Alors ça, pour un roman bizarre, c'est un roman bizarre. La quatrième de couverture averti le malheureux lecteur, mais quand on se trouve pris dans les rets de ces pages, ce n'est pas une consolation! Un peu comme si Dante disait "Je vous l'avais bien dit" à celui qui aurait passé les portes (je ne me trompe pas d'auteur au moins!?)!
Gwynn le mercenaire et Raule le médecin sont les soldats damnés d'une révolution perdue. En fuite, pourchassés, ils vont aller trouver refuge à Escorionte, cité sombre et décadente.
Aucun des deux personnages principaux n'est sympathique. Gwynn a l'attraction du tueur dandy, du mauvais garçon. Cynisme, absence totale de morale autre que celle de sa propre survie. Il travaille d'ailleurs comme homme de main d'un vendeur de chair humaine sans aucun scrupule. "Le colonel et lui ne partageaient ni lien de sang ni camaraderie de combat. ils n'avaient rien en commun sinon une sauvagerie aussi prononcée que celle d'un cannibale". Raule, elle, n'est en rien plus agréable. Le médecin qui soigne les pauvres ne le fait guère par amour de son prochain. "Après tout un comportement civilisé ne requiert pas de compassion en soi, mais seulement l'aptitude à observer des règles compatissantes." Elle n'hésite guère d'ailleurs à utiliser son bistouri pour faire autre chose que soigner.
Et pourtant, on s'attache à eux. Plus qu'à d'autres héros de fantasy, car moins lisses, plus humains avec leurs failles, leurs compromis, leurs vilénies.
L'atmosphère que dégage le roman est étrange. Gwynn et Raule évoluent dans une cité étrange, violente, âpre, totalement décadente et brisée. Un peu à l'image de leurs âmes d'ailleurs. Aquaforte est l'histoire de "méchants", mais c'est aussi celle des idéaux brisés et de ce qu'il se passe lorsqu'on survit au pire. La désillusion est totale et la rédemption une idée dépassée, inaccessible, presque une mauvaise blague. Les personnages oscillent entre délire mystique, folie, désespoir, espoir. C'est poisseux, glauque, dérangeant, curieusement attirant et fascinant
Chacun travaille à se reconstruire lorsque soudain, par l'intermédiaire de l'art, le fantastique, le merveilleux font irruption. Deux univers se mélangent, chacun avec leurs règles. C'est assez philosophique en fait! A la réflexion, une fois la perplexité dépassée, j'ai pensé aux monades de Leibnitz (oui, ce genre de chose m'arrive. En général je vais manger du chocolat et ça passe tout seul): chaque individu a sa sphère de perception et ce sont les interactions entre ces perceptions qui font le réel. Mais que se passe-t-il quand ces univers, ces perceptions sont totalement différentes? "Si cette théorie des mondes multiples que défendait Beth s'avérait exacte [...] et si son univers se mêlait à un autre, les règles de se dernier dépassaient son entendement. Un tel monde pouvait se comparer à une plante qui, repiquée en terre étrangère, s'y répandrait de manière incontrôlable comme une maladie infectieuse". Et que l'un est en passe de modifier radicalement l'autre?
J'ai lu quelque part, qu'il s'agit d'un monde post catastrophe nucléaire. C'est possible avec les mutations constatées sur les enfants, le désert qui gagne, le feu qui frappe du ciel décrit dasn certaines pages. Je ne l'affirmerais pas. En tout cas, la réflexion sur le rôle et le pouvoir de l'art est bien présente! Et sur la possibilité de la rédemption et du changement aussi.
Je reste un brin mal à l'aise, et sans savoir dire si j'ai vraiment aimé. En tout cas, l'expérience était intéressante!
"Il faut être étrange pour avancer, car nos actes étranges poussent la norme outragée à nous rejeter, à nous propulser vers une normalité qui nous convient davantage."
Une belle critique sur Phénix-Web.
K.J. Bishop, Aquaforte, L'Atalante, 2006, 376 p.
Commentaires
Le début de ta critique (la description des personnages) m'a fait penser à La compagnie noire de Glen Cook, de la fantasy très noire. Bon après, ça a l'air complètement différent : c'est de la SF, non ?
Ben en fait, ni fantasy no SF ni rien.... Vraiment bizarrre comme mélange. D'autant que par moment on est dans le réaliste pur avec les descriptions de quartiers. J'étais destabilisée! J'ai le tome 1 de la Compagnie Noire sous le coude! Je vais bientôt m'y mettre j'aime bien les méchants!
La compagnie noire c'est vraiment génial! C'est une série très différente de ce qu'on lit d'habitude en fantasy et la narration est très intéressante. En plus, les personnages sont tous des salauds, à des degrés divers et pourtant, qu'est-ce qu'on s'attache à certains!
Ca ne m'étonne pas! L'étonnant pouvoir attractif du méchant... C'est peut-être pour ça que j'aime autant Snape???? Miam, l'air méchant et les robes noires! Je vais aller vérifier s'il est là où je suis, ou là où je ne suis pas!! Il me vient une envie de méchants là, maintenant tout de suite! Euh, pas Snape hein? La Compagnie noire.
ah ben du coup il me fait très envie ce livre :-), pour le c$oté bizarre et tant que j'y suis je note aussi la compagnie noire (hop quand on aime)... sinon l'acteur ui joue Snape (j'oublie toujours son nom) est mon méchant préféré depuis oh ... au moins ça !
Alan Rickman.... Ce type est un dieu des méchants! Outre Snape il a joué le méchant shérif dans Robin des Bois! Et il y est... Miam!
Ca fait un petit moment que j'hésite (conseils tentateurs + couverture splendide), ta note de lecture achève de me convaincre: parfois, ce n'est pas si important d'aimer ou pas, être déstabilisé, c'est déjà un bonheur de lecture.
Ah, yes! alan Rickman est tellement yammy! et pas qu'en méchant : dans Truly, madly, deeply (le film dans lequel je l'ai découvert), il est tellement émouvant en fantôme!!!
J'avoue que c'est ce que je recherche. Enfin pas tout le temps parce que bon! Un terrain sûr ça fait du bien aussi!! Je lirai ta note avec intérêt une fois que tu auras définitivement succombé!
Je ne crache pas sur un petit Alan gentil aussi! On le trouve en peluche? ;-)
:))))) (ce commentaire est constructif si je veux d'abord)
Aucune objection aux commentaires constructifs! Et c'est marrant, j'ai le même sourire!
Bien contente de lire un avis sur ce titre très intrigant, à l'ambiance un peu glauque dirait on... je ne savais pas trop si je le notais ou non dans mon carnet,je m'y intéresserai quand je serai dans le bon état d'esprit (envie de lecture plus légère).
La compagnie noire, oui excellente série, qu'il faudrait que je reprenne la suite me suis arrêté à Saison funeste (fantastique épisode qui laisse présager de grands moments pour la suite). J'aime beaucoup le système de narration et l'humour dans les dialogues, sans parler de l'éternelle bagarre entre les sorciers du groupe.
Si en plus il y a de l'humour dans la Comagnie Noire, miam! Dommage que j'ai laissé le tome 1 chez moi, loin! Va falloir patienter et ce n'est pas mon fort! Et effectivment, si tu as envie de quelque chose de plus léger, autant éviter Aquaforte pour le moment. On ne peut pas dire que j'ai hurlé de rire à sa lecture! Par contre, Le magasin des suicides est un bon choix pour la légereté!