Fanny et Marion dans leur petit appartement proche du Marais, Fanny et Marion, la mère et la fille, seules et unies face aux autres, les parents, les voisins. Mais Fanny est malade, de cette maladie qui ne dit pas son nom et qui va transformer en enfer le bonheur.
Psychose maniaco-dépressive, un nom barbare et bizarre, un peu chantant et mystérieux qui entre un jour dans la vie de Marion pour n'en plus sortir, un nom qui a pour elle une histoire qu'elle va raconter bien des années plus tard. L'histoire de sa mère, Fanny, si belle, si drôle, si excentrique et excessive. L'histoire de leur amour et de leur vie à deux entre école et séances de cinéma, balades dans Paris et rires. L'histoire de cette autre Fanny qui fait un jour irruption, laide et cruelle, effrayante et incontrôlable. L'histoire d'un amour qui devient prison et drame, d'un secret qui gangrène tout.
Marion est une enfant de la honte, le fruit de l'amour interdit pendant la Seconde guerre mondiale entre une française et un allemand, le fruit d'une absence aussi. Elle va grandir avec cette béance, l'absence de ce père dont elle découvre peu à peu des bribes, qu'elle façonne au gré de son imagination d'enfant avant de connaître le peu qu'il y a à connaître d'une histoire somme toute banale qui a fait basculer sa vie avant même qu'elle ne vienne au monde.
On ne saura pas si Fanny a basculé dans la folie à cause de son amour, ou si elle portait en elle le germe de la maladie. Peu importe finalement: la fragilité était là, la folie est venue. Marion la raconte avec ses yeux et sa voix d'enfant d'abord, puis d'adulte. Il y a d'abord ce souvenir d'une peur intense, puis ces failles au quotidien dans la voix et dans les attitudes de la mère tant aimée, et enfin, les crises, intenses, atroces, où Fanny devient autre. La folie est-elle soluble dans l'amour? Marion va tout faire pour: protéger sa mère, subir ses crises, promettre ce qu'elle ne peut tenir, échouer finalement. Amour, peur, haine, dépendance, Marion va passer par bien des phases avant de trouver enfin une délivrance qui ne va pas sans culpabilité et de pouvoir se pardonner et pardonner à sa mère.
Sans aucun pathos, Marie Sizun raconte une descente aux enfers, le combat d'une femme qui lutte pour vivre dignement avec son enfant malgré son statut de mère célibataire, le combat d'une enfant pour sauver sa mère. C'est bouleversant et intense: à certains moments la respiration manque, à d'autre les larmes pointent le bout de leur nez. Le déchirement que connaît Marion, cette culpabilité intense, cet étouffement sont rendus de manière poignante et vibrante. C'est une histoire d'amour absolu, de souffrance et de déchirement qui laisse l'estomac noué. Deux beaux portraits, complexes et bouleversants et un récit profond sur la quête des origines.
L'avis de Chaperlipopette, de Pascal, d'Amanda, ...
La femme de l'allemand va sortir bientôt au Livre de Poche.
Marie Sizun, La femme de l'allemand, Arléa, 2007, 5/5