Ethel entre dans l'adolescence alors que la Seconde guerre mondiale se profile. Enfant d'une bourgeoisie qui s'enferme dans ses privilèges, elle va vivre la déchéance de sa famille, connaître la faim, la guerre, la fuite.
Ce que raconte JMJ Le Clézio est l'histoire romancée de sa mère. L'histoire d'une génération brisée et en révole dès avant la guerre: "Ma mère, quand elle m'a raconté la prmeière du Boléro, a dit son émotion, les cris, les bravos et les sifflets, le tumulte. Dans la même salle, quelque part, se trouvait un jeune homme qu'elle n'a jamais rencontré, Claude Levi-Strauss. Comme lui, longtemps après, ma mère m'a confié que cette musique avait changé sa vie. Maintenant je comprends pourquoi. Je sais ce que signifiait pour sa génération cette phrase répétée, serinée, imposée par le rythme et le crescendo. Le Boléro n'est pas une pièce musicale comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l'histoire d'une colère, d'une faim. Quand il s'achève dans la violence, le silence qui s'ensuit est terrible pour les survivants étourdis. J'ai écrit cette histoire en mémoire d'une jeune fille qui fut malré elle une héroïne à vingt ans."
La ritournelle de la faim est celle de la faim physique, et celle de la faim de sens et de justice qui anime Ethel.
Elle est l'enfant d'une bourgeoisie en train de mourir à petit feu, l'enfant d'une communauté mauricienne dont les rires, l'éclat masquent mal la menace diffuse qui naît et s'étend au fil des années 30. Dans les repas du dimanche où son père Alexandre le beau réunit famille, amis et relations d'affaire, elle apprend petit à petit les rancoeurs, les mesquineries, les jalousies, et la haine de l'autre. Non qu'elle vive avec eux. Dès l'enfance, Ethel est celle qui observe, qui vit à côté. Si elle a faim dans ces années d'opulence, c'est de l'amour familial que des parents en guerre sont bien en peine de donner. Et elle digère: la trahison de son père qui lui vole l'héritage de son grand-oncle monsieur Soliman, l'antisémitisme et le nationalisme qui animent son entourage, la colère et l'adultère qui séparent ses parents. Par petites touches, au prisme du regard d'Ethel, Le Clezio offre finalement plus qu'une histoire de famille. Il dresse le portrait de la France de l'entre-deux-guerre, de celle de Vichy et de celle de la Libération. Tout en nuances, en finesse comme il sait si bien le faire, par des dialogues, des extraits, et un récit qui coule de la première à la dernière ligne.
La ritournelle de la faim est celle de la faim de liberté qui anime Ethel. Cette faim qu'elle croit partager avec Xénia, la jeune noble russe exilée et déchue qui la fascine par le combat quotidien qu'elle mène pour simplement vivre, par son cynisme et l'énergie folle qu'elle déploie. Leurs parcours sont des miroirs posés l'un en face de l'autre. Xénia va trahir, se trahir en choisissant après la pauvreté, à cause de la pauvreté le confort d'un mariage bourgeois et abdiquant sa fierté et sa lucidité. Ethel, sans que l'on sache de qui d'autre que son grand-oncle elle peut tenir sa loyauté, sa passion, sa force, va choisir la liberté et la colère, au prix du confort. L'écrivain s'efface derrière ce personnage de femme, égrenant des phrases sèches, concises, neutres qui la laisse pleinement s'exprimer.
La ritournelle de la faim est aussi celle de la faim comme réalité élémentaire et fondamentale du corps humain. Vécue et racontée comme telle. La guerre d'Ethel, c'est la fuite vers le Sud de la France, vers la quête quotidienne de la nourriture, celle qui révèle l'âme des gens. J'ai d'ailleurs particulièrement aimé ces pages qui quittent Paris pour Nice et Roquebillière, un payx que Le Clézio avait déjà utilisé comme décor de ses romans et qu'il doit bien connaître pour le décrire aussi bien.
Mêlant le vrai à la fiction, recréant l'atmosphère particulière des derniers jours de paix, se racontant aussi un peu dans le chapitre d'ouverture et dans celui de clôture, Le Clézio offre un très beau roman qui me fait renouer avec bonheur avec son univers que j'avais découvert à l'adolescence.
Les articles de Pascale Arguedas, d'Amanda. L'article de Jérôme Garcin.
Et pour la route, l'interview de l'auteur sur France Inter dans Esprit Critique: