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tours

  • Northanger abbey

     

    "Personne ayant jamais vu Catherine Morland dans son enfance ne l'eût supposée née pour être une héroïne. Sa situation dans l'existence, le caractère de son père et celui de sa mère, sa propre personne et son tempérament, tout s'opposait également à ce qu'elle en fût une un jour."

    Et pourtant, les voies de l'héroïsme étant impénétrables, Catherine Morland va vivre, le temps de quelques mois, l'aventure de sa vie.

     

    Inutile de rappeler que je suis atteinte d'austenite aigüe et que tout avis de ma part sur l'oeuvre de la grande dame est totalement empreint d'un subjectivisme abyssal et parfaitement assumé. Ce qui ne pose guère de problème, Dame Jane étant depuis fort longtemps entrée au panthéon des belles lettres. Reste que pour moi, Northanger Abbey, s'il n'est pas celui que je préfère, est sans conteste le roman le plus original de son oeuvre. On y trouve un humour peut-être encore plus grinçant qu'à l'habitude, et, en pendant de son regard sur la bonne société anglaise, un réflexion sur l'art du roman à la fois intelligente et follement drôle.

    Résumons-nous: Catherine Morland, 17 printemps, est invitée par les riches voisins de ses parents à passer la saison à Bath. Une occasion inespérée pour elle de faire son entrée dans le monde. Un monde qui va se révéler bien plus dangereux que tout ce qu'elle avait pu imaginer...

    Satire sociale, Northanger Abbey l'est. On y retrouve ces familles de la bonne société, attachées à leur rang et aux convenances plus qu'à l'intelligence et à la bonté, ces mariages négociés comme des traités, les déchirements des amours contrariées, les ruses de jeunes filles sans fortune décidées à faire le mariage le plus avantageux possible au risque d'une chute sans retour... C'est le portrait d'une jeunesse anglaise destinée aux travaux d'aiguille ou à des métiers jugés convenables et qui n'a finalement pas grand chose d'autre à faire que combler son oisiveté de courses, de fêtes et de ragots. Dans ce univers, Catherine Morland, issue d'une famille modeste se détache. Naïve, fraîche, honnête et franche, elle devient une proie, un jouet, mais aussi un défi pour ces hommes et femmes rompus aux relations sociales et fermement décidés à faire fortune s'ils ne sont pas déjà riches. Jane Austen ne se gêne pas pour épingler le jeune arrogant, le gentil fiancé trompé, l'inconstante, la rusée, l'écervelée, le père tyrannique et la mère aveugle avec son talent pour le détail et la réplique. Chaque personnage est un moyen de mettre en lumière les travers de la nature humaine et le fonctionnement d'une société gangrenée par le poids des conventions et l'aspiration à la réussite matérielle.

    Mais ce n'est pas tout. Aux thèmes habituels de son oeuvre, Jane Austen entremêle une parodie de roman gothique, un genre qu'elle devait bien connaître pour parvenir à taper aussi juste! Dès l'incipit (j'utilise des mots savants si je veux d'abord!), elle annonce la couleur: Catherine Morland n'est pas l'héroïne à laquelle peut s'attendre le lecteur. Elle n'est pas orpheline mais appartient à une famille nombreuse, sans être riche, elle n'est pas dans la misère, et ses aventures les plus atroces ont consisté à apprendre à lire, écrire et broder! Chaque rebondissement de l'histoire va être le prétexte à une comparaison savoureuse avec l'univers de Mme Radcliffe par exemple, et à une gentille moquerie de l'imagination débordante que ses lectures ont donné à Catherine. On la suit avec plaisir et sourire dans ses emportements, ses frayeurs, allant jusqu'à rire lorsqu'elle voit ses belles hypothèses romanesques se heurter à une réalité bien plus triviale. Pour moi, elle est une des héroïnes les plus attachantes de Jane Austen. Elle n'a pas le caractère mordant d'Elisabeth Bennet, la douceur et le pragmatisme d'Elinor Dashwood, la passion romanesque de Marianne Dashwood, la sensibilité d'Anne Elliott, l'abnégation de Fanny Price. Elle est un peu un mélange de tout cela, une jeune fille qui passe doucement à l'âge adulte et s'affirme petit à petit, parfois caustique, souvent douce et naïve, quelque fois passionnée. C'est avec plaisir que je l'ai vue se débattre dans les ennuis en la personne de l'exécrable John Thorpe et de sa soeur Isabelle, un modèle du genre, rencontrer M. Tilney, si prompt au trait d'esprit mais gentleman jusqu'au bout des ongles...

    A noter, Northanger Abbey n'est pas que parodie. Jane Austen s'y livre à une défense passionnée du genre romanesque.

    "Des romans, oui, car je refuse d'obéir à cette coutume mesquine et peu politique qu'adoptent si souvent les auteurs et qui consiste à déconsidérer, par une censure des plus méprisantes, le genre d'oeuvre même dont ils sont en train d'accroître le nombre. [...] Bien que nos productions aient offert aux lecteurs un plaisir plus grand, plus sincère que celle d'aucune autre corporation littéraire, en ce monde, aucun genre, jamais, ne fut plus décrié. Quelle qu'en soit la cause, la vanité, l'ignorance ou la mode, nous avons presque autant d'ennemis que de lecteurs, et tandis que le neuf centième abréviateur de l'"histoire d'Angleterre" ou l'homme qui recueille ou publie une douzaine de vers de Milton, de Pope ou de Prior en y joignant un article du Spectateur et un chapitre de Sterne se voient couverts d'éloge par cent plumes, il semble presque correspondre à une volonté générale de décrier le talent, de mésestimer le travail du romancier, de dédaigner des oeuvres qui n'ont pour les recommander que le génie, l'esprit et le bon goût."

    Je crois que tout est dit non?

    Pour le petite histoire, j'ai eu l'occasion de visionner la superbe adaptation de Northanger Abbey avec Felicity Jones et JJ Feild. Fidèle au roman sans jamais perdre en rythme, drôle et juste jusque dans les restitution des délires de l'imagination de Catherine, c'est un bonheur! Sans compter que M. Tilney est redoutablement bien incarné! Emjy y consacre un billet passionnant auquel je serais bien en peine de rajouter quoi que ce soit!

     

     Vous trouverez chez Lilly, Nebelheim, Yue Yin, Morwenna, Allie, Maijo, Emjy... des choses fort intéressantes!

    C'est mon quatrième roman du Fashion's klassik challenge!