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  • Grâce et dénuement - Alice Ferney

    9782742728824FS.gifUn terrain vague, des caravanes, une tribu de gitans qui s'installe. La grand-mère, les cinq fils, les quatre belles-filles et ces enfants, sauvages, joueurs, heureux. Qui ne savent pas lire et ne vont pas à l'école. Comment pourraient-ils y aller puisqu'ils n'existent pour personne. Sauf pour Esther. Esther qui arrive un jour avec une pile de livres et qui commence à raconter. Esther qui va petit à petit gagner l'amour et la confiance...

    J'ai pour Alice Ferney une tendresse qui remonte à ma découverte maintenant lointaine de sa belle plume, de sa petite musique qui reste longtemps en tête une fois la dernière page tournée. Ses beaux personnages de femmes, la finesse de ses descriptions. De beaux souvenirs.

    Et puis il y avait ce texte, cette bibliothécaire, ce thème... Plusieurs raisons d'ouvrir enfin ce roman au plus fort de l'été dernier et de laisser la magie agir.

    Car il y a de ma magie chez Alice Ferney: celle de parvenir à offrir un texte superbe, sans misérabilisme, sans jugement, celle de donner à entendre l'importance de connaître l'autre, de l'apprivoiser doucement sans jamais édulcorer la violence, le dénuement matériel et culturel, la difficulté de se confronter à une manière de vivre aux antipodes de ce que l'on conçoit et comprend. On découvre en même temps qu'Esther les codes du monde gitan, des hommes et des femmes attachants, la méfiance du monde qui les entoure, la marginalisation et cette peur rampante qui en fait moins que des êtres humains pour certains, la difficulté, voire l'impossibilité de s'adapter à des normes étrangères, la dépendance aux hommes pour les femmes, la fierté,... Autant dire que par les temps qui courent, c'est un texte essentiel. Essentiel par ce qu'il donne à voir d'une réalité qu'on méconnaît ou que l'on ne veut pas connaître, essentiel par ce qu'il dit du partage et de la découverte de l'autre, essentiel par cette nécessité du respect qu'il affirme haut et fort. Essentiel parce qu'il ne sombre pas dans un manichéisme de bon temps sanctifiant ces martyres de la société occidentale: jamais les aspects plus sombres de la vie de ces familles ne sont évités. Ni la violence conjugale, ni l'omnipotence de la matriarche, ni les activités plus ou moins légales qui permettent à ce petit groupe de vivre... Le plus sûr moyen, de fait, de donner à connaître, sinon à comprendre la complexité de la situation des gitans.

    C'est une belle histoire, à la fois débordante de tendresse et tragique, violente et porté par un style d'une rare douceur, qui empreint le récit de sérénité et laisse émerger des bulles de moments parfaits, comme cette scène où Esther lit une histoire aux enfants réfugiés dans sa voiture par une journée de froidure. Car le manque, le dénuement n'empêchent pas la grâce et le bonheur d'être en vie, d'être aimé. Ni la possibilité de voir un jour une fenêtre s'ouvrir vers une autre vie. J'ai beaucoup aimé la manière dont Alice Ferney parle de la prison que représente l'analphabétisme dans une société où l'écrit est roi, mais aussi du plaisir, de la liberté, de l'ouverture au monde que représentent la lecture, les histoires partagées.

    Un très, très beau texte qui offre un éclairage sur une actualité qui reste brûlante.

    Je conseille d'ailleurs de visionner ce web documentaire sur le site du Monde: La vie à sac, et notamment, le témoignage de Diktatora.

    Liliba l'a lu.

    Ferney, Alice, Grâce et dénuement, Actes Sud, 2000, 304p., 5/5