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dialectique des relations amoureuses

  • "Alors ma chérie, je te laisserai t'arranger avec ton père. Tu t'arranges toujours avec n'importe qui."

     

    Heureux qui comme Middlemarch a fait un beau voyage pourrait-on dire! C’est que préparant mon sac à dos 55l pour mon périple de 15 jours en Grèce, je me suis trouvée devant un affreux dilemme : ne pouvoir avancer qu’au rythme d’un escargot lymphatique ou me trouver à cours de lecture. Blafarde, tremblotante à la seule idée de cette affreuse situation… oui, me trouver à cours de lecture. A côté de ça, avancer comme un escargot m’est apparu anecdotique ! Bref, blafarde et tremblotante, j’ai résolu le problème en me donnant bonne conscience et en emmenant en tout et pour tout deux romans ! Et oui mesdames et messieurs ! Deus romans ! Le fait que l’un fasse 1152 pages avec les notes prouve simplement qu’il suffit de biaiser pour avoir l’impression d’être raisonnable ! Mes vertèbres ont protesté, mais après tout, personne n’a jamais dit qu’il fallait qu’elles aient voix au chapitre ! Sauf maman Chiffon, mais elle-même ne part pas sans être abondamment pourvue de nourritures romanesques ! Elle ne protestera donc pas devant son folio tout corné et taché par le voyage ! A ma décharge je n’avais que lui pour lire, faire herbier, me caler la tête pendant la sieste sur la plage, et taper les moustiques. J’avais besoin du Routard pour retrouver ma route ce qui était bien suffisant pour son malheur.

     

    Middlemarch donc. 1152 p., notes comprises de bonheur. Ou comment Dorothea trouve la passion, Rosamond un peu de cervelle, Celia de quoi l’occuper, M. Brooke une carrière, Fred un destin et tout le monde un peu d’amour dans ce monde de brute.

    Ou encore, une chronique complète de la vie d’une petite commune rurale anglaise dans les années 1830. Qu’il s’agisse de vie politique, de vie sociale, de vie amoureuse, intellectuelle, religieuse, professionnelle, George Eliot  crée un tourbillon d’événements, de rebondissements qui font suivre avec impatience et passion les drames petits et grands des nombreux personnages dont elle a fait ses héros. C’est à la fois drôle et profond. George Eliot ne se contente pas de raconter : chaque situation est l’occasion pour elle de faire part à son lecteur de sa conception de l’homme et de la société. Athée, femme libre et indépendante, scandaleuse, George Eliot  porte un regard à la fois sans fard sur toutes les classes sociales et profondément humaniste. Elle n’hésite pas à aborder des sujets parfois surprenants ou ardus : réforme agraire, règles électorales, tours et détours des successions, progrès médicaux et éthique, etc. Tout cela lui permet de monter à quel point l’évolution de l’humanité est soumise aux médiocrités, aux failles et aux faillites individuelles.

    Pourtant il n’y a pas de leçon de morale dans ses lignes. Certes George Eliot n’a pas l’ironie mordante dont peut faire preuve une Jane Austen, mais elle a le sens de l’humour, et souvent, au détour d’une page tombe une réplique ou une description drolatique. J’ai particulièrement aimé celle-ci : « - Ah, quel bon et cher père vous faites ! s’écria Mary, en entourant de ses mains le cou de son père, qui inclina placidement la tête pour se prêter à ses caresses. Je me demande s’il y a une autre fille au monde qui considère son père comme le meilleur homme au monde !

    -         Ne dis pas de bêtise, ma petite ; tu vas trouver ton mari meilleur que moi.

    -         - Impossible ! dit Mary, qui se laissa aller à reprendre son ton habituel. Les maris constituent une classe d’hommes inférieure, qu’il faut faire marcher droit. »

     

     

    Et de l’humour, il en faut dans cette description fouillée de ce que peuvent être les destins des femmes anglaises en 130. Vieilles filles, femmes usées par les soucis domestiques, jeunes écervelées prisonnières de mariages qu’elles ont voulu et dont la réalité est bien loin de ce qu’elles avaient imaginé, femmes aux amours interdits, femmes prisonnières des conventions sociales. Heureuses ou pas, toutes sont soumises par la force de la société au pouvoir des hommes et l’indépendance que parfois elles acquièrent de haute lutte ne va pas sans souffrances et doutes.

    En jouant sur les temporalités, en n’hésitant pas à user d’ellipses, de sous-entendus, George Eliot ajoute au fond de son roman un dynamisme qui en rend la lecture agréable. On laisse un personnage, un couple pour passer à un autre et le retrouver plus tard dans une situation totalement différente. Tout s’imbrique avec un talent impressionnant quand on pense que la publication de Middlemarch a eu lieu en feuilleton et que jamais l’écrivain n’a pu revenir sur ce qu’elle avait écrit auparavant.

     

    Un grand classique de la littérature anglaise et un beau voyage littéraire qui a accompagné avec brio les paysages grecs ! Et comme préface et postface sont aussi passionnant que le roman lui-même, c'est vraiment une réussite complète!

     

    Le très beau billet de Cécile. Celui de Cuné.

     

     George Eliot, Middlemarch, Folio, 2005, 1152p.