Dieu sait que j'ai adoré détester cette garce de Milady au fil de mes lectures de Dumas, l'espionne, la traîtresse, la dépravée abjecte qui détruit tout sur son passage, qui trompe d'Artagnan, qui a fait d'Athos cet homme taciturne et désespéré. Bon, pour être tout à fait honnête, prenant de l'âge, je lui aurait presque été reconnaissante de la partie sus-mentionnée... C'est que l'homme brun et taciturne a un je ne sais quoi de fascinant en littérature. Surtout avec quelques cicatrices. Or un mousquetaire... Bref. Je m'égare. Milady donc.
Milady qui ne fut pas toujours Milady. Dans mon souvenir, Dumas effleure son histoire pour mieux effrayer, condamner l'âge damnée du cardinal. C'est que là où il y a capes et épées, il faut bien des méchants. Quant aux raisons de ses actes, en faut-il seulement?
Pour Agnès Maupé, la réponse est manifestement oui et, sous sa plume, c'est un destin tragique qui prend forme. Belle, dangereuse, sans vergogne, Milady l'est toujours, mais sous les actes qu'elle commet pour son propre compte et pour celui du cardinal de Richelieu, se révèlent les drames et les violences dont elle a été victime, la naïveté qui affleure par moment et l'espoir déçu que les blessures peuvent guérir et le passer s'effacer. Nécessité faisant loi, Milady est devenue une louve, qui, de victime, s'est faite vengeresse. Et qui pourrait lui en vouloir? C'est un portrait nuancé qui s'ébauche puis s'affirme, celui d'une femme qui s'est voulue libre et qui a payé cette liberté au prix fort avant de se heurter inéluctablement à la loi des hommes: on frémit au fil des pages de découvrir les épreuves qu'elle traverse, le coeur serré de l'aveu d'une naïveté folle qu'elle ose: "C'est la première fois que j'ai une amie, vous savez?"
C'est une partie du sel de ces deux albums de voir les héros sans peur et sans reproches par les yeux de Milady, de refaire connaissance avec le cardinal de Richelieu. L'un devient homme d'Etat dont les complots vont de pair avec une forme de sagesse réjouissante, les autres oscillent entre bêtise et veulerie, au point qu'on hésite à dire qui est le pire d'Athos, confit de rancune, ou de d'Artagnan, d'une rare inconséquence. Quant à la reine Anne... Comme quoi le point de vue fait tout.
Chose appréciable, ce n'est pas parce que ledit point de vue change, que la trame du roman est oubliée. On retrouve dans les deux albums tous les rebondissements de récit de Dumas. Et si la forme implique quelques raccourcis, l'humour et le dynamisme qui sont insufflés dans les planches les font rapidement oublier: j'ai trouvé le choix du noir et gris, les traits fins et nerveux en totale adéquation avec le récit, les dialogues enlevés et piquants ajoutent au plaisir.
Je laisserai le mot de la fin à Milady, elle le mérite:
" Je vous explique que, dans un monde de chiens, il faut devenir un loup.
Evidemment vous ne comprenez pas.
Vous êtes un petit lapin."
Lelf en parle, le Bar à BD aussi.
Maupré, Agnès, Milady de Winter, Ankama, 2 tomes.