1918 en Alabama. Zelda, la fille du juge, l’émancipée, l’évaporée, rencontre un jeune lieutenant yankee. Elle veut vivre, il veut écrire. Le succès aidant, ils deviennent le temps de quelques années un couple mythique de la vie new-yorkaise. Mais à jouer avec le succès, les Fitzgerald vont se brûler les ailes.
Il est rare que je lise les Goncourt. Tout simplement parce que j’ai rarement été convaincue… Et que le battage médiatique autour de ce prix littéraire mythique a le don de m’agacer.
Et pourtant, à force d’en entendre dire le plus grand bien, je me suis décidée à aller y regarder de plus près.
Le moins qu’on puisse dire c’est que je ne l’ai pas regretté.
Gilles Leroy a adopté le point de vue de Zelda, pas celui de l’écrivain Francis. Il a adopté le point de vue d’une femme qui voit peu à peu ses rêves se briser et tout ce qui fait sa beauté, son talent, sa force, s’effondrer.
Au-delà de la qualité et de la force de l’écriture, Gilles Leroy a su romancer avec crédibilité la vie de Zelda Fitzgerald, et partant de son époux. C’est sans doute pour cela que son récit est aussi fort. Il ne s’attache pas tant au personnage sulfureux, à la muse de grands écrivains, mais à la femme. Zelda est folle amoureuse, puis haineuse, puis désespérée, puis résignée. Être parvenu à se confondre à tel point avec les mots, le regard de cette femme frôle l’exploit.
Il dépeint un couple qui se fourvoie. Zelda et Francis confondent passion et amour, besoin et partage. Zelda surtout ne prend conscience que trop tard de la névrose profonde qui accompagne le talent de Francis. Une névrose qui va le pousser à utiliser sans vergogne puis étouffer le réel talent de Zelda, un talent qui aurait pu lui faire de l’ombre.
Et on rentre dans cette spirale infernale de harcèlement physique, moral, de souffrance et d’attachement morbide. Zelda ne parviendra jamais à se libérer de celui qui lui fait tant et tant de mal, qui lui vole l’amour de son enfant et le fruit de son travail. De celui dont elle ne sait plus au final si il l’aimée ou si elle a été le moyen de cacher des tendances sexuelles qu’il ne s’avouait pas.
Pour autant, Zelda n’est pas l’innocente victime. Elle a accepté de suivre Francis même si elle savait que tout n’allait pas. Elle a accepté de rester et de supporter par fierté et orgueil. Elle a brûlé elle aussi la chandelle par les deux bouts et n’a pas hésité à porter des coups douloureux à ceux qui l’entouraient. Si Francis Scott Fitzgerald n’est pas un personnage attachant, on ne peut pas dire que Zelda le soit ! On a pitié d’elle, on la déteste, on l’aime aussi un peu, justement parce qu’elle n’est pas seulement une martyre. Après tout, on ne sait pas si ce que raconte la femme vieillissante internée est vrai ou pas. Si elle est folle ou si elle est internée de force par un mari qui ne sait plus comment se débarrasser d’elle.
Quoi qu’il en soit, c’est un magnifique portrait, et aussi le tableau choc de la destruction d’une femme. J’ai refermé ce roman avec au cœur une pointe de mélancolie et de regret pour Zelda. Je vais sans doute avoir du mal à oublier sa voix de sitôt.
« J’ai compris que l’obscénité n’était pas ma tenue ni ma nudité sous la robe, mais ce bonheur qui m’envahissait comme une ivresse, cet air d’extase qu’il ne m’avait jamais connu, je crois, et qui n’a pas pu lui échapper puisque même les marchands du port le voyaient sur moi. Le voyaient sur Joz et moi. Les gens qui s’aiment sont toujours indécents. Et pour ceux qui ont perdu l’amour, le spectacle des amants est une torture qu’ils nient en crachant dessus ou en s’en moquant. »