" Bien-aimés lecteurs de romans, vous avez sans doute été souvent frappés par le fait que les oeuvres qui excitent le plus notre curiosité s'achèvent de manière aussi peu satisfaisante que prématurée à la page 320 de leur troisième tome."
Ou ce qu'il se passe quand William Thackeray, atrocement frustré et outré qu'Ivanhoé ait épousé l'horrible bigote qu'est Rowena, décide de raconter ce qu'il se passe après que Walter Scott ait écrit le mot fin. Vous auriez pu résister vous? Avec en plus du reste une Fashion absolument dythyrambique pour vous faire l'article? Et bien moi non! Et vous savez quoi, heureusement que j'ai cédé! Il est vrai qu'ayant aimé La foire aux vanité, j'étais un public plus ou moins acquis à l'humour et à la plume de William.
Ceci étant dit, Ivanhoé à la rescousse est absolument hilarant. Non seulement Thackeray garde sa capacité à se moquer d'une bonne société anglaise prompte à imiter les moeurs d'un moyen-âge amplement fantasmé, mais en plus il frôle à plusieurs reprises le rôle de précurseur des Monty Python. Alors évidemment, si Sacré Graal vous laisse de marbre, il y a des chances pour que ce vieil Ivanhoé ne vous tire pas le début d'une esquisse de sourire. A vous de voir. Revenons à nos moutons. Nous avons donc en lieu et place du preux chevalier un époux soumis à son horrible femme et au bord de la dépression nerveuse; en lieu et place d'un roi sans peur et sans reproche, un gros bonhomme ridicule et colérique; en lieu et place de l'épouse douce et aimante une harpie qui terrorise tellement son monde que même le fou n'ose plus rire. Et dans un pays loin, très de la douce Angleterre, une Rebecca qui se morfond. Ce que ne peut supporter Thackeray: il est pro-Rebecca, il trouve insupportable que Scott n'ait pas donné à Rebecca ce qu'elle méritait pour de bêtes questions de morale et de sensibilité de son lectorat. Bref, il va tout faire pour caser Ivanohé avec Rebecca: on se retrouve donc avec un Ivanohé qui part en guerre pour fuir son mariage et qui, après moult aventures et improbables rebondissements, va tomber dans le bras de sa véritable dulciné. Je ne vous dirai pas comment diable il se débarrasse de l'encombrante Rowena, c'est trop savoureux pour que je vous refuse le plaisir de la découverte. Au milieu de tout ce bazar, les personnages qui ont terminé leur rôle partent boire une bière, les anachronismes fourmillent, les principaux personnages en font des tonnes et l'auteur ne se refuse pas le plaisir de s'adresser directement au lecteur.
Exemple type: " Chers amis, ce n'est pas par manque d'imagination ou d'intérêt pour le sensationnel ou le pathétique que je ne m'étends pas sur le sujet (NdC: une atroce boucherie). Cette description gâcherait votre digestion, vous empêcherait de dormir et vous ferait dresser les cheveux sur la tête." Sauf que le lecteur veut l'atroce description nom d'un lapin géant!
C'est tout bonnement savoureux et délicieusement ironique: en faisant des personnages de Scott les marionnettes d'un spectacle complétement dément, Thackeray retourne les grands mythes: Robin des Bois en prend pour son grade, le roi Richard, n'en parlons pas. La piété? Rowena se charge de l'illustrer. Les grands faits d'arme? Le triste destin de la comtesse de Châlu mitonnée avec sa robe en flanelle et quelques bras et jambes voltigeant se chargent d'en donner une image plus juste. Les croisés? Des tueurs psychopathes. Bref, Thackeray se plaît à faire tourner son lecteur en bourrique et à moquer tous les clichés des grands romans de chevalerie. Loin d'être un simple pochade, sa suite d'Ivanhoé se révèle être un petit bijou d'humour, d'ironie et de critique sociale en même temps qu'un hommage à la littérature .
Plus que conseillé par temps pluvieux et en cas de morosité tenace.
Tout est de la faute de Fashion, mais Lilly en parle aussi.
William Thackeray, Ivanohé à la rescousse, Rivage, 2009, 5/5