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noms

  • Apex: sommet

     

     

     

    Un consultant en nomenclature arrive dans la petite ville de Winthrop, chargé par l'équipe municiaple d'arbitrer le conflit qui agite la ville: doit-elle conserver son nom ou être rebaptisée New Prospera comme le souhaite le magnat de l'informatique qui s'y est installé?

    Mais qu'est-ce que le nom juste d'une chose ou d'un lieu? Celui qu'on connaît, celui qu'on veut lui donner, celui qui a été le sien? Et que peut ce consultant qui n'est plus que l'ombre de lui-même depuis cette mystérieuse infortune liée à sa plus belle réussite, le nom d'un pansement révolutionnaire, Apex?

     

    Apex est un univers aux marges de l'étrange. Non pas parce que Winthrop est un lieu peuplé de créatures fantastiques, mais parce que le narrateur vit en marge du monde, solitaire, voire misanthrope. Misanthrope, il l'est devenu quand son métier lui a appris à quel point le monde dans lequel il vivait était mensonger. Lucide aussi quand il a compris à quel point jouer avec les mots influe sur le monde.

    Apex est avant tout une réflexion sur le pouvoir de la publicité: nommer les choses, déformer et manipuler le monde en jouant sur les instincts les plus bas de l'humain, sur la malléablilité de l'esprit humain. Industrie, marketing, publicité sont les mamelles d'un monde qui a perdu tout sens et qui continue à tourner absurdement à vide. Peut importe le produit. Le nom juste suffit à faire vendre. Consommer, jeter consommer encore, uniformiser pour partout retrouver les mêmes produits, jeter encore pour racheter toujours, jusqu'à ce que ce qui a pourrit sous les apparences de la prospérité et du bonheur remonte à la surface. Le racisme par exemple, ou les mensonges de l'histoire américaine. Wintrhop en est l'exemple: cette ville fondée par des esclaves affranchis a pris le nom du riche blanc, de celui capable de protéger la communuauté contre la ségrégation, effaçant de ce fait tout ce qui faisait de cette ville un havre et un symbole de liberté. Car l'histoire est celle écrite par ceux qui ont l'argent et le pouvoir, ceux qui maîtrisent les mots et ont l'espoir de possèder ce qu'ils ont nommé. Ou en tout cas, cachent la réalité sous le masque des noms, comme le consultant a masqué sa blessure sous ce si parfait pansement à la couleur de sa peau.

     

    « Amérique, c'était inattaquable. C'était un nom ballon. Un ballon qui s'étirait en s'emplissant, devenant de plus en plus gros, et sa peau de plus en plus mince. Quel était ce gaz qui l'étirait ainsi jusqu'à ses limites? Comment le savoir? C'était notre rêve quelqu'il soit. Et forcément, un jour, il éclaterait.Mais en attendant, il jouait son rôle. En attendant, il tenait encore. »

     

    Fourmillant de parallèles, de métaphores, de jeux sur les mots, Apex est un roman brillant, dense et percutant, drôle aussi malgré la noirceur qui transparaît au fil des pages. C'est une réflexion qui brosse un tableau passionnant de ce que recouvre l'acte de nommer. Bref, un coup de coeur que je ne peux que conseiller vivement.

     

    L'avis de Papillon.

    Colson Whitehead, Apex ou le cache-blessure, Gallimard, 2008, 201 p.