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diotime et les lions

  • Diotime et les lions

    Ce billet est dédié à Erzébeth qui saura pourquoi...

     

    Diotime la rebelle dans les veines de qui coule le sang sauvage de ses ancêtres perses. Diotime qui va aller au bout de son héritage et transgresser les règles de son clan.

    La découverte d'Antigone, lumineuse, tragique, terriblement humaine sous la plume d'Henry Bachau a été pour moi une révélation, un de ces chocs littéraires qui arrivent parfois et dont on se remet difficilement. Oedipe sur la route l'a suivi et m'a tout autant transportée. Diotime et les lions clos le cycle, porteur du même enchantement.

    Diotime donc, que l'on retrouve dans Oedipe sur la route, une guérisseuse un peu mystérieuse, un superbe personnage de femme, d'amoureuse et de mère comme Bauchau sait les écrire. Dans Diotime et les lions, il raconte sa jeunesse et son adolescence jusqu'à la révélation de son amour pour Arsès. C'est le récit d'une transgression, du passage à l'âge adulte. Il y a une constante dans les personnages féminins de Bauchau. Par certains aspects, Diotime ressemble à Antigone: la même fureur, la même vitalité, la même capacité à aller au bout de sa volonté et de ses désirs, au bout de son devoir. Les femmes de Bauchau sont toute de violence, de colère, de désir, mais aussi d'amour et de sérénité dès lors qu'elles ont trouvé leur voie. On est loin de l'image des femmes grecques effacées, cantonnées à l'univers de la maison.

    Il faut peu à Bauchau pour donner à sentir le soleil de l'Orient, la plaine et l'univers du clan dans lequel Diotime voit le jour. Quelques pages, quelques mots, et ce sont les moeurs d'un peuple qui se dessinent, entre la retenue grecque et la sensualité, la fureur perse. Cambyse le grand-père de Diotime est à la tête de ce clan dont les hommes, une fois l'an, s'adonnent à la chasse rituelle des lions. Une chasse dont sont exclues les femmes mais à laquelle Diotime brûle de participer. Diotime qui chasse comme un homme, Diotime pour qui rester à la maison avec sa mère et sa soeur mène à la folie. Cambyse et Kyros cèdent à son désir. Elle participe à la chasse rituelle, tue un lion, prend place au centre de la fête rituelle qui suit et qui marque la communion de son peuple avec la terre et les lions. Puis il y a la rencontre avec Arsès, la passion amoureuse contrariée, le long chemin auprès du vieillard-enfant au cours duquel elle apprend la patience et la maîtrise de sa violence intérieure.

    L'histoire de Diotime est finalement une manière de parler de ce cheminement que connaît tout être humain qui le fait passer de l'enfant en qui se déchaînent les passions et les désirs à l'adulte capable de sérénité. C'est aussi une vision très orientale du monde, celle du Tao, de la réconciliation des contraires:, de l'équilibre: homme/femme, violence/sérénité.

    La chasse aux lions est une manière pour le clan de renouer avec ses origines, avec le monde et de le respecter, une manière de maîtriser la violence. Pour Diotime, elle est une manière d'affirmer sa nature, femme mais passionnée, violente. Sa participation à la chasse marque une rupture, peut-être un retour à un âge où les femmes n'étaient pas exclues du monde des hommes et les hommes du monde des femmes. Pour elle, c'est une affirmation de ce qu'elle est, mais aussi une souffrance: il n'y a pas d'équilibre en Diotime, juste la sauvagerie, l'affirmation passionnée de ses désirs et de ses besoins, la volonté d'obtenir tout ce qu'elle veut, sans jamais prendre en compte ce qui l'entoure. Comme le clan retrouve l'équilibre dans le rituel, c'est par un autre rituel, celui de la marche, de l'apprentissage de la patience qu'elle va apprendre à maîtriser sa propre violence.

    Il y a beaucoup de choses dans ce récit que je n'appréhende que confusément, ou que je ne parviens pas à exprimer de manière correcte. Diotime est les lions est un très court récit, à peine une soixantaine de pages, mais d'une richesse telle qu'on a l'envie de le lire et de le relire pour en extraire toute la sève. Pour moi, Bauchau est un auteur essentiel, dont chaque récit est toucha au coeur.

    " Par sa mère, Cambyse appartenait à une lignée perse dont les plus lointains ancêtres étaient des lions. Peut-être des dieux lions, car c’est en eux qu’il se reconnaissait. Il avait étendu à tout notre clan ce lien de sang avec les lions. Il en avait étrangement transmis, à mon père et à moi, le culte qui faisait horreur à ma mère et à ma sœur aînée. La lutte avec les lions ne durait qu’une partie de l’année et on ne pouvait s’attaquer qu’à un fauve à la fois. Une fois par an, avait lieu entre eux et nous une guerre rituelle qui durait deux jours et une nuit. C’était la plus grande fête de l’année, il y avait toujours plusieurs morts et de nombreux blessés, mais il n’y avait pas, pour les chasseurs du clan et des tribus voisines, de plus grand honneur que d’y être admis par Cambyse. En grandissant, j’éprouvais un désir croissant de participer à cette fête, j’en ai parlé à ma mère, elle m’a suppliée d’y renoncer en me disant que ce n’était pas la place d’une jeune fille et que la tradition ne le permettait pas. Je pensais au contraire qu’à l’origine de notre clan il y avait eu des déesses lionnes aussi terribles, aussi puissantes que les lions. Je descendais sûrement de l’une d’elles et si, pour des raisons évidentes, il était dans notre guerre interdit de tuer les lionnes et leurs lionceaux, elles prenaient au combat une part redoutable et provoquaient parmi nous autant de morts et de blessures que les mâles.

    Je ne pouvais pas renoncer à ce désir. J’en ai parlé à mon père, Kyros immédiatement m’a comprise. Ce n’était pas, m’a-t-il dit, l’esprit ni le cœur qui s’exprimaient dans mon désir, mais le sang. Et le sang est mouvement, mouvement de la vie elle-même qui ne peut s’arrêter qu’à la mort. Je n’étais pas d’âge alors à le comprendre mais, quand il m’a permis de demander à Cambyse l’autorisation de participer à la guerre des lions, je me suis précipitée chez mon grand-père."

    Bauchau, Henry, Diotime et les lions, Babel, 1991, 5/5