J'étais la fille du Menuisier, je le savais. Jeanne, malgré sa folie, était plus normale que moi, côté filiation. Elle le nommait. Pas moi. Nous n'avions pas de mots l'un pour l'autre. Notre lien était un long fil continu que personne ne pouvait voir. Aucun mot ne s'y accrochait comme le font les notes sur une portée. Nous-mêmes en étions ignorants, seulement soupçonneux de sa présence tenace."
Marie-Yvonne est née sur le tard dans une famille bretonne. Elle a été un accident, accident mené à son terme parce que sa mère a refué de prendre le risque d'aller chez la faiseuse d'ange. Elle va grandir, silencieuse, entre Louise, sa mère sourde, Jeanne, sa sœur folle, Mélie sa grand-mère et Le menuisier, son père. Ce père qu’elle ne nommera jamais autrement que Le menuisier.
La peine du menuisier est le récit de cette enfance peu commune, des déchirements familiaux, et le portrait d’un taiseux. C’est qu’il n’est guère causant le menuisier. En Bretagne, le silence est d’or. Ce n'est pas qu'on ne parle pas, mais il y a des choses que l'on tait où dont on parle à demi-mot, ou en breton. Du coup, la petite Marie-Yvonne grandit dans un silence déchiré par les cris de sa soeur et habité par les morts de la famille auxquels elle redonne vie. Ils sont là, peuplant les murs et les manteaux de cheminés, protégés dans leurs photographies, la fascinant comme la fascine les tombes, l'accompagnant au quotidien, plus vivants presque que sa famille et en tout cas, bien moins effrayants.
Le silence est au coeur du récit, puisqu'il est la matière première de la relation de l'enfant et de son père. D'abord silence protecteur et rassurant, puis silence menaçant. Il y a la rencontre ratée entre le père et la fille, le silence devenu impossible à briser alors que les mots sont devenus nécessaires. Il y a la fuite, puis les regrets de l'adulte face à une situation que rien n'aurait pu changer, et la quête qui commence. Parce que le silence cachait un secret, et le secret a tué cet amour qui s'exprimait par des petits cadeaux: un tablier en vichy rouge, un secrétaire...
Le secret, Marie-Yvonne va en deviner l’existence en écoutant des bribes des conversations des adultes, puis partir sur ses traces après la mort du menuisier. Il faut faire vite, les vieux de la famille meurent les uns après les autres, et encore faut-il qu’ils acceptent de parler.
Par des phrases sobres, percutantes, l’auteur fait entrer son lecteur dans une atmosphère oppressante, lourde, tragique, qui noue le ventre et fait retenir son souffle. Chaque mot, chaque situation touche. On a mal pour ce père, mais aussi pour cette mère tuée à petit feu par son malheur, pour grand-mère Mélie aussi qui cache bien des blessures sous son châle. Pour Jeanne, folle mais lucide par moment. Pour l’enfant aussi qui pousse comme elle peut.
Le portrait de la campagne des années 50 est littéralement glaçant. Tout comme ce lui d’une Bretagne en train de disparaître : les fermes, les femmes en noir et en coiffe, des lits clos, des églises et des calvaires. La Bretagne des traditions familiales, de la religion.C’est aussi un joli portrait d’une enfant secrète, fantasque, un brin morbide mais attendrissante dans sa fascination pour les cimetière et les morts.
"Nous ne sommes pas seulement les héritiers d'un patrimoine génétique, mais d'un nombre infini d'émotions transmises à notre insu dans une absence de mots, et plus fortes que les mots."
Seul regret, le style, parfois difficile qui m’a par moment perdue. Il y a cependant toujours eu une phrase pour me ramener dans ce récit pudique et douloureux qui atteint à l’universel dans ce qu’il dit des relations familiales.
On en parle chez Cuné, Yvon, Sylire, Aifelle, Lou, Cathulu, ...
LeGall, Marie, La peine du menuisier, Phébus, 2009, 4/5
Commentaires
Je vois qu'on partage le même amour de la lecture et des livres... Je découvre votre blog avec plaisir!
Marc
Je n'ai pas eu de soucis avec le style. En dehors de cela, je partage tout à fait ton resenti sur ce livre.
Sur ma liste de livres à découvrir ! Je ne sais pas comment l'expliquer, mais ce livre m'attire énormément. Pourtant le sujet est loin d'être joyeux.
Cela m'a l'air un peu difficile: le sujet et le style...
Ça a l'air très intense comme lecture, je note !
Il me tente beaucoup depuis sa sortie, celui-là... bon, ça n'a pas l'air super joyeux mais je pense que je suis capable de le prendre!!
Une lecture qui semble déchirante et qui pourtant m'attire, je suis bizarre des fois :-)
Malgré un style parfois difficile, ça a l'air d'un bien beau roman. Je le note, mais en le gardant pour des périodes de vacances pour avoir le temps de le lire tranquillement... :-)
@ Marc: bienvenue Marc! La blogosphère est un bon moyen de croiser des gens qui aiment la lecture et les livres! :-)
@ Sylire: il m'a parfois un peu perdu ce style, mais peut-être était-ce aussi la fatigue qui a joué! En dehors de ça, ça a été une très belle lecture que je suis loin de regretter! Elle m'a reconciliée avec la rentrée littéraire, c'est peu de le dire!
@ Leiloona: c'est certain que c'est un peu triste et lourd, mais il y a une petite musique et une lumière aussi, l'espoir à la fin un peu. C'est à découvrir!
@ Alex: un peu difficile, mais c'est un roman qui en vaut la peine!
@ Restling: ce ne sera pas le chef-d'oeuvre de la rentrée littéraire, mais c'est un très beau premier roman!
@ Karine:): coeur tendre va!! :-))
@ Yueyin: tu n'es pas la seule! A croire que nous aimons sortir les kleenex!
@ Marie: il mérite effectivement un peu de calme! Et du temps pour être savouré!