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espagne

  • Teresa l'après-midi - Juan Marsé

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    Manolo, dit bande-à-part est fermement décidé à ne pas rester toute sa vie une petite frappe des quartiers populaires de Barcelone. Ce qu'il cherche, c'est une fille de bonne famille à épouser, et pour cela, il hante les fêtes des beaux quartiers. Mais parfois, au jeu de l'amour, tel est pris qui croyait prendre.

     

    Ce qu'il y a de bien quand on part en vacances avec le minimum vital de lecture dans son sac de voyage, c'est qu'on trouve sur les étagères familiales des choses fort sympathiques et fortement recommandées par papa Chiffon et maman Chiffon. Outre le fait que cela permet après lecture des discussions au coin du feu avec verre de whisky à la main (oui, je suis comme ça, j'aime mon petit confort), se laisser surprendre de temps à autre est toujours agréable. Bref, revenons à nos moutons espagnolo-barcelonais. Teresa l'après-midi est considéré comme un classique de la littérature espagnole du 20e siècle, ce qui est compréhensible, eut égard à la richesse et la densité du récit.

    Teresa l'après-midi, c'est une histoire d'amour, l'amour qu'on cherche, celui qu'on perd, l'amour trahi, l'amour desespéré, l'amour aveugle qui mène au drame, l'amour agonisant... On peut le voir comme une éducation sentimentale. Celle d'un jeune homme persuadé que jamais il ne se laissera prendre au piège mais qui aimera deux jeunes femmes qu'il trahira sans vraiment le vouloir, celle d'une domestique qui a pu croire un instant qu'elle serait aimée, celle d'une jeune femme de bonne famille qui va aimer en dessous de sa condition et se brûler les ailes. Et puis tous les autres, personnages secondaires, Bernardo détruit par la femme qu'il aime et a épousé, Hortensia qui va se venger de l'indifférence et de la cruauté de celui qu'elle aime, Carmen et Alberto dont le couple bat de l'aile... D'une certaine marnière, Juan Marsé montre comment le comportement humain et les relations sociales sont mues par l'amour et ses déclinaisons. Et quel illusion il représente. A travers l'amour qui nait entre le mauvais garçon et la bourgeoise, se pose la question de ce dont on tombe amoureux: une image? Un espoir? Une illusion? Teresa va aimer Manolo d'abord parce qu'elle voit en lui l'ouvrier révolutionnaire qu'il n'est pas mais qu'elle admire. Manolo, lui, va aimer Teresa avant tout pour l'espoir d'un avenir meilleur qu'elle représente. Jusqu'à faire tomber les faux-semblants et s'apercevoir que ce qui était un ersatz d'amour est devenu une force destructrice. Marsé porte un regard plein d'acuité sur ce jeu amoureux et les désillusiosn qu'il provoque. Il sait à merveille capter les petites choses, les regards, les gestes de l'amour.

    Ce regard, Marsé le porte aussi sur le milieu militant de l'après-guerre. Teresa l'après-midi est une critique sans concession, acide et amère des engagements politiques à travers cette jeunesse dorée qui n'a la bouche qu'objectivisme, communisme, existentialisme, et qui ne connaît pas et ne veut pas réellement connaître ces prolétaires censés être libérés par la révolution. Au fil des pages, on découvre un intellectualisme aveugle, déconnecté de la réalité et qui tourne à vide. Teresa par exemple, qui idéalise Manolo parce qu'elle voit en lui l'ouvrier révolutionnaire parfait, qui erre dans les quartiers populaires, qui méprise ses camarades de combat, sauf ceux qui ont payé le prix de leur engagement comme le chef du réseau étudiant auquel elle appartient.

    "Crucifiés entre un merveilleux avenir historique et l'abominable usine de papa, plein d'abnégation sans défense et résignés, ils portent leur  mauvaise conscience de riches comme les cardinaux leur pourpre, paupière humblement baissée, ils irradient un héroïque esprit de résistance familiale, une amère aversion des parents fortunés, un mépris pour des beaux-frères et des cousins entreprenants et pour des tantes dévotes, en même temps qu'ils baignent, paradoxalement, dans un parfum salésien de câlineries de maman riche et de petits déjeuners de luxe: ils en souffrent beaucoup, surtout quand ils boivent du vin rouge en compagnie de certains boiteux et autres bossus du Barrio Chino."

    Marsé pointe du doigt les illusions, les faux-semblants, les contradictions de cet engagement politique à mille lieu des préoccupations des ouvriers, des pauvres gens qui tentent au quotidien de survivre et qui sont fascinés par le confort, par l'argent, par tout ce que rejettent ceux qui veulent faire la révolution avec eux. Teresa et Manolo en sont le symbole. Et il n'hésite pas à décrire sans concession ce petit monde pitoyable, désespérant de snobisme en même temps que plein d'un espoir et d'une vitalité qui se heurteront aux murs de la réalité.

    Bien sûr, Teresa l'après-midi est marqué par l'époque de son écriture et parle en filigrane du franquisme et de sa fin, mais en même temps il reste assez universel pour être fascinant, grâce à cette étude de l'humanité sans aucun compromis que fait Juan Marsé. Il pourrait offrir un texte amer, violent. Mais il fait surtout sentir la complexité des engagements politiques et humains, les désillusions, la souffrance et les espoirs de ses personnages avec une douceur surprenante et sans jamais sombrer dans l'apitoiement et en alternant cynisme et tendresse. C'est un beau portrait d'une génération en quête de sens et de repères. Et puis il y a ces pages superbes sur Barcelone et ses quartiers, sur sa population.

    Dommage que le style soit parfois un peu lourd, à moins que cela ne soit du à un problème de traduction. Je dois dire que lire "ses blonds cheveux" sur 473 p. a eu tendance à m'agaçer! Sans compter les notes de bas de page décalées au petit bonheur la chance. C'est un roman non exempt de longueurs, mais d'une telle force évocatrice, d'une telle finesse psychologique qu'on passe sur ces petits défauts et une certaine emphase. Une très, très belle découverte.

    Juan Marsé, Teresa l'après-midi, Points, 2009, 473 p. 4/5