Ah, Terry Pratchett ! L’auteur de ce formidable univers qu’est le Disque-Monde ! Le comparse de Neil Gaiman ! L’agitateur de zygomatiques !
Vous ais-je déjà fait part de mon amour pour Terry Pratchett ? Non ? Et bien c’est chose faite !
Allons-y pour un petit point biographique sur le maître ! Né en 1948 dans le Buckinghamshire, il a publié sa première nouvelle en 1963 et son premier roman en 1971 tout en exerçant les métiers de journaliste et publicitaire. En 1983, c’est la naissance du Disque-Monde, saga héroï-comique et pastiche hilarant de tout ce que la fantasy compte de personnages et rebondissements. Pour lui, la SF est de la fantasy avec des boulons ! Grâce lui soit rendue pour ce commentaire ô combien exact et ce monde délirant qu’il a créé !
Jugez plutôt ! Le Disque-Monde… Une dimension lointaine où un monde en forme de disque est perché sur le dos de quatre éléphants, eux-mêmes posés sur le dos de la Grande A’Tuin, la tortue qui fend l’espace interstellaire, les yeux fixés sur le But Ultime. Sans oublier la grande cataracte qui entoure le tout. Un monde où l’on va croiser Mémé Ciredutemps la sorcière, Rincevent, le mage le plus calamiteux du multivers, un bibliothécaire transformé en anthropoïde, un Bagage muni de dents très acérées, une Mort dépressive, et j’en passe ! Tous embringuer dans des aventures plus loufoques les unes que les autres.
Autant le dire tout de suite, Pratchett utilise tous les ressorts de la fantasy, mais aussi de la science-fiction pour offrir à son lecture un humour qui n’est pas sans rappeler celui des Monty Python et qui lui permet aussi d’explorer la nature humaine et ses nombreux défauts. Les protagonistes de ses histoires sont tous plus pitoyables les uns que les autres, irrationnels, lâches et égoïstes. Ce qui leur permet finalement d’être héroïques. On est loin de l’héroïc-fantasy et tant mieux !
Si vous voulez en savoir plus sur l’auteur et son univers, allez donc faire un tour par là ! C’est complet et passionnant !
J’en reviens pour ma part à mes moutons, ou plutôt à mes dragons : le neuvième tome des annales du Disque-Monde, Au guet !
Une société secrète a pour but de renverser le Patricien Vétérini, seigneur d’Ankh-Morpok pour lui substituer un roi. C’est sans compter avec le guet municipal : le capitaine Vimaire, alcoolique notoire et sa fine équipe composée d’un sergent sergentesque, d’un caporal adepte des danses traditionnelles et d’un soldat d’1m98 élevé par les nains et prénommé Carotte. Et quand on retrouve des citoyens calcinés au petit matin, c’est eux qui vont se retrouver à enquêter sur un dragon de 25m appartenant à une espèce censément disparue avec l’aide du bibliothécaire anthropoïde de l’université Invisible !
Que dire sinon que j’ai une nouvelle fois adoré ! L’histoire est totalement tirée par les cheveux, menée tambour battant et on y voit apparaître de temps en temps en guest star notre ami La Mort (oui, oui, La Mort est un garçon), bien forcée d’intervenir pour récupérer les victimes du dragon. Terry Pratchett laisse libre court à son génie parodique, clouant au pilori un certain nombre de clichés appartenant aussi bien à la fantasy qu’au roman de cape et d’épée. A ce titre, la scène d’évasion que je ne décrirai pas pour ne pas déflorer le plaisir de la découverte est un modèle du genre !
Mais à mon sens, ce qui fait la grande force de cet opus est la place centrale accordée à la bibliothèque et son bibliothécaire. Et oui, on ne se refait pas ! En même temps, si vous avez aimé la bibliothèque de Poudlard, dites-vous bien qu’elle n’arrive pas à la cheville de celle de l’Université Invisble. Les livres y sont tellement nombreux, tellement chargés de magie et de connaissance que le temps et l’espace s’y déforment, que des créatures étranges y errent et que des failles mènent vers d’autres bibliothèques. Un véritable rêve. Quand au bibliothécaire, c’est un modèle du genre : attaché à ses bouquins au point de frayer avec des humains ! Car s’il a été humain un jour, un accident magique l’a transformé en un orang-outang satisfait de son sort, rancunier, porté sur la boisson, bagarreur et attachant.
En même temps, entre deux éclats de rire, on se rend compte que Terry Pratchett fait passer quelques messages intéressants sur la nature humaine, la politique, la connaissance. Je laisse à votre appréciation ce passage que je trouve intéressant :
« Dans le silence de la bibliothèque endormie, il ouvrit son bureau et sortit du fin fond une petite lanterne soigneusement conçue pour empêcher la moindre flamme nue de brûler à l’air libre. On n’était jamais trop prudent avec tout ce papier dans les parages… Il prit aussi un sachet de cacahuètes et, tout compte fait, une grosse pelote de ficelle. Il en coupa avec les dents un petit bout dont il se servit pour se nouer la plaque autour du cou, comme un talisman. Puis, il attacha une extrémité de la pelote au bureau, et après un instant de réflexion, partit à coups de phalanges entre les rayonnages en dévidant la pelote derrière lui. La connaissance, c’est le pouvoir. La ficelle était importante. Au bout d’un moment, le bibliothécaire s’arrêta. Il concentra toute sa puissance professionnelle. Le pouvoir, c’est l’énergie… Les gens étaient bêtes des fois. Ils croyaient que la bibliothèque dangereuse à cause de tous les livres magiques qu’elle contenait, ce qui n’était pas franchement faux, mais ce qui la rangeait parmi les lieux les plus dangereux existants, c’était tout simplement son statut de bibliothèque. L’énergie c’est la matière… Il enfila d’un pas rythmé une avenue de rayonnages qui ne faisait apparemment que quelques mètres de long et la suivit vivement pendant une demi-heure. La matière, c’est la masse… Et la masse déforme l’espace. Elle le déforme en un espace B polyfractal. Donc, malgré toutes les qualités du système Dewey, quand on veut chercher quelque chose dans les replis multidimmensionnels de l’espace B, rien ne vaut une bonne pelote de ficelle. »
Pour moi, tout y est !
Terry Pratchett, Au Guet !, Pocket, 2007, 349 p.