceinte avec des pamplemousses traités avec un produit provoquant des déformations fœtales.
Tous les personnages décrits par Yoko Ogawa ont en commun le sentiment d’irréalité par rapport à ce qui les entoure. Aya vit dans une sorte de monde onirique, l’héroïne de Les abeilles ne parvient pas à s’intéresser à ce qui l’entoure, celle de La grossesse ne parvient pas à considérer l’enfant que porte sa sœur comme autre choses qu’un tas de chromosomes. Deux d’entre elles au moins commettent des actes répréhensibles, voire horribles sans avoir de réelle conscience de la gravité de ce qu’elles font. Aucune en tout cas n’est capable de s’investir dans quoi que ce soit ou de ressentir la moindre empathie avec ceux et ce qui les entoure.
L’écriture détachée, les fins en suspens rajoutent à la tension, au malaise. Je suis vraiment surprise par ce style totalement différent de ce que j’avais pu lire de cet auteur. Et d’autant plus motivé à poursuivre la lecture de ses œuvres !
Yoko Ogawa, La piscine – Les abeilles – La grossesse, Actes Sud, 1998, 195 p.
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Des chiffres et des lettres
Et bien il ne me reste plus qu'à remercier toutes celles, et elles sont nombreuses qui m'ont donné envie de me plonger dans La formule préférée du professeur de Yoko Ogawa.
La narratrice qui élève seule son fils travaille pour une association d'aides-ménagères. C'est ainsi, qu'un beau jour, elle est envoyée travailler chez un vieux professeur de mathématique. Sa particularité? Il se souvient de tout ce qui s'est passé avant l'accident qui l'a privé de sa mémoire en 1975, et des 80 dernières minutes de sa vie. Ainsi, chaque jour tout est à recommencer. Seule constante de son univers, les chiffres auxquels il se raccroche. Pourtant, malgré le handicap, la maladie et les différences d'âge, une relation amicale, puis filiale lorsque le vieil homme recontre le fils de son aide-ménagère, va naître entre ces trois êtres, qui se retrouvent autour de l'amour des chiffres et du base-ball.
Autant vous dire tout de suite que quelque soit votre niveau en mathématiques et vos mauvais souvenirs scolaires, vous sortirez de ce roman réconcilié avec les théorèmes et autres figures géométriques! Les mathématiques, les chiffres qui ordonnent le monde et lui donnent un sens quand tout le reste part à vaux l'eau sont le fil conducteur du roman. J'en suis sortie émue par les chiffres premiers, les parfaits, abondants et autres. Emue de savoir quel lien uni 220 et 284. Et outre de magnifiques passages qui font perçevoir la beauté des mathématiques, La formule préférée du professeur est aussi une magnifique histoire d'amour. Pas d'amour-amour, entendons nous bien! Les protagonistes de cette histoire, esseulés, blessés vont recréer petit à petit une famille. Et c'est beau cette relation qui naît, surtout celle qui unit le petit Roots au vieux professeur. C'est beau de voir comment ils se soutiennent les uns les autres, et comment la transmission se fait d'une génération à une autre. Encore qu'au rang de l'amour amour, on découvre en filigrane la vie brisée du professeur, une vie que l'on devine emplie de drames, de tensions et sans doute, d'un bonheur, qui enfin revient.
"Simplement, la valeur de toutes sortes de petites scènes que nous avions partagées n'a jamais pâli, au contraire, plus les jours passaient, plus elle ressortait avec fraîcheur, réchauffant notre coeur."
Et ce qui est bien, c'est que grâce à Sophie, j'ai un autre Yoko Ogawa sous la main! Que demande le peuple!?
L'avis de Papillon, de Gachucha, de Chimère.
Yoko Ogawa, La formule préférée du professeur, Actes Sud, 2005, 246 p.
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Sous la pluie
Avec ce recueil de nouvelles, Yoshiyuki Junnosuke offre à ses lecteurs deux variations sur le désir amoureux et sexuel. L'averse et La ville aux couleurs fondamentales prennent toutes deux place au coeur des quartiers rouges, au sein des bordels. Là, des hommes lâches et calculateurs, amoureux et insatisfaits, des femmes perdues, en fuite, et parfois calculatrices affrontent la sensualité des corps, le rejet, la souffrance et l'incertitude dans une quête d'amour qui ne peut aboutir.
Le tableau du monde de la prostitution japonais dans les années 1950 est assez clinique, l'écriture détachée. Le tout est assez fascinant. Je ne peux pas dire pourtant que j'ai beaucoup apprécié ces récits parfois difficiles à suivre, avec une fin qui n'en est pas une (et je pèse mes mots) et qui distillent un sentiment de malaise. La perplexité règne...
Yoshiyuki Junnosuke, L'averse, Ed. Philippe Picquier, 1995, 122 p.
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Horizons lointains
Connaissez-vous la meilleure manière de planer dans le métro? Oui, je vous l'accorde, entre le boucan, les odeurs, les gens qui vous tombent dessus, l'harmonieux bip de fermeture des portes, la foule et le reste, ce n'est pas facile. Méthode imparable: dégainer un roman de Haruki Murakami, visser les écouteurs sur les oreilles (je vous laisse le choix de la bande-son, moi en ce moment j'oscille entre Mika et Schubert) et youp là (boum dans mon cas quand je tombe)!
Alors, Murakami. Et pour être plus précise Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil. J'ai aimé. Ben oui. Dites-moi donc comment vous faites, vous, si vous n'aimez pas Haruki!
Pitit résumé: enfant unique et solitaire, Hajime rencontre à l'école Shimamoto-san, même âge, jolie et handicapée. Leur amitié, intense, amoureuse, est brisée par un déménagement. Hajime, malgré la souffrance de cete séparation va constuire sa vie: mariage, enfants, travail. Jusqu'au jour où Shimamoto réapparaît et où l'équilibre qui s'était installé est menacé.
Comme d'habitude, Murakami excelle à décrire les affres de l'amour, des premières expériences et de la vie tout court. On trouve de tout dans ce roman. Une description criante de vérité de la solitude et de la psychologie du solitaire, une réflexion sur l'amour et l'insatisfaction, de la musique et cette plume si particulière. Et surtout, surtout, on retrouve cette capacité effarante du bonhomme à instiller tout doucement le doute. Qu'est-ce qui est réel, qu'est-ce qui ne l'est pas, jusqu'au dernières pages qui remettent en question tout ce qu'il vient de se passer. Du grand art.
C'est un roman étrange qui souffle à la fois le chaud d'une sensualité et d'une sexualité assumée et d'autant plus forte qu'elle a été réprimée pendant une vingtaine d'année, et le froid de ces personalités étranges. Le chaud d'un amour qui se trouve enfin complet et le froid d'une fuite incompréhensible. J'ai aimé son atmosphère particulière, ses personnages qui ne sont pourtant pas sympathiques, la mélancolie et le désenchantement. C'était juste beau!
Haruki Murakami, Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, 10/18, 2003, 223 p.